Page images
PDF
EPUB

jugera par les proverbes suivans: paix et peu; peu et bon; tout ou rien; à bon chat, bon rat; à bon payeur. bon marché; qui doit a tort; qui a compagnon, a maître; qui femme a, noise a; mieux vaut règle, que rente; mal soupe, 'qui tout díne; enfuns et sots sont devins. Peut-on rendre plus de pensées en moins de mots? Que Rome nous vante la concision de ses sentences; Athènes, la saveur et le piquant de son sel attique; et Lacédémone, le laconisme de ses apophthegmes, nous sommes assez riches de notre propre fonds pour n'avoir rien à leur en

vier.

C'est dans cette matière, qu'en dépit de Boileau, nous pouvons faire accorder la rime et la raison. Lorsqu'un proverbe renferme deux pensées qui présentent opposition, il ne peut se rendre d'une manière brève et concise; alors la rime vient à son secours et le grave plus profondément dans l'esprit. Les Français, les Italiens et les Espagnols ont adopté cette méthode qui semble emprunter le charme et l'intérêt de la poésie comme d'heureux auxiliaires de la mémoire. Les exemples suivans en font foi. A grasse cuisine, pauvreté voisine; à père amasseur, fils gaspilleur; qui tard veut, ne veut; à bâtir trop se hate, qui commence à bourse plate. Les anciens faisaient quelquefois usage de la rime, et ce qui fortifie ma conviction sur la supériorité de cette méthode, c'est que les meilleurs adages sont ceux où cet emploi est fréquent. Quant aux adages composés en latin dans le moyen âge, ils sont tous rimés; mais la dégénération de la langue latine à cette époque a dû influer nécessairement sur la

pureté et l'élégance des termes qui concourent à leur expression, et les commentateurs y ont ajouté une obscurité telle, qu'on pourrait les comparer individuellement à ce peintre d'Ubada, nommé Orbaneja, si plaisamment dépeint par Michel Cervantes. Lorsqu'on lui demandait ce qu'il peignait, il répondait, ce qui se rencontre; et quand il avait peint un coq, il écrivait au-dessous, c'est un coq... Le fameux écuyer Sancho Pança est un rare modèle de bouffonnerie et de naïveté proverbiales: sous le masque d'un personnage aussi grotesque, l'immortel auteur de Don Quichotte trouve l'ingénieux moyen de dire des vérités familières et qui portent coup. Le grand bon sens de Sancho se montre habilement dans toutes les occasions où il s'agit de donner des leçons de morale civile, et principalement d'économie politique. On pourrait dire, sans outrer le tableau, que c'est le véritable bréviaire des gens en place. Ils trouveront dans la description du gouvernement de l'île Barataria, d'excellens documens pour se bien conduire. Ce qu'il faut admirer dans la pénétration d'esprit de Cervantes, c'est que la morale qu'il fait débiter à Sancho, emprunte toute sa force de son esprit d'équité et de son jugement naturel. C'est sur les gens de loi, genus inevitabile, qu'il tire à brûle-pourpoint; mais c'est surtout à l'occasion des gouverneurs que Sancho trouve à gloser. Se disposant à aller dans son gouvernement et à y mener son grison, il dit : « Ce n'est pas le premier âne que j'ai vu mener à un gouvernement, et il y en a plus de trois qui couchent entre deux draps.

F

De toutes les sciences, dit Erasme, il n'en est peut-être pas de plus ancienne de plus ancienne que celle des celle des proverbes; toute la raison humaine, dit-il, se réduit à quelques proverbes, et l'adage est le meilleur rudiment de l'instruction. Sans partager la prédilection exclusive dont l'ingénieux Erasme s'était passionné pour les proverbes, qu'il regarde dans son enthousiasme comme le compendium des vérités humaines, il est certain que la connaissance en est indispensable pour l'intelligence des meilleurs auteurs grecs et latins; et quand ils n'offriraient que cet avantage, ils laisseraient toujours à Erasme, la gloire d'avoir combattu pour ses enfans chéris, en défendant le fruit de ses travaux et de ses veilles. Il est certain également que la philosophie a puisé dans la science des proverbes des secours précieux pour éclaircir, expliquer et analyser des vérités morales que leur antiquité pouvait rendre méconnaissables, et qui ne sont parvenues jusqu'à nous, en traversant la série des siècles, qu'à la faveur de certaines données que la tradition et le savoir des philosophes ont su débarrasser de la rouille du temps.

