Page images
PDF
EPUB

d'observer les bonnes gens qui se dirigent d'après les adages et les proverbes que leurs pères leur ont transmis, on sera convaincu que Socrate, Platon, Démocrite, Montaigne et La Fontaine n'ont rien dit qui ne soit exprimé d'une manière plus simple, plus concise et plus naïve dans les dictons de nos bons aïeux.

Après toutes ces définitions les plus étendues et les plus exactes que je puisse donner sur un genre de littérature qui a quelquefois occupé agréablement mes loisirs, débarrassé de tout gros bagage inutile, et rassuré, protégé même, par l'artillerie légère que j'ai à mon service, j'aborde hardiment le champ de bataille qu'il m'a plu de choisir.

LIVRE PREMIER.

CLASSIFICATION GÉNÉRALE DES PROVERBES, ADAGES,

SENTENCES ET APOPHTHEGMES.

CHAPITRE PREMIER.

Des Proverbes particuliers à certains peuples.

Les caractères des nations et leurs tempéramens varient dans chaque climat; ils ont toutefois des généralités pour ainsi dire endémiques. La légèreté vive et gaie des Français, la mélancolie britannique, l'orgueil espagnol, la finesse italienne, le génie irascible des races esclavonnes, la sincérité helvétique, le flegme germanique, le faste des Orientaux, la gravité musulmane, la douceur indienne, l'esprit perfide des Malais, la politesse insidieuse des Chinois, l'atrocité tartare, l'âme vindicative du sauvage américain, la fourberie des nègres peuvent offrir au philosophe et au naturaliste, une riche moisson d'observations nouvelles. J'en tirerai celles qui seront utiles au sujet que je traite. En effet, le génie particulier de chaque nation a imprimé à ses proverbes un caractère puisé dans celui de son tempérament, de ses mœurs, de ses habitudes. Ainsi le proverbe dans la bouche de l'Espagnol sentencieux, grave et taciturne, a dù se faire remarquer par la pompe et le faste de l'expression,

par ce ton de morgue qui tient à la fierté nationale et dont se ressentent toutes ses actions. L'Italien, dont le geste est aussi prompt que sa pensée, a dû saisir la première idée familière qui se présentait à la vivacité de son imagination. Le Français, dont la justesse d'esprit s'accorde avec la régularité de son langage, voit du premier coup d'œil le rapport des choses, et le rend aussi facilement que l'activité de son intelligence s'en est emparée. L'Anglais, peuple naturellement penseur, met dans l'expression de ses proverbes la profondeur et l'énergie de ses méditations. L'Allemand, dont l'action du cerveau est lente et réfléchie, répand dans ses proverbes cette profusion puisée dans les minutieux détails de la vie qui s'offrent à son expérience de tous les jours. Si l'on en croit les voyageurs, les discours des peuples de l'Amérique ne sont que les paraphrases rendues en images vives et qui peignent admirablement bien le fond de leurs pensées, des proverbes que chez nous la perfection du langage a amenés à une concision qui en fait tout le mérite.

Tous les traits par lesquels je désigne ces peuples peuvent être vérifiés par ceux mêmes qui n'ont que des idées générales sur leur histoire. Mes réflexions portent sur une foule de faits notoires qui, ne pouvant être raisonnablement supposés, dispensent par conséquent d'entrer dans des dissertations plus étendues et dans des détails qui seraient inutiles à mon sujet.

Le climat modifie à l'infini les caractères et les tempéramens des peuples. Les montagnards en général sont endurcis aux fatigues, sauvages, belli

queux au septentrion comme au midi; les Numides, les Perses, les habitans de l'Arabie heureuse, les Espagnols, les Écossais sont robustes et supportent admirablement les travaux les plus durs, la faim même. Les habitans du Nord et des pays froids ont la complexion moins tendre en amour que les peuples orientaux et les méridionaux. La position soit au nord, soit au midi, sous une même latitude et dans un même pays, apporte souvent une différence notable dans le caractère et le génie des peuples. Aussi Platon, reconnaissant en philosophe ces variations, rendait grâces aux dieux d'être né Athénien et non Thébain, quoiqu'Athènes ne fût séparée de Thèbes que par le fleuve Asope, et d'environ vingt mille pas; mais les Athéniens étaient tournés vers le midi, et les Thébains vers le nord.

La qualité des boissons influe également sur les tempéramens. Les vins et les eaux-de-vie de France donnent aux esprits naturellement mélancoliques des Anglais et des peuples du Nord, des mouvemens et des inspirations agréables qui leur seraient inconnus sans leur usage. Les peuples que leur indigence prive de ces liqueurs et qui sont réduits à la bière, restent dans un appesantissement qui est une véritable langueur, comparée à la vivacité française. La nature des alimens exerce aussi une grande influence sur les habitudes des peuples. L'Espagnol, le peuple le plus invinciblement attaché à ses usages et à ses préjugés, n'a point quitté ses légumes et son safran; aussi son caractère originel est-il le même. La sobriété des Orientaux ne s'est point encore démen

3

« PreviousContinue »