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sortie de leur cage, à l'inspection et à la disposition des entrailles des victimes, et surtout à la discrétion des augures et des aruspices, vrais charlatans dont l'effronterie et la duplicité donnèrent occasion à Annibal de se moquer du roi Prusias, qui avait plus de confiance dans les entrailles d'un veau, que dans les talens et l'expérience des plus habiles capitaines; et à Cicéron de dire, qu'il ne concevait pas comment deux augures et deux aruspices pouvaient se regarder sans rire, connaissant toute la vanité de leur science? Que dire d'un peuple qui regardait comme des présages sinistres les choses les plus ordinaires et les actions les plus simples de la vie, telles que une coupe ou une salière renversées, des cendres dispersées, du miel ou de l'huile répandue, un chien noir qui entrait dans une maison étrangère, la rencontre d'un lièvre, d'un serpent ou d'un loup qui passait de la gauche à la droite, ou celle d'une belette, un serpent qui serait tombé d'une gouttière, les cris d'une chouette, heurter du pied contre quelque objet, s'accrocher à quelqu'autre par ses habits, parler d'incendie dans un festin, verser de l'eau sous la table où l'on mangeait, s'il arrivait que tous les conviés se tussent tous en même temps sans dessein prémédité et comme par hasard, que des rats rongeassent quelque chose de précieux, si les pieds démangeaient, et mille autres choses plus minutieuses les unes que les autres; même un œuf cassé par accident?

Que dire de cette foule de divinités si singulières que les Romains, égarés par une philosophie erronée et dans le but d'étouffer les remords de leurs

consciences, s'étaient créées pour s'autoriser dans leurs désordres et se livrer à tous leurs penchans déréglés? Les poètes, profitant du privilége de tout dire et d'embellir ce que leur imagination pouvait leur suggérer de plus absurde, ont divinisé les vices les plus monstrueux. Jupiter était un libertin, un adultère, et bien autre chose; Mercure un voleur et un proxénète. L'ivrognerie, sous le nom de Bacchus, avait un temple et des autels auxquels Caton d'Utique, ce sage si vanté, venait faire de fréquentes libations. On honorait l'impudicité sous le nom de Vénus, et jamais culte ne fut si bien et si générale-. ment desservi; l'emportement et la cruauté étaient honorés sous le nom de Mars. De combien d'offrandes ne comblait-on pas les autels des dieux de l'impureté, Phallus, Bacchus et Mercure, des déesses Vénus, Cotytto, Persica, Prema, Pertunda et Lubentie! Tout, aux yeux des Romains, retraçait les images de la volupté. Le pain même que mangeaient les athlètes était pétri d'ingrédiens propres à leur donner de la vigueur, et avait la forme d'un Phallus. Les hommes dissolus buvaient dans des vases représentant cette figure. On offrait un triple encens à l'Usure, cette divinité si particulièrement révérée par Caton, qui, tout censeur qu'il était, ne laissait pas que de prendre les intérêts des intérêts dans son commerce sur les esclaves et sur les navires, ce que Plutarque regarde comme l'usure la plus vile, et qui, feignant de s'élever avec force contre ce vice si infâme, ressemblait à cet usurier qui priait avec instance tous les prédicateurs de tonner contre l'usure, afin d'exercer lui seul une pro

fession que les autres auraient abandonnée. Enfin, pour comble d'extravagance, on ne pourrait croire qu'une divinité aussi ridicule que le dieu Petus (Crepitus), reçût les hommages des Romains, si des autorités dignes de foi, telles que saint Jérôme, saint Césaire, Lactance et Minutius Félix, ne l'eussent attesté. Sénèque, honteux sans doute de tant d'abominations, dit que cette multitude de divinités fut introduite chez les Romains pour ôter aux méchans la honte de rougir, et pour qu'ils trouvassent une excuse à leurs crimes dans l'exemple de leurs dieux qui protégeaient ces mêmes crimes; et Juvénal, se moquant de ce polythéisme si fécond, disait qu'Atlas gémissait sous le fardeau de tant de dieux qu'on avait placés dans le ciel.

