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CHAPITRE XI.

Du flux et du reflux de la mer.

SI I la recherche des lois de l'équilibre des fluides qui recouvrent les planètes, présente de grandes difficultés; celle du mouvement de ces fluides agités par l'attraction des astres, doit en offrir de plus considérables. Aussi Newton qui s'occupa le premier de cet important problème, se contenta de déterminer la figure avec laquelle la mer serait en équilibre sous l'action du soleil et de la lune. Il supposa que la mer prend à chaque instant, cette figure; et cette hypothèse qui facilite extrêmement les calculs, lui donna des résultats conformes sous beaucoup de rapports, aux observations. A la vérité, ce grand Géomètre a eu égard au mouvement de rotation de la terre, pour expliquer le retard des marées, sur les passages du soleil et de la lune au méridien; mais son raisonnement est peu satisfaisant, et d'ailleurs, il est contraire au résultat d'une rigoureuse analyse. L'Académie des Sciences proposa cette matière, pour le sujet d'un prix, en 1740: les pièces couronnées renferment des développemens de la théorie newtonienne, fondés sur la même hypothèse de la mer en équilibre sous l'action des astres qui l'attirent. Il est visible cependant, que la rapidité du mouvement de rotation de la terre empêche les eaux qui la couvrent, de prendre à chaque instant, la figure qui convient à l'équilibre des forces qui les animent; mais la recherche de ce mouvement combiné avec l'action du soleil et de la lune, offrait des difficultés supérieures aux connaissances que l'on avait alors dans l'analyse, et sur le mouvement des fluides. Aidé des découvertes que l'on a faites depuis sur ces deux objets; j'ai repris ce problème le plus épineux de toute la mécanique céleste. Les seules hypothèses que

je me suis permises, sont que la mer inonde la terre entière, et qu'elle n'éprouve que de légers obstacles dans ses mouvemens : toute ma théorie est d'ailleurs, rigoureuse et fondée sur les principes du mouvement des fluides. En me rapprochant ainsi de la nature, j'ai eu la satisfaction de voir que mes résultats se rapprochaient des observations, surtout à l'égard du peu de différence qui existe dans nos ports, entre les deux marées d'un même jour, différence qui, suivant la théorie de Newton, serait fort grande. Je suis parvenu à ce résultat remarquable, savoir, que pour faire disparaître cette différence, il suffit de supposer partout à l'océan, la même profondeur. Daniel Bernoulli, dans sa pièce sur le flux et le reflux de la mer, qui partagea le prix de l'Académie des Sciences en 1740, essaya d'expliquer ce phénomène, par le mouvement de rotation de la terre suivant lui, ce mouvement est trop rapide, pour que les marées puissent s'accommoder aux résultats de la théorie. Mais l'analyse nous montre que cette rapidité n'empêcherait pas les marées d'être fort inégales, și la profondeur de la mer n'était pas uniforme. On voit par cet exemple et par celui de Newton, que je viens de citer, combien on doit se défier des aperçus les plus vraisemblables, quand ils ne sont point vérifiés par un calcul rigoureux.

Les résultats précédens, quoique fort étendus, sont encore restreints par la supposition d'un fluide régulièrement répandu sur la terre, et qui n'éprouve que de très-légères résistances dans ses mouvemens. L'irrégularité de la profondeur de l'océan, la position et la pente des rivages, leurs rapports avec les côtes voisines, les frottemens des eaux contre le fond de la mer, et la résistance qu'elles en éprouvent, toutes ces causes qu'il est impossible de soumettre au calcul, modifient les oscillations de cette grande masse fluide. Tout ce que nous pouvons faire, est d'analyser les phénomènes généraux des marées, qui doivent résulter des forces attractives du soleil et de la lune; et de tirer des observations, les données dont la connaissance est indispensable pour compléter dans chaque port, la théorie du flux et du reflux. Ces données sont autant d'arbitraires dépendantes de l'étendue de la mer, de sa profondeur, et des circonstances locales du port. Nous allons

envisager sous ce point de vue, la théorie des oscillations de la mer, et sa correspondance avec les observations.

Considérons d'abord la seule action du soleil sur la mer, et supposons que cet astre se meut uniformément dans le plan de l'équateur. Il est visible que si le soleil animait de forces égales et parallèles, le centre de gravité de la terre et toutes les molécules de la mer; le système entier du sphéroïde terrestre et des eaux qui le recouvrent, obéirait à ces forces, d'un mouvement commun, et l'équilibre des eaux ne serait point troublé; cet équilibre n'est donc altéré que par la différence de ces forces, et par l'inégalité de leurs directions. Une molécule de la mer, placée au-dessous du soleil, en est plus attirée que le centre de la terre; elle tend ainsi à se séparer de sa surface; mais elle y est retenue par sa pesanteur que cette tendance diminue. Un demi-jour après, cette molécule se trouve en opposition avec le soleil qui l'attire alors plus faiblement que le centre de la terre; la surface du globe terrestre tend donc à s'en séparer; mais la pesanteur de la molécule l'y retient attachée; cette force est donc encore diminuée par l'attraction solaire, et il est facile de s'assurer que la distance du soleil à la terre, étant fort grande relativement au rayon du globe terrestre, la diminution de la pesanteur dans ces deux cas, est à très-peu près la même. Une simple décomposition de l'action du soleil sur les molécules de la mer, suffit pour faire voir que dans toute autre position, de cet astre par rapport à ces molécules, son action pour troubler leur équilibre, redevient la même après un demijour.

