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dage donne à cette vérité une pointe pour la rendre plus pénétrante. Il n'y a que du sens et de la précision dans le proverbe, il y a de l'esprit et de la finesse dans l'adage. Le proverbe instruit, l'adage excite. Le proverbe qui joint à l'instruction des motifs d'agir est un adage. Tout ce qui reluit n'est pas or; monnaie fait tout; nul n'est prophète en son pays; tel maître, tel valet. Voilà de simples proverbes qui nous apprennent ce qui est, ce qui se passe, ce qu'on a observé, sans autre circonstance remarquable que la précision des phrases. Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée; un tiens vaut mieux que deux tu auras; la mélancolie ne paie pas les dettes; faites bien, bien vous vient. Voilà des proverbes qui deviennent adages par une tournure singulière, par l'invitation qu'ils nous font, par les règles de conduite qu'ils nous donnent.

Dans les adages d'Érasme, comme dans les proverbes arabes de Scaliger, les proverbes et les adages sont confondus ensemble et avec raison, continue l'abbé Roubaud, car il est inutile de les distinguer; il n'est pas toujours facile de le faire; et comme les adages sont une espèce de proverbes, les bons proverbes tiennent toujours de l'adage. Je pense qu'il est également essentiel d'établir une distinction entre le proverbe, la sentence, la maxime et l'apophthegme. Quant aux deux premiers, l'un n'est pas toujours l'autre, et réciproquement : Ne confiez pas une épée à un enfant; voilà à-la-fois un proverbe, et une sentence cachée sous le voile de l'allégorie. La vertu se perd elle-même dans l'intérêt, comme les fleuves se perdent dans la mer; les grands

arbres sont long-temps à croître, il ne faut qu'un jour pour les abattre. Ce sont des sentences qui tiennent du proverbe. Nous nous raidissons toujours contre ce qui nous est défendu, et nous désirons avec ardeur ce qu'on nous refuse; un objet possédé vaut rarement celui qu'on poursuit: ce sont des sentences qui n'ont rien de proverbial.

La maxime doit être serrée, concise, expriméc en termes imposans :

Les vertus ne donnent point d'orgueil. (DUCLOS. ) L'opinion n'est que l'intérêt en masque. (POPE.) La guerre est le tribunal des rois, et les victoires sont ses arrêts. (RIVAROL.)

La fausse modestie est le plus décent de tous les mensonges. (CHAMPFORT.)

Toutes ces maximes qu'on retient aisément, parce que le sens en est clair, sont empreintes de ce cachet naturel qui constitue seul la véritable éloquence.

L'apophthegme ou parole mémorable de quelque personnage célèbre, tout en présentant un sens qui se retrace à l'esprit et applicable dans la conversation, est trop relevé et n'est pas d'un usage assez général pour avoir son brevet d'admission dans la classe des proverbes. Tel est celui-ci : la femme de César ne doit pas même être soupçonnée. Mais l'adage rapporté par Plutarque, qui semetipsum non habet, Samum petit: il ne peut disposer de luimême, et il demande Samos, renferme l'essence qui constitue l'apophthegme et le proverbe. La conduite des Athéniens livrant leur ville au vainqueur et demandant qu'on leur laissât au moins Samos, adonné

lieu à ce proverbe, applicable généralement à ceux qui font des demandes absurdes et montrent des prétentions ridicules, qui doivent être suivies d'un refus d'y accéder.

La perfection de tout ouvrage littéraire, quel qu'en soit le sujet, consiste en trois choses essentielles pour plaire dans une heureuse invention dans un arrangement convenable, et dans un style proportionné au sujet. Le proverbe doit remplir ces conditions; il doit se faire remarquer en outre par deux qualités essentielles définies par Erasme : celebritas et novitas que je traduis par ces mots français correspondans: celebritas, usage très-fréquent d'une locution, qui, à force de passer par toutes les bouches, a acquis cette célébrité qui la perpétue; et novitas, l'intérêt qui s'attache à une expression dont le sens moral peut piquer l'esprit et la curiosité.

