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ple, et que les sentences sont les proverbes des honnêtes gens.

Au reste, dit Erasme, on doit employer les proverbes moins comme une nourriture pour l'esprit que comme un assaisonnement pour le discours: les prodiguer jusqu'à satiété, c'est leur faire perdre tout ce qu'ils ont de piquant; d'ailleurs la fureur de les accumuler, dans un même sujet s'entend, en fait admettre de froids et de forcés. On est peu délicat sur le choix, quand on n'est occupé que du nombre, et l'agrément n'est jamais où se trouvent l'excès et l'inutilité. Le style épistolaire admet plus de liberté; mais un sujet grave demande plus de sobriété et d'attention dans le choix des proverbes.

Les proverbes ont trouvé, dans le héros de Cervantes, Don Quichotte, un censeur sévère; le chevalier de la Triste Figure est un homme de grand sens, lorsqu'il n'est pas dominé par sa passion pour la chevalerie. On ne peut disconvenir qu'il ne donne à son écuyer des préceptes admirables sur la conduite que Sancho doit tenir dans son gouvernement de l'île de Barataria, sur les manières, les qualités et les défauts d'un homme appelé à gouverner les autres. Au milieu de ce cours de morale politique, il tance vigoureusement Sancho sur son incorrigible manie de débiter des proverbes à tout propos; mais Sancho, tout en promettant de se corriger, répond à la leçon de son maître par un flux de proverbes qui caractérisent d'une manière originale la force de l'habitude.

Chassez le naturel, il revient au galop.

Donne-toi de garde aussi, Sancho, dit le chevalier, de mêler dans tes discours cette foule ordinaire de proverbes; car, quoique ces manières de parler soient bonnes, tu les tires souvent si fort par les cheveux, qu'ils ont bien plus l'air d'extravagances que de maximes. Pour cela, répond Sancho, que Dieu y remédie, car j'en ai un million dans le ventre qui m'étouffent, encore faut-il bien que je prenne haleine; aussitôt que je desserre les dents pour en dire un, il en sort une si grande foule qu'il n'y a pas moyen de les retenir. Je prendrai pourtant garde à l'avenir de n'en dire plus qui ne conviennent à la grandeur de ma charge, car, dans une maison opulente, le dîner est bientôt prêt ; et celui qui étale ne brouille pas; en sûreté est celui qui sonne le tocsin; et à donner et à prendre on se peut aisément méprendre; et qui achète ou vend, en sa bourse le sent... Eh! allons, Sancho, dit Don Quichotte, courage mon ami, enfile, enfile, personne ne t'empêche; ma mère me châtie, et moi je fouette la toupie. Je suis après à te corriger de la multitude de tes proverbes, et tu en récites une légende qui viennent au sujet, comme je suis more. Un proverbe bien placé n'est pas désagréable, mais les dire à toute heure, sans rime ni raison, cela rend la conversation fade, et ne fait qu'importuner. Ma foi, Monsieur notre maître, répond Sancho, les proverbes vous sortent de la bouche deux à deux et à grande hâte, et, tout ce qu'il y a à dire, c'est que les vôtres sont toujours à propos, et les miens la plupart du temps sans raison; mais ce sont toujours des proverbes au bout du compte.»

Quoi qu'il en soit du jugement sévère porté contre l'abus des proverbes, il faut s'en prendre aux hommes et non aux choses. Si leurs détracteurs les relèguent parmi les vieux adages condamnés à l'oubli, comme indignes de grossir le trésor de la langue, le philosophe leur apprendra que c'est un trésor pour l'histoire : là se peignent le caractère, l'esprit, les mœurs et les usages mêmes des nations, pour qui sait les chercher. Si, donc, les proverbes ont quelquefois encouru le blâme, ils ont aussi plus souvent mérité des éloges. Senecé s'exprime ainsi sur leur compte : « Quoi qu'on dise contre les proverbes, que certains esprits qui se prétendent supérieurs veulent renvoyer au bas peuple, il est hors de doute qu'ils renferment la quintessence de la raison et du bon sens, et que c'est par un consentement universel de tous les âges et de toutes les nations, qu'ils ont transmis le dépôt qui leur a été confié, à tout ce qu'il y a eu de peuples les plus polis depuis le berceau du

monde..