Maintenant, on peut établir comme un principe général de mécanique, que l'état d'un système de corps, dans lequel les conditions primitives du mouvement ont disparu par les résistances qu'il éprouve, est périodique comme les forces qui l'animent; l'état de l'océan doit donc redevenir le même, à chaque intervalle d'un demi-jour, ensorte qu'il y a un flux et un reflux dans cet

intervalle.

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La loi suivant laquelle la mer s'élève et s'abaisse, peut se déterminer ainsi. Concevons un cercle vertical dont la circonférence représente un demi-jour, et dont le diamètre soit égal à la marée

totale, c'est-à-dire, à la différence des hauteurs de la pleine et de la basse mer; supposons que les arcs de cette circonférence, à partir du point le plus bas, expriment les tems écoulés depuis la basse mer; les sinus verses de ces arcs seront les hauteurs de la mer, qui correspondent à ces temps: ainsi la mer en s'élevant, baigne en temps égal, des arcs égaux de cette circonférence.

Cette loi s'observe exactement au milieu d'une mer libre de tous côtés; mais dans nos ports, les circonstances locales en écartent un peu les marées : la mer y emploie un peu plus de temps à descendre qu'à monter; et à Brest, la différence de ces deux temps est d'environ dix minutes et demie.

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Plus une mer est vaste, plus les phénomènes des marées doivent être sensibles. Dans une masse fluide, les impressions que reçoit chaque molécule, se communiquent à la masse entière; c'est par là que l'action du soleil, qui est insensible sur une molécule isolée, produit sur l'océan, des effets remarquables. Imaginons un canal courbé sur le fond de la mer, et terminé à l'une de ses extrémités par un tube vertical qui s'élève au-dessus de sa surface, et dont le prolongement passe par le centre du soleil. L'eau s'élevera dans ce tube, par l'action directe de l'astre qui diminue la pesanteur de ses molécules, et surtout par la pression des molécules ren→ fermées dans le canal, et qui toutes font un effort pour se réunir au-dessous du soleil. L'élévation de l'eau dans le tube, au-dessus du niveau naturel de la mer, est l'intégrale de ces efforts infiniment petits: si la longueur du canal augmente, cette intégrale sera plus grande, parce qu'elle s'étendra sur un plus long espace, et parce qu'il y aura plus de différence dans la direction et dans la quantité des forces dont les molécules extrêmes seront animées. On voit par cet exemple, l'influence de l'étendue des mers sur les phénomėnes des marées, et la raison pour laquelle le flux et le reflux sont insensibles dans les petites mers, telles que la mer Noire et la mer Caspienne.

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La grandeur des marées dépend beaucoup des circonstances locales les ondulations de la mer, resserrées dans un détroit, peuvent devenir fort grandes; la réflexion des eaux par les côtes opposées, peut les augmenter encore. C'est ainsi que les marées

généralement fort petites dans les îles de la mer du Sud, sont trèsconsidérables dans nos ports.

Si l'océan recouvrait un sphéroïde de révolution, et s'il n'éprouvait dans ses mouvemens, aucune résistance; l'instant de la pleine mer serait celui du passage du soleil au méridien supérieur ou inférieur; mais il n'en est pas ainsi dans la nature, et les circonstances locales font varier considérablement l'heure des marées, dans des ports même fort voisins. Pour avoir une juste idée de ces variétés, imaginons un large canal communiquant avec la mer, et s'avançant fort loin dans les terres: il est visible que les ondulations qui ont lieu à son embouchure, se propageront successivement dans toute sa longueur, ensorte que la figure de sa surface sera formée d'une suite de grandes ondes en mouvement, qui se renouvelleront sans cesse, et qui parcourront leur longueur, dans l'intervalle d'un demi-jour. Ces ondes produiront à chaque point du canal, un flux et un reflux qui suivront les lois précédentes; mais les heures du flux retarderont, à mesure que les points seront plus éloignés de l'embouchure. Ce que nous disons d'un canal, peut s'appliquer aux fleuves dont la surface s'élève et s'abaisse par des ondes semblables, malgré le mouvement contraire de leurs eaux. On observe ces ondes, dans toutes les rivières près de leur embouchure: elles se propagent fort loin dans les grands fleuves; et au détroit de Pauxis dans la rivière des Amazones, à quatre-vingts myriamètres de la mer, elles sont encore sensibles.

: Considérons présentement l'action de la lune, et supposons que cet astre se meut uniformément dans le plan de l'équateur. Il est clair qu'il doit exciter dans l'océan, un flux et un reflux semblable à celui qui résulte de l'action du soleil, et dont la période est d'un demi-jour lunaire; or on a vu dans le livre précédent, que le mouvement total d'un système agité par de très-petites forces, est la somme des mouvemens partiels que chaque force lui eût imprimés séparément; les deux flux partiels produits par les actions du soleil et de la lune, se combinent donc sans se troubler, et de leur combinaison, résulte le flux que nous observons dans nos ports.

De là naissent les phénomènes les plus remarquables des marées.

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