Page images
PDF
EPUB

66

ment de l'indemnité de 40,000 sous qui lui avait été allouée. Il choisit parmi les bourgeois des collecteurs chargés d'imposer à chacun, selon la valeur de ses biens, sa quote-part de la contribution collective. Parmi tant d'hommes, dit le narrateur contemporain, il n'y en eut 5 pas un seul qui fît la moindre résistance ni en action, ni en parole." Mais il y eut un point sur lequel les bourgeois de Vézelay se montrèrent moins dociles; et quand l'ordre fut publié dans les rues que chacun eût à démolir l'enceinte fortifiée de sa maison, nul ne se mit en devoir 10 d'obéir. Ces signes d'une liberté qui n'était plus leur devenaient chers; ils s'attachaient à eux par l'imagination, par un sentiment d'orgueil et peut-être aussi par un dernier reste d'espérance. L'abbé, qui avait déjà congédié ses soldats auxiliaires, se trouvait dépourvu de moyens effi- 15 caces pour contraindre les bourgeois à exécuter cette clause importante de l'accord. Il convoqua plusieurs fois les principaux d'entre eux, les somma à plusieurs reprises, leur assigna des termes de rigueur; mais le temps venait, et personne n'obéissait. La destruction de quelques murs 20 crénelés, bâtis par des marchands et des artisans, dans une ville de quelques milliers d'âmes, devint une affaire de grande diplomatie. Les légats du Saint-Siége s'en occupèrent aussi activement qu'ils s'étaient occupés du comte de Nevers et de la commune, et le pape lui-même écrivit 25 au roi une lettre conçue en ces termes :

"Nous félicitons ta Magnificence de son empressement à accomplir les œuvres pieuses, et nous sommes pénétré de gratitude envers toi de ce que, selon le devoir imposé à ta dignité, par amour du Seigneur et par respect pour nos 30

1...Nec fuit in his omnibus qui resisteret, vel aperiret os contradicendo, quoniam ablatum est cornu superbiæ illorum, et contrita est virga fortitudinis eorum... (Hist. Vizeliac. monast., lib. III. apud d'Achery, Spicil., t. II. p. 535, col. 1.)

2 Verumtamen antemuralia domorum evertere dissimulantes neg- 35 lexerunt, quoniam hoc præceptum in scandalum erat illis, et quasi aculeus terebrans oculos eorum. (Ibid.)

3 Peractis autem Dominicæ nativitatis Kalendis, vocavit eos Abbas, monuitque ut juxta compositionem pacis, quod necdum fecerant perficerent, de diruendis munitionibus domorum, constituitque illis terminum 40 quo jussa complerent. (Ibid. p. 535, col. 1.)

T. L.

ΙΟ

[LETTRE précédentes lettres, tu as prêté secours à notre très-cher fils l'abbé Pons, et l'as soutenu de ton aide et de tes conseils, contre ses persécuteurs et ceux de son monastère. Mais, attendu que la fréquence des avertissements entretient d'une 5 manière plus efficace la disposition aux bonnes œuvres, nous prenons l'occasion de prier ta Grandeur et de t'enjoindre, pour la rémission de tes péchés, de chérir et d'honorer le susdit abbé, de défendre son monastère contre les tentatives, soit de notre cher fils le comte de Nevers, soit 10 de tous autres, afin que les frères qui l'habitent puissent intercéder auprès du Seigneur pour ton salut et celui de ton royaume; et que nous aussi, nous ayons à rendre grâces à ta royale noblesse. Attendu aussi que les bourgeois de Vézelay se confiant dans les fortifications de pierre qu'ils 15 ont élevées au devant de leurs maisons sont devenus tellement insolents envers le susdit abbé et l'église de Vézelay, qu'il est désormais impossible à ce même abbé de rester dans son monastère à cause de leurs persécutions, nous prions ta Magnificence de faire que ces maisons fortifiées 20 soient détruites, de telle sorte que l'orgueil des bourgeois en soit rabaissé et que l'église de Vézelay ne soit plus tourmentée à cette occasion 1."

