Page images
PDF
EPUB

pour agir, les autres pour raconter, de manière que tout marche et se développe sans interruption, sans embarras, sans désordre, depuis la séparation des élémens, qui remplace le chaos, jusqu'à l'apothéose d'Auguste? Ensuite, quelle flexibilité d'imagination et de style pour prendre successivement tous les tons, suivant la nature du sujet, et pour diversifier par l'expression tant de dénoûmens dont le fond est toujours le même, c'est-à-dire, un changement de forme! C'est là surtout le plus grand charme de cette lecture; c'est l'étonnante variété de couleurs toujours adaptées à des tableaux toujours divers, tantôt nobles et imposans jusqu'à la sublimité, tantôt simples jusqu'à la familiarité, les uns horribles, les autres tendres, ceux-ci effrayans, ceux-là gais, rians et doux.

Toutes ces peintures sont riches, et aucune ne paraît lui coûter. Tour-à-tour il vous élève, vous attendrit, vous effraie, soit qu'il ouvre le palais du Soleil, soit qu'il chante les plaintes de l'Amour, soit qu'il peigne les fureurs de la jalousie et les horreurs du crime. Il décrit aussi facilement les combats que les voluptés, les héros que les bergers, l'Olympe qu'un bocage, la caverne de l'Envie que la саbane de Philémon. Nous ne savons pas au juste ce que la mythologie lui avait fourni, et ce qu'il a pu y ajouter; mais combien d'histoires charmantes! Que n'a-t-on pas pris dans cette source qui n'est pas encore épuisée! Tous les théâtres ont mis Ovide à contribution. Je sais qu'on lui reproche, et avec raison, du luxe dans son style, c'està-dire, trop d'abondance et de parure; mais cette abondance n'est pas celle des mots, qui cache le vide des idées; c'est le superflu d'une richesse réelle. Ses ornemens, même quand il en a trop, ne laissent voir ni le travail ni l'effort: enfin, l'esprit, la gràce et la facilité, trois choses qui ne

'abandonnent jamais, couvrent ses negligences, ses petites recherches; et l'on peut dire de lui, bien plus véritablede Sénèque, qu'il plaît même dans ses défauts. Quelqu'un a dit de nos jours :

ment que

J'étais pour Ovide à vingt ans ;

Je suis pour Horace à quarante.

S'il a voulu dire qu'Horace a le goût plus sûr qu'Ovide, cela est incontestable; mais je crois qu'à tout âge on peut aimer, et beaucoup, l'auteur des Métamorphoses. Voltaire avait une grande admiration pour cet ouvrage, et l'on sait qu'il ne prodiguait pas la sienne. Sans doute on ne peut comparer le style d'Ovide à celui de Virgile; mais peutêtre fallait-il que Virgile existât, pour que l'on sentît bien ce qui manque à Ovide.

(LE MÊME, tom. II, chap. x.)

Les élégies composées pendant son exil, et qu'il intitula Les Tristes, sont généralement fort médiocres. Il joint à la monotonie du sujet celle du style: il a trop peu de sentimens et beaucoup trop d'esprit. On voit que la douleur ne saurait passer de son ame jusque dans son style, et l'on croirait qu'il s'amuse de ses plaintes et de ses vers.

Ovide, né avec un génie facile et abondant, une imagination riante et voluptueuse, et comme a dit Marmontel:

Enfant gâté des Muses et des Grâces,

De leurs trésors brillant dissipateur,
Et des Plaisirs savant législateur.

Ovide était bien plus fait pour être le peintre des voluptés, le chantre du malheur. Ses trois livres des Amours, que ouvrage de sa jeunesse, ont tout l'éclat, toute la fraîcheur de l'àge, où il les composa : il est impossible d'avoir plus

d'esprit et d'agrément. Il n'a, je l'avoue, ni la sensibilité, ni l'élégance, ni la précision de Tibulle; il est moins passionné que Properce; on peut lui reprocher l'abus de la facilité, de fréquentes répétitions d'idées et quelquefois du mauvais goùt; mais quelle foule d'idées ingénieuses et de détails charmans! quelle vérité d'images gracieuses et de mouvemens toujours aimables! comme il aime franchement le plaisir ! C'est là ce qui manque à tant d'auteurs qui ont voulu l'imiter. On voit trop que c'est un air qu'ils se donnent, et qu'ils sont beaucoup plus sages qu'ils ne voudraient nous le faire croire. Ils n'ont pas ce ton de vérité, sans lequel on ne persuade jamais. Ils oublient qu'on n'a jamais bonne grâce à vouloir être ce qu'on n'est leau a si bien dit :

Chacun, pris dans son air, est agréable en soi.