Doit-on récuser l'autorité d'Aristote, fortifiée de celle d'Erasme, qui s'exprime ainsi dans ses adages: Aristote pense que les proverbes ne sont que les restes de cette ancienne philosophie détruite par la vétusté des temps; que ces restes n'ont été conservés qu'à la faveur de leur ténuité, de leur précision et de leur agrément; qu'il faut bien se garder de les considérer comme des riens et les dédaigner, mais au contraire les méditer et les approfondir:

ils recèlent des étincelles de cette sagesse antique dont la finesse dans la recherche de la vérité peut mettre en défaut toute la perspicacité des philosophes des temps postérieurs.

La connaissance des proverbes anciens est nonseulement, sous le rapport historique, nécessaire à celui qui veut retirer du profit de la lecture des bons auteurs grecs et latins, pour expliquer certains usages qui ont donné lieu à ces proverbes, mais encore, sous le rapport de la comparaison des idées, à ceux qui se livrent à la littérature française, pour en faire comme une traduction nouvelle et une ingénieuse application.

Nous devons, au risque même de compromettre notre affection pour les proverbes, convenir d'une vérité, c'est que nos aïeux ont étrangement abusé des proverbes, jusqu'à mêler les adages les plus agréables avec les plus grossiers quolibets, et à les entasser les uns sur les autres avec aussi peu de mesure que de goût; mais l'abus que l'on fait d'une vérité n'en détruit point le principe. Fallait-il pour cela, dit l'abbé Roubaud, les négliger, les décrier, et se jeter dans les quolibets les plus plats, les rébus et les calembourgs où tant de gens d'esprit mettent si souvent tout leur esprit à faire heureusement les sots? Aussi a-t-on dénaturé les proverbes en les affublant de la souquenille de la caricature. Gabriel Meurier est surtout justiciable du fait. Chacun n'a pas son molinet; chacun ne dort pas en molinet; qui art a, partout part a.

De tous les écrivains français, Rabelais est sans contredit celui qui fut le plus prodigue de pro

verbes, et qui contribua, par l'abus qu'il en fit, à en dégoûter la nation française, et surtout la classe la plus relevée de la société; mais il faut avouer que la licence de sa plume, et le dévergondage de ses idées, n'ont pas peu contribué à jeter de la défaveur sur les proverbes, et ont nui, par leur excès, à ce qu'un emploi sage et modéré avait d'utile et d'agréable. C'est en vain que Henri Etienne et Nicot s'efforcèrent de faire passer à la postérité l'héritage de Rabelais; la postérité n'a pris la succession que sous bénéfice d'inventaire; et si quelquefois les enfans du délire satirique du curé de Meudon se hasardent à se montrer dans la société, ce n'est que revêtus d'un manteau décent qui cache leur nudité originelle; ou, s'ils osent braver la honte, ce n'est qu'à la faveur de la licence, et dans le déduit d'une conversation dont la gêne et l'honnêteté sont exclues.

Aussi ont-ils été frappés d'anathème par ceux des auteurs qui ont le plus contribué au perfectionnement de la langue française. Vaugelas les avait pris en haine; Perrot d'Ablancourt a dédaigné de les employer dans sa traduction de Lucien, et Nicole attribue à la trivialité et à l'empreinte de bassesse de ceux qui sont dans la bouche du peuple, le mépris qu'on en fait. Le père Bouhours les compare à ces habillemens antiques qui sont dans les gardes-meubles des grandes maisons, et qui ne servent tout au plus qu'à des mascarades ou dans des ballets. Cependant il atténue sa critique, en disant que les proverbes sont les sentences du peu

« PreviousContinue »