Les plus fameux écrivains de l'antiquité ont fait un fréquent usage des proverbes. Aristote n'a pas dédaigné d'en orner ses traités; ils font ressortir la beauté du discours, comme les diamans ajoutent à l'éclat de la beauté. Théophraste a suivi l'exemple d'Aristote. Plutarque, cet écrivain d'une gravité si austère, a égayé son style par un grand nombre de citations proverbiales. Il compare les proverbes aux mystères de la religion, dans la célébration desquels les objets les plus saints et les plus relevés sont figurés par des cérémonies en appa

rence minutieuses et presque ridicules. Car, ajoutet-il, sous le voile de ces mots si concis est caché le germe de la morale que les princes de la philosophie ont développée dans tant de volumes. Enfin le divin Platon lui-même les a considérés comme des préservatifs contre l'ennui, l'ennemi mortel du genre humain, et des calmans propres à tempérer l'acrimonie des discussions philosopiques. «Peut-on donner une plus haute idée des proverbes, dit l'abbé Tuet, que de les faire servir d'asile et de refuge à la morale, cette partie de la philosophie la seule nécessaire au bonheur de l'homme, et que l'homme aurait entièrement perdue sans eux :» Ceux qui leur accordent ces éloges, philosophes eux-mêmes et philosophes très-éclairés, sentaient mieux que personne l'importance de leurs bienfaits. Après des témoignages si authentiques, on ne peut s'empêcher de reconnaître que les proverbes ont été très-utiles à la philosophie.

Il est à remarquer que le peuple est celui qui conserve le plus scrupuleusement la tradition des proverbes; par lui beaucoup ont échappé à la faux destructive du temps. Le manque d'éducation, le défaut d'exercice de ses facultés intellectuelles hors du cercle de ses besoins, le ramènent toujours aux idées les plus simples. Ces idées sont très-souvent enveloppées dans un proverbe. Dans les rapports que l'on peut avoir avec lui, ses objections, ses réponses sont ordinairement des proverbes. Il rend sa pensée comme elle se peint dans son imagination, c'est-à-dire par une de ces expressions analogues dont se compose le rudiment de son langage

habituel, et dont Vadé a fait le vocabulaire. C'est à ces formules de locutions grossières, à ces comparaisons parfois originales dont il se sert, bien plus qu'au défaut de justesse d'esprit et de jugement, que les proverbes et les dictons populaires, véritable arsenal des disputes des halles, doivent leur conservation traditionnelle.

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Les proverbes, en dernière analyse, sont les enfans du temps et de l'expérience. Chaque siècle apporte avec soi ses usages, ses modes, ses goûts, et donne matière à de nouveaux proverbes qui prennent cours avec les anciens. Ainsi chaque génération s'enrichit des lumières du présent et du passé. « Le recueil qu'on en a fait, dit un écrivain moderne, est pour moi le meilleur cours de philosophie. On jetterait un ridicule sur ma manière de voir, que m'importe ? j'en rirais et je trouverais sans doute un proverbe pour répondre à mes critiques. Les abstractions, les systèmes des philosophes, que Plutarque compare à des fagots liés tant bien que mal ensemble, ces grandes erreurs, ces grands crimes qui agitent, ébranlent et renversent les empires, sont en même temps, pour les peuples qui en font la cruelle expérience, des leçons et des châtimens terribles. Cette expérience s'est trempée dans le sang. La morale que l'on puise dans les proverbes est plus douce et moins effrayante. Il suffit de rechercher le simple bon sens, d'étudier les mœurs du peuple qui n'a pas été corrompu par la lecture de ces productions brillantes de clinquans, et de ce vernis séducteur qui éblouit les yeux et dessèche l'imagination,

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