Ce n'est que l'air d'autrui qui peut déplaire en moi.

pas. Boi

Et malheureusement cet air-là s'aperçoit tout de suite. Il en est des livres comme de la société : dans l'une et dans l'autre, il ne faut point avoir d'autre caractère que le sien.

Ce poète, si agréable dans ses Amours, est en général médiocre et froid dans l'Art d'aimer. Aussi est-il infiniment moins difficile de réussir dans des pièces détachées que dans un poème régulier, où il faut avoir un plan et aller à un but. Dès le premier livre, le lecteur sent trop que l'ouvrage n'aura rien d'attachant. Qu'est-ce qu'un millier de vers, pour vous apprendre à chercher une maîtresse ? Le cœur répond d'abord qu'on la trouve sans la chercher, et que cet arrangement ne se fait pas comme dans la tête du poète. Ovide vous envoie courir les places publiques, les temples, les spectacles, la ville, la campagne, les eaux de Baies, pour trouver celle à qui vous puissiez dire : Je

vous aime. Elle ne tombera pas du ciel, dit-il, il faut la chercher.. Ne voilà-t-il pas une belle découverte? Viennent ensuite quantité de détails minutieux qu'il faut renvoyer au village des Petits-Soins, dans la carte de Tendre, et dont quelques-uns pourraient être agréables dans une pièce badine, mais qui ne doivent pas être des leçons débitées d'un ton sérieux. L'auteur y joint cinq ou six épisodes, plus insipides, plus déplacés les uns que les autres. A propos des spectacles, il raconte l'enlèvement des Sabines: s'il veut prouver les dispositions que les femmes ont à aimer, il choisit décemment la fable de Pasiphaé. En un mot, quoiqu'il y ait quelques détails ingénieux et quelques jolis vers, le tout ne présente qu'un ramage mesuré, et la facilité de dire des riens en vers simples et négligés.

Ses Fastes, dont nous n'avons que les six premiers livres, sont bien inférieurs, mais ne sont pas non plus sans mérite: cet ouvrage est aux Métamorphoses ce qu'est un dessin à un tableau. Les Fastes ont peu de coloris poétique; mais on y remarque toujours la facilité du trait. Ses Héroïdes, sorte d'épîtres amoureuses que l'on peut rapprocher de ses Élégies, ont le défaut de se ressembler toutes par le sujet. Ce sont toujours des amantes malheureuses et abandonnées ; c'est Phyllis qui se plaint de Démophoon, Hypsipyle de Jason, Déjanire d'Hercule, Laodamie de Protésilas, etc. On conçoit la monotonie qui résulte de cette suite de plaintes, de reproches, de regrets qui reviennent sans cesse; mais on ne saurait employer plus d'art et d'esprit à varier un fond si uniforme. Il y a même des morceaux touchans, et d'une sensibilité qui doit nous faire comprendre aisément le grand succès qu'obtint sa tragédie de Médée. Nous ne l'avons plus; mais Quintilien a dit qu'elle faisait voir ce que l'auteur aurait pu faire, s'il avait

su régler son génie, au lieu de s'y abandonner. Il faut avouer en effet, avec les critiques les plus éclairés, qu'Ovide, dans tous ses ouvrages, a plus plus ou moins abusé d'une facilité toujours dangereuse quand on ne s'en défie pas. Il ne se refuse aucune manière de répéter la même pensée, et, quoique souvent elles soient toutes agréables, l'une nuit souvent à l'autre. On peut lui reprocher aussi les faux brillans, les jeux de mots, les pensées fausses, la profusion des ornemens. Ainsi venant après Virgile, Horace et Tibulle, les modèles de la perfection, il a marqué le premier degré de décadence chez les Latins, pour n'avoir pas eu un goût assez sévère et une composition assez travaillée.

HISTOIRE ABRÉGÉE DE LA LITTÉR. ROMAINE, PAR F. SCHOELL,

(Tom. I, pag. 243, 244, 245 et 246.)

LES Métamorphoses, en quinze livres, sont le chef-d'œuvre d'Ovide, et lui assignent un rang parmi les premiers poètes de l'antiquité. Il y a réuni une suite de deux cent quarante-six fables de la mythologie, qui commencent au chaos, et vont jusqu'à la mort de César. Ce grand nombre de fables est arrangé, autant qu'il était possible, en une suite chronologique, et ne forme qu'un seul récit non interrompu. Le principal mérite du poète consiste dans l'artifice qu'il a employé pour réunir ainsi des objets disparates et des événemens passés chez des peuples divers. Ses moyens sont extrêmement variés. Tantôt l'esprit du poète découvre une ressemblance entre deux fables qu'il place l'une à côté de l'autre pour former des pendans; tantôt un dieu ou un

« PreviousContinue »