Lorsque cette lettre apostolique arriva en France, l'abbé Pons en était venu aux menaces avec les habitants de Vé25 zelay; il parlait de leur faire sentir le poids de sa colère s'ils s'obstinaient à ne pas remplir toutes les conditions de l'accord juré solennellement par eux. Mais ce langage n'avait produit aucun effet ; loin de démanteler leurs maisons fortes, quelques bourgeois s'occupaient à en continuer les 30 travaux. Simon le changeur faisait poser les créneaux de

1 Et quoniam burgenses Vizeliacenses, occasione præsertim lapidearum domorum, quas munitas habent et elevatas, adversus antedictum filium nostrum Abbatem, et Vizeliacensem Ecclesiam ita superbiunt, ut nec manere pro persequutione illorum idem filius noster possit in Monas35 terio: Magnificentiam tuam rogamus, quatenus easdem domos ita facias dirui, ut burgensium superbia retundatur, et Vizeliacensis Ecclesia occasione hac non debeat fatigari. (Hist. Vizeliac. monast., lib. III. apud d'Achery, Spicil., t. 11. p. 516, col. 2.)

2 Iterum dissimulantes cum interminatione commonuit, et, si ultra 40 pactis obaudire negligerent, iram suam eos experturos fore prædixit. (Ibid., p. 535, col. 1.)

la tour dont il avait jeté les fondements le jour de l'établissement de la commune 1. Il entretenait des liaisons d'amitié avec plusieurs barons de la province, dont le crédit le rendait plus fier devant le pouvoir abbatial, et qui avertissaient l'abbé, par lettres et par messages, de ménager un 5 homme si digne de considération. La perspective d'une nouvelle intervention du roi de France, qui, cette fois, ne pouvait manquer d'être extrêmement sévère, effraya les bourgeois de Vézelay, en même temps qu'elle enhardit l'abbé à tenter un coup décisif. Il fit venir des domaines 10 de son église une troupe nombreuse de paysans, qu'il arma aussi bien qu'il put, et auxquels il donna pour chefs les plus déterminés de ses moines. Cette troupe marcha droit à la maison de Simon, et, ne trouvant aucune résistance, elle se mit à démolir la tour et l'enceinte crénelée, tandis 15 que le maître de la maison, calme et fier comme un Romain du temps de la république, était assis au coin du feu avec sa femme et ses enfants". Ce succès acheva la victoire de l'autorité seigneuriale; ceux d'entre les bourgeois qui avaient des maisons fortifiées se soumirent, et donnèrent à l'abbé 20 des otages pour garantie de la destruction de tous leurs ouvrages de défense 3.

Telle fut la fin de cette insurrection, qui ne fut pas la dernière à Vézelay, mais la seule dont les événements aient rencontré un historien; deux tentatives du même genre qui 25 vinrent ensuite, l'une à treize ans, l'autre à quatre-vingtquinze ans d'intervalle, ne nous sont connues que par leurs

1 Unde et ipse impius Simon plurimum præsumens de gratia et familiaritate Principum, suadentem Abbatem ut præcipitaret quod male ædificaverat, contemsit, addiditque contumeliam contemptui, et 30 ædificavit propugnacula, et munitionem inceptæ turris. (Hist. Vizeliac. monast., lib. III. apud d'Achery, Spicil., t. II. p. 535, col. 1.)

2 Ut igitur vidit Abbas quod vestigium contumaciæ, et gloria superbiæ ipsorum esset in domibus illorum, accersivit agrestem multitudinem de possessionibus Monasterii, et Sabbato post Hypapante 35 Domini misit eos et quosdam de Fratribus in domum impii Simonis, præcipitaveruntque funditus antemuralia ipsius, propugnacula, et turrim, sedente ipso Simone ad ignem in ipsa domo, cum uxore et liberis suis. (Ibid.)

3 Quod videntes cæteri timuerunt valde, et ingemiscentes erubesce- 40 bant, dederuntque obsides pro evertendis munitionibus infra constitutum tempus. (Ibid.)

dates, 1168 et 1250'. Ces efforts réitérés sous l'influence du grand mouvement de la révolution communale ne réussirent point à faire passer la ville sujette des abbés de Sainte-Madeleine, de l'état de bourg en servage à celui de 5 municipalité libre. Pour cette petite ville, riche et commerçante, il n'y eut d'autre garantie des droits civils, d'autre charte proprement dite, que la transaction de 1137 entre les bourgeois et l'abbaye. Devenue, à cause de son importance relative, un centre d'administration provincial, elle 10 vit siéger dans ses murs quelques officiers royaux en regard des officiers seigneuriaux; elle n'eut jamais, ni magistrature qui lui fût propre, ni droit de juridiction sur elle-même. Vézelay garda jusqu'en 1789 le titre de Pôté, signe d'une servitude, maintenue en principe au milieu du progrès 15 moderne1; mais trois années seulement de liberté municipale, années remplies de vicissitudes et de passions extrêmes, de violence et d'enthousiasme, d'espérance et de malheur, donnent à son histoire un intérêt qu'on ne trouve point au même degré dans celle de villes plus grandes et plus 20 célèbres.