Et par le prompt effet d'un sel réjouissant,
Devenir quelquefois proverbes en naissant.

(BOILEAU.)

Les proverbes sont les richesses et la sagesse des nations. Cette vérité est démontrée par l'expérience. Toutes les nations semblent en effet rivaliser de zèle pour les adopter et en enrichir le vocabulaire de leur langue. Ce n'est pas tout; elles sont plagiaires les unes des autres, et le même sens moral se revêt des coloris variés, des images et des pensées particulières à chacune de ces nations. Les unes se distinguent par l'originalité, la naïveté et le naturel de l'expression, telles que les Français,

les Italiens et les Espagnols; les autres par la recherche et la complication des idées, telles que les Chinois, les Japonais et presque tous les peuples de l'Orient à qui l'hyperbole est familière. Ainsi tout le monde saisira la justesse et l'enchaînement des idées renfermées dans ce proverbe oriental: avec du temps et de la patience, la feuille de mûrier devient de la soie. Cette brillante métaphore est sans doute le fruit de la réflexion; mais les nations qui joignent la vivacité de l'esprit à la fécondité de l'imagination, saisissent plutôt les rapports des choses qui se présentent sous un sens simple, que sous un sens composé. Cardan, en son livre de Sapientia, a fort bien observé que la sagesse et la prudence d'une nation sont contenues dans ses proverbes ; j'ajoute qu'on trouvera toujours son esprit dans ses adages. Je ferai remarquer que parmi toutes les locutions des langues comme dans toutes les sentences, les proverbes, les dictons qui sont les résultats de l'expérience des peuples, il n'en est aucun à l'appui de l'atheisme.

Les proverbes renfermant un si grand nombre de vérités morales, et pour ainsi dire palpables au simple bon sens, il n'est pas extraordinaire qu'ils aient servi de canevas à nos anciens auteurs dramatiques: ils ont saisi le sens figuré du proverbe, ils ont créé une action, l'ont étendue, et ont imaginé, pour concourir à cette action, des personnages auxquels ils ont donné un caractère distinctif et l'opposition convenable au sujet du drame. Le goût ne s'est épuré qu'insensiblement, l'art était encore dans l'enfance. Antérieurement même à

T. I.

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cette création, les vérités morales exprimées en peu de mots et sous la forme proverbiale, durent être le sujet des chansons des premiers trouverres ou troubadours qui s'appliquaient à rendre, dans le langage de la gaie science ou de la poésie, le sens développé de ces vérités. En accompagnant leurs tensons et leurs sirventes des sons touchans de leurs voix ou des accords harmonieux de la lyre, ils durent nationaliser les proverbes, ceux surtout qui avaient le plus de rapport avec les mystères de l'amour dont ils étaient les chantres privilégiés.

On peut regarder le proverbe comme une vérité morale réduite à sa plus simple expression, ou bien adopter la définition qu'en donne Rivarol :

Les proverbes sont les fruits de l'expérience de tous les peuples, et comme le bon sens de tous les siècles réduit en formule. » Un proverbe exprimé en deux ou trois mots, remplit la condition de son essence, clarté et précision, qui sont les qualités distinctives du genre. L'expression resserrée dans le cercle le plus étroit, donne aux fibres du cerveau une commotion qui ouvre la mémoire, et la pensée s'y loge d'une manière imperturbable. Mais c'est surtout la justesse de son application qui en fait tout le prix, c'est un prisme de lumière dont les reflets se répercutent sur tout le discours; c'est une saillie qui étonne l'âme et imprime à la conversation ce charme qu'accompagnent l'hilarité et la satisfaction générale. Sous ce rapport, notre langue n'a rien à envier à celle des autres nations. La précision de ses proverbes est le meilleur argument qui parle en faveur de sa supériorité. On en

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