Voilà ces Romains dont on a admiré si longtemps les hautes vertus, et qu'on propose pour modèles à la jeunesse des temps modernes. Tout ce que nous venons de dire peut servir à expliquer et à étendre le sens de quelques citations renfermées dans les proverbes latins, et motiver les réticences dont j'ai usé dans certains passages, qu'une réserve légitime m'a souvent contraint de modifier.

PROVERBES LATINS.

1. Achillei pedes, pieds d'Achille. Parmi les grandes qualités physiques dont Achille était doué, Homère a vanté la légèreté des pieds du héros de son Iliade. On lui avait en conséquence donné le surnom grec de Podarches, pedibus celer. Ce héros est trop connu pour qu'il soit besoin de donner ici aucun

détail sur sa personne. Je relèverai seulement une petite contradiction dans laquelle est tombée la mythologie; elle prétend qu'Achille était invulnérable, excepté au talon, par lequel on l'avait tenu lors de son immersion dans les eaux du Styx. Cependant un fait vient la démentir : le héros, irrité du refus qu'on lui faisait de la main de Polixène, sœur d'Hector, reprit les armes, et avoua sa faiblesse à Ménélas. A la première attaque, les Troyens plièrent, Hector seul resta ferme sur le champ de bataille. Achille ayant lancé son javelot contre le conducteur du char d'Hector, celui-ci se sauva, et Achille ne put le rejoindre qu'après la mort de Patrocle. Le Troyen Hélénus, caché dans la foule, profita de l'emportement d'Achille, uniquement occupé à la recherche d'Hector, et lança contre le prince grec une flèche, qui le blessa à la main, et le mit hors de combat. Les eaux du Styx n'avaient donc pas rendu sa main invulnérable? Au reste, cette fiction d'invulnérabilité, qui devait rendre Achille moins intéressant aux yeux des braves, n'était point admise du temps d'Homère. Cette faculté tenait sans doute à une préparation dont on enduisait la peau, afin d'émousser le tranchant du fer, comme celle qu'employaient les gladiateurs chez les Romains pour rendre la peau plus ferme et plus dure.

2. Nasum rhinocerontis habet. Il a un nez de rhinocéros. Expression proverbiale et familière aux Romains. Un long nez, suivant eux, annonçait une grande disposition à la raillerie. Un railleur était désigné par le mot nasutus. Comme il n'est

pas dans la nature d'animal qui ait le nez plus long (si on en excepte l'éléphant), ou plutôt une protubérance plus singulière que la corne qui surmonte les narines du rhinocéros, les Romains en avaient fait le type ou le caractère de la raillerie.

3. Chère et repas des Saliens. La procession des Saliens, ou prêtres de Mars, ainsi nommés, parce qu'à la fête du dieu ils portaient par la ville, en dansant et sautant, les boucliers sacrés, se faisait dans le mois de mars, et durait quatorze jours, c'està-dire autant qu'il y avait de quartiers à Rome, car ils ne visitaient qu'un quartier par jour, et dans chacun de ces quartiers ils avaient un autel où le public les traitait avec une si grande magnificence, que la somptuosité de leurs repas passa en proverbe.

4. Sardi venales, alius alio nequior. Sardiens à vendre, tous plus méchans les uns que les autres. Proverbe que l'on appliquait à Rome à tous les prisonniers que l'on traînait en triomphe. Sinnius Capito raconte ainsi l'origine de ce proverbe : Tibérius Sempronius Gracchus, s'étant emparé de l'ile de Sardaigne, en emmena un si grand nombre d'esclaves, que pendant long-temps on ne vit que Sardes à vendre dans le marché. Ce cri si souvent répété était passé en proverbe.

5. Capta quidem serò Pergama, capta tamen. Enfin, quoique tard, Troye est prise. Cela voulait dire proverbialement, qu'on vient à bout de tout, pourvu qu'on y mette tout le temps qu'il faut.

6. Scindere penulam. Arrêter quelqu'un par le

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