1 MCLXVIII. Prædictus Comes moritur apud Accaron. Burgenses Vizeliaci conjurati sunt adversus Ecclesiam.-MCCL. Lata fuit sententia a domno Hugone Abbate in totam villam Vizeliaci et confirmata ab Innocentio papa. (Chronicon Vezeliacense, apud Labbe Nov. Bibliothec. 25 manuscript., t. I. p. 397 et 398.)

2 Cet acte est désigné par le nom de Charte de Vézelay, et en partie reproduit dans une charte de franchises donnée en 1222 par Guillaume, seigneur de Mont-Saint-Jean, aux habitants de ce lieu. "Burgensibus meis de Monte S. Johannis dedi, et concessi, et juramento firmavi, omnes 30 consuetudines et libertates quæ Vizeliacenses inter se tenent, tam consuetudines et libertates quæ in carta Vizeliacensi continentur, quam eas quæ nondum sunt in scriptis redacta."-Voyez l'Annuaire du département de l'Yonne pour 1843, p. 226.

35

3 Avant la révolution, Vézelay était le siége d'un bailliage royal, d'une élection, tribunal de premier degré ressortissant à la Cour des Aides, et d'une gruerie pour le jugement des affaires concernant les eaux et forêts.

4 On disait la Pôté de la Madeleine de Vézelay; ce mot venu de potestas désignait, dans les coutumes féodales, un territoire comprenant 40 plusieurs bourgades habitées par des familles serves.-Voy. l'Annuaire de l'Yonne pour 1842, p. 97, et l'Encyclopédie, article Pôté.

NOTES.

LETTRE XIII.

PAGE I.

1. 9. sous des autorités dépendantes. The commune is now a subdivision of a canton, just as the canton is a subdivision of the department. Each commune is governed by a mayor, several deputy-mayors (adjoint) and a municipal council. The members of this council are named by election (Law of March 21, 1831).

1. 24. un jour confus: jour here= 'light'.

66

1. 28. le protocole. Formulaire pour dresser les actes publics." (Littré.) Etym. πрштóкоλλоv, Med. L. Protocollum, liter. the first leaf of a book. The word protocole meant originally a register on the leaves of which were pasted the acts or laws formulated by public authority.

PAGE 2.

1. 1. j'ai octroyé. Octroyer, from the Low Latin: Littré gives simply auctorare to procure', then 'to grant'.

1. 6. le terrible réveil de ce vieil esprit, allusion to the revolution of 1789.

1789.

16. toutes différentes. Note the adv. tout agreeing with différentes. The agreement of the adverb tout with an adjective or a participle feminine beginning with a consonant or an aspirated / has always existed; but its non-agreement before a vowel or an h mute dates only from the last century. Thus we find in Corneille: "Et puisque vous voyez mon âme toute entière", and in Madame de Sévigné : "Pour moi, j'étais toute ébaubie." See Littré.

1. 19. son homme-lige, "homme qui promet à son seigneur toute fidélité, contre qui que ce soit, sans restriction." (Littré.) Etym.? but probably from the L. ligatus, 'bound'.

a faussé. Fausser, 'to give an erroneous idea of...'; literally, to bend in a wrong direction.

1. 24.

1. 31. l'Assemblée constituante. M. Taine (Les origines de la France contemporaine.-La Révolution, I. 279) thus appreciates the "gouvernement local bien pondéré" alluded to here: "La France est une fédération de quarante mille municipalités souveraines, où l'autorité des magistrats légaux vacille selon les caprices des citoyens actifs, où les citoyens actifs, trop chargés, se dérobent à leur emploi public, où une minorité de fanatiques et d'ambitieux accapare la parole, l'influence, les

« PreviousContinue »