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ternit ensuite tout l'éclat de son antique gloire par la réunion des vices les plus honteux. Remontons aux causes de cette dégénération morale. Lorsqu'après le seconde guerre punique, les Romains eurent vaincu Philippe, roi de Macédoine, ensuite Persée son fils, et que de là ils eurent poussé leurs conquêtes jusque dans l'Asie, ce fut alors qu'oubliant les vertus de leurs ancêtres, ils adoptèrent le luxe et les arts des peuples qu'ils avaient vaincus, ainsi que leurs vices et leurs mœurs dissolues. C'est en vain que Caton le censeur voulut arrêter les progrès d'une licence qu'il n'était plus possible de réprimer; son austère vertu vint échouer contre le choc des passions soulevées, qui entraînaient le peuple romain dans le gouffre des plus affreux excès. La richesse dans les ameublemens, la somptuosité dans les repas, le luxe dans les habillemens, vinrent seconder la corruption des mœurs. On eut beaucoup de vases d'or et d'argent pour le service des tables. On entretint une foule d'esclaves, moins pour les travaux utiles que pour la représentation : dans le prix excessif qu'on y mettait, on ne considérait point leur aptitude au travail, mais leur jeunesse et leur beauté. Non-seulement les femmes, mais les hommes employaient plus de temps à leur toilette et plus d'argent en habillemens et en parures, que les anciens Romains n'eussent cru convenable à leur dignité. Le jeune Scipion reprochait à l'un de ses contemporains, d'être tous les jours devant un miroir, de se raser les sourcils, de s'arracher la barbe et tout 9

T. I.

le poil du corps avec un emplâtre de poix chaude, pour se rendre la peau douce et unie;

Qualem

Bruscia præstabat calidi circumlita fascia visci.

(JUVENAL, sat. IX. )

de se parfumer d'odeurs et d'essences précieuses, de paraître en public avec une tunique à longues manches, d'être à table avec son giton favori comme s'il eût été avec une courtisane. La robe traînante devint une marque de mollesse, comme l'avait été en Grèce le manteau traînant; c'est pourquoi les Romains appelaient discincti les hommes mous et effeminés, cincti et cinctuli les braves gens. Horace, pour noter un homme enfoncé dans la mollesse, dit :

Malthinus tunicis demissis ambulat.

. Malthinus marche la robe traînante. » C'est une chose certaine, dit Plutarque, que les habits des homines marquent leurs mœurs.

Une vie molle et voluptueuse avait remplacé cette vie animée qui ne laissait aucun repos au peuple romain, si long-temps avide de gloire. La corruption passa bientôt des grands au peuple, qui, perdant l'amour du travail, ne voulut plus vivre que dans la dissipation et l'oisiveté. Le vice dominant des Romains était une passion effrénée pour les spectacles, panem et circenses, voilà tout ce qu'ils demandaient. Parmi les grands, c'était un luxe et une dépense sans bornes. La somptuosité

et la délicatesse dans les festins ne firent pas de moindres progrès que le luxe dans la parure et la recherche dans les ameublemens. Chez les Romains, dans toutes les maisons riches, il fallait prendre un bain avant de se mettre à table, et ceux qui pratiquaient la galanterie, y répandaient quelques essences d'une odeur agréable. Ils mangeaient sur des lits de repos, triclinia, autour desquels on plaçait des tables couvertes de tapis brodés ou de lames de cuivre de Corinthe, car on n'avait pas encore l'usage du linge, puisqu'Ovide, qui était chevalier romain, dit, qu'étant à table auprès de sa maîtresse, il écrivait je vous aime, sur la table même, avec du vin dont il mouillait le bout de son doigt. Ils avaient des toiles de lin, mais ils ne s'en servaient pas pour l'usage de la table, ni même pour celui du corps. Leurs serviettes étaient d'une étoffe extrêmement façonnée et quelquefois même brochée d'or. Ce goût pour la sensualité de la table fut accompagné des excès les plus crapuleux, de l'ivrognerie et de la gloutonnerie les plus grossières, et des lubricités les plus effrontées. Du temps de Cicéron, il était du bon ton, lorsqu'onétait invité à un festin, de s'y préparer d'avance en se faisant vomir. César lui-même était dans cet usage. C'en était également un fort commun de soulager son estomac par un vomitif au sortir de table, comme dans le siècle dernier on prenait chez les matadors de la finance des douches ascendan tes pour se débarrasser du trop plein. La licence était telle, que l'issue des repas, dit encore Cicéron, ressemblait à l'issue d'un combat; la plupart

des convives étaient laissés pour morts sur le champ de bataille; exploits que les Anglais imitent assez souvent dans leurs orgies. Enfin, on rougissait si peu de la gourmandise et de l'ivrognerie, que MarcAntoine se trouva un jour dans une audience publique, tellement pris de vin, qu'il avait bu avec excès la nuit précédente, qu'il le vomit et qu'il en inonda son tribunal à la vue du peuple romain.

Parlons du caractère moral des Romains. Ils connurent peu ces vertus douces et philantropiques, la charité et la compassion envers le prochain. Le malheur, la pauvreté, la misère, et les maladies faites pour apitoyer les hommes, n'intéressaient jamais leur sensibilité et glissaient sur leurs cœurs que l'ambition avait endurcis. Que pouvait-on attendre d'un peuple qui faisait descendre de malheureux prisonniers dans une arène pour s'entr'égorger, et lui procurer un spectacle dont il repaissait ses yeux avides; d'un peuple qui avait la cruelle coutume d'exposer des enfans nobles, pour ne pas surcharger une famille patricienne; d'un peuple, enfin, chez lequel un citoyen illustre, Caton le censeur, si renommé par l'austérité de ses mœurs, n'avait pas honte de vendre impitoyablement ses esclaves, quand ils étaient vieux, comme un bétail inutile.

La cruauté réfléchie des Romains envers leurs ennemis, tenait plus à un peuple essentiellement inhumain et barbare qu'à une nation instruite et policée. Ils condamnèrent à mort des rois vaincus, après les avoir humiliés en les faisant servir à leurs triomphes. Aristonic, vaincu par le consul Acqui

lius, fut étranglé par ordre du sénat. Jugurtha mourut de faim dans un cachot infect, après avoir vu son manteau royal déchiré ignominieusement par un bourreau. Vercingentorix, Sabinus et plusieurs autres infortunés, terminèrent leurs jours dans d'affreux supplices. César, si célèbre par sa clémence, fit mourir à coups de bâton le sénat des Carnutes. Enfin, pour comble d'atrocité, les Romains, pratiquant si bien leur cruelle maxime, væ victis! faisaient mourir les rois vaincus, leurs fils innocens, leurs filles, qu'ils faisaient préalablement déshonorer par des bourreaux.

La chasteté était une vertu réellement inconnue aux Romains. Peut-on rien imaginer de plus infâme que les orgies, les bacchanales, les périphallies, les fêtes de Flore, où les femmes publiques devaient se montrer toutes nues, au son de la trompette, comme nous l'apprend Juvénal par ce passage:

Dignissima prorsùs,
Florali matrona tubâ;

et accompagner leur nudité de tout ce que les gestes et le discours pouvaient inventer de plus licencieux? Le libertinage et la dépravation y furent portés si loin, que l'autorité publique, tout indulgente qu'elle était, fut obligée d'en arrêter le cours, et que Juvenal n'a pu s'empêcher d'en parler, dans sa deuxième satire, avec tout le sentiment de l'indignation.

Que dire d'un peuple assez superstitieux pour attacher ses destinées au chant et au vol des oiseaux, à leur manière de boire ou de manger à la

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