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idées qu'avaient leurs ancêtres. Ils considèrent la fin de l'existence comme le commencement d'un sommeil paisible. Ils ne veulent pas que ce moment soit accompagné de terreur et d'images lugubres. Les saints les plus vénérés parmi eux sont saint Georges et saint Démétrius. Le premier est toujours monté sur un cheval blanc, le second sur un cheval bai. En général l'habitant du Levant se résigne tranquillement à sa destinée, et se montre supérieur à tous les événemens; c'est une suite de sa croyance religieuse et de l'impression douloureuse des fers de la tyrannie musulmane.

Les Grecs modernes ne sont point ennemis de la joie; ils s'y livrent même avec transport lorsqu'ils sont loin des yeux des Turcs, leurs oppresseurs. Ils ont conservé la plupart des danses anciennes qui prenaient leurs noms de l'action qu'elles représentaient, telles que la romeika ou la danse longue, dans laquelle une seule personne conduit tous les autres danseurs et danseuses qui sont entremêlés ; la pyrrhique, danse noble et martiale; aussi-bien que les danses obscènes et lascives, accompagnées de mouvemens indécens qu'on appelait autrefois jonici motus. Ils ont soigneusement retenu la lyre de Crête, et le chalumeau de Pan, composé de sept tuyaux inégaux, ainsi que la flûte des bergers d'Arcadie. Tout ce qui tient à l'art de l'ancienne pantomime est fort en usage dans le Levant, et particulièrement en Grèce. C'est l'amusement habituel de la société, et on le pousse souvent même jusqu'à des actions figurées très-contraires à la décence, mais qui plaisent beaucoup aux Grecs et

encore plus aux Turcs. Les femmes ont aussi des danses pantomimes et voluptueuses qui donnent de la souplesse à leurs corps et beaucoup de grâce à leurs mouvemens. L'usage de la balançoire, dont l'origine est fort antique, s'est perpétué chez les Levantins, par le besoin qu'ils ont de se rafraîchir et de se donner un exercice salutaire. Dans la plupart des maisons on trouve une salle destinée à ce jeu.

Dans le Levant la forme et la couleur des habillemens qui souvent désignent la qualité, la profession et même le pays des individus, ne varient presque jamais. Les vêtemens des Grecs sont encore aujourd'hui à peu près tels qu'ils étaient autrefois; leur gymnastique est la même; on y retrouve jusqu'aux combats des lutteurs. Ils sont adroits nageurs, bons écuyers; ils excellent dans tous les exercices qui exigent de l'adresse ou de la force. Ils se couvrent ordinairement la tête d'une petite calotte de laine rouge, autour de laquelle ils roulent une bande de mousseline pour l'assujettir. Les anciens Grecs en usaient de même. Leur chaussure consiste en un morceau de cuir qui garantit leurs pieds; elle est attachée avec des bandelettes comme le brodequin antique. Une simple chemise de gaze transparente couvre le sein des femmes grecques sans le toucher, et en modèle les contours; immédiatement au-dessous une large ceinture serre la taille, sans la gêner ni la soutenir; une autre ceinture, fermée par de riches agrafes, marque le tour des hanches, et laisse ensuite la robe ouverte par-devant. Les Grecs saluent, à la manière orien

tale, en portant la main sur le cœur. On ne connaît point dans le Levant l'usage des bois de lit; on dort sur des canapés ou sur des coussins que l'on pose

à terre. La cuisine des Grecs modernes ne laisse pas que d'avoir son art et d'être même fort composée; tout y est chargé d'épices et de graisse; le riz paraît jusqu'à six fois sur la même table avec des formes différentes. Le pilau est le mets favori des Levantins.

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Dans le Levant on se sert pour les correspondances amoureuses, qui y sont fort communes, de fleurs et d'autres objets qui, par leur réunion et le sens proverbial qu'on leur a donné, peuvent exprimer une suite de pensées, et former même un discours, entier.

Ces mêmes Grecs qui, livrés à leur propre naturel, conservent les germes de rares vertus, ont été corrompus par la fréquentation des Francs dont ils ont emprunté tous les vices, sans adopter les qualités; cette influence pernicieuse se fait sentir surtout dans les échelles ou villes maritimes du Levant. L'esprit mercantile et l'agiotage ont rétréci les âmes. La soif du gain a engendré la mauvaise foi; les richesses ont fait naître la vanité et l'orgueil; la crainte de les voir enlevées par le despotisme des Turcs a rendu les possesseurs dissimulés et rampans. Enfin, si l'on retrouve encore dans les Grecs modernes beaucoup des brillantes qualités qui distinguaient les anciens Grecs, on ne peut disconverir que la superstition, fille de l'ignorance et de la servitude, n'en ternisse beaucoup l'éclat. C'est le trait le plus remarquable de leur caractère : ils

sent sous

ne rêvent que magie et ensorcellemens; ils marchent sur l'ombre de ceux à qui ils veulent nuire; ils clouent leurs souliers qu'ils enfouissous un tas de pierres après avoir prononcé des paroles d'anathème. Enfin il n'est pas de sottises et de puérilités qu'ils n'emploient pour satisfaire leur penchant à la magie. Il y a surtout une croyance très-commune parmi eux; c'est que par un nœud magique que l'on jette à son ennemi, on peut le priver des jouissances de l'amour. Pour prévenir ce maléfice, l'époux, au moment de la bénédiction nuptiale, pose un genou sur la robe de l'épouse, et croit ainsi se dénouer l'aiguillette. On reconnaît de plus dans le caractère des Grecs modernes, cette inconstance, cette souplesse, cette foi légère, cet esprit artificieux dont les Grecs de l'antiquité ont été accusés, et si bien dépeints par ce vers de Virgile:

Timeo Danaos et dona ferentes;

et que confirme encore aujourd'hui ce proverbe cité par Spon: Dieu nous préserve des Juifs de Salonique, des Grecs d'Athènes et des Turcs de Négrepont.

M. de Pauw, dans ses Recherches philosophiques sur les Grecs, et M. Muller dans son Voyage en Grèce et en Ionie, ne font pas des Grecs modernes un portrait avantageux. A entendre le premier, « on ne peut trouver d'expressions pour dépeindre l'avilissement où les Grecs sont tombés de nos jours et par leur propre faute. Ce peuple, dit-il, rentré en enfance, n'est plus qu'un vil fardeau de la terre

et l'opprobre de ses aïeux dont il foule aux pieds les tombeaux sans même les connaître. » Cette opinion, sans doute, est exagérée. Le second s'exprime ainsi sur leur compte: «Il est à peu près impossible à des Européens de concevoir leurs mœurs et de décrire leurs caractères et leurs habitudes. Vains de leurs aïeux, dont ils n'ont, ainsi que tous les Grecs sans éducation, que des idées confuses et bizarres, ils se glorifient d'une illustre origine, tout en se livrant à la crapule la plus honteuse. Celle-ci, de plus, est couronnée chez ces hommes abjects par une lâcheté et une poltronnerie sans exemple, et malheureusement, malgré tout ce qu'on a écrit de leur valeur, ils ne montrent un peu d'énergie que lorsqu'il s'agit de dérober un cheval, un mouton ou tout autre objet; mais un ennemi valeureux, qui n'offre à leur cupidité aucun espoir de rapine, les trouve toujours sans force et sans courage. Que ces reproches soient bien ou mal fondés, nous pensons que les Grecs peuvent, à l'aide de puissans secours, faire de grands pas vers la liberté et la civilisation.

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PROVERBES GRECS MODERNES.

1. Celui qui n'est pas dans le rang (dans la danse), sait toujours assez de chansons. Les ménétriers grecs ont coutume d'accompagner par des chants le son de leurs instrumens, et quelquefois même, dans les brusques mouvemens de leur gaîté, les danseurs hors d'haleine font entendre aussi leurs voix; d'où est venu le proverbe.

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