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tie; le pilau, qui est la base de leur cuisine, n'est autre chose que de la chair de mouton, de chevreau, d'agneau ou de veau, préparée avec du riz, du jus de grenade, et cuit jusqu'à consomption; c'était la nourriture des patriarches et d'Abraham. Les Chinois chez lesquels les voyages sont défendus, et dont l'empire est soigneusement fermé aux étrangers, gardent invariablement leurs coutumes depuis les règnes de trente familles impériales. De temps immémorial, le régal de la Chine et du Japon consiste en fruits secs, dattes, poissons salés, thé, café et choses semblables. Le génie des Français est aussi varié que leur art culinaire, et peutêtre est-ce à leur régime qu'on doit attribuer la légèreté qu'on leur reproche. La table française, grâce à l'ingénieuse théorie de feu M. Brillat Savarin, le Bichat des gastronomes, et à la succulente pratique des Baleine, des Beauvilliers et des Véry, a surpassé celle de tous les autres peuples par la délicatesse et par ses vins, et peut-être même en ce dernier article celle des Romains. Toutes les nations de l'Europe ont emprunté son goût et ses usages; elle préside aux fêtes et aux plaisirs dans les cours du Nord les plus reculées. Les habitans de la Grande-Bretagne viennent même en foule faire des essais multipliés de nos richesses gastronomiques, et abaissent leur orgueil national jusqu'à sympatiser avec nos goûts, dans l'intérêt de leur sensualité. Le perfectionnement de l'art culinaire apporte donc des modifications avantageuses au génie des peuples étrangers, en stimulant en eux au plus haut degré les houpes nerveuses qui servent

à transmettre d'agréables sensations au plus grossier de nos organes.

SI. DES GRECS, spécialement des Athéniens.

D'après ce que nous avons expliqué plus haut, on sent le rapport intime que le climat dut avoir avec les pensées et les observations d'un peuple aussi vif et aussi spirituel que celui d'Athènes. L'inégalité des vents et des saisons a eu une grande influence sur les mœurs des Grecs et sur leurs usages. Hippocrate pose en fait que les contrées où les hivers sont extrêmement rigoureux, et les étés extrêmement chauds, produisent une race d'hommes doués d'une aptitude naturelle pour cultiver les arts avec succès; il semble qu'Hippocrate ait voulu par là désigner la Grèce, où le contraste des saisons est plus frappant qu'en aucun autre pays de la terre, sous les mêmes latitudes. Platon prétend qu'on pouvait faire un cours de morale en voyageant dans l'Attique, si l'on voulait lire les inscriptions gravées sur les hermès ou pierres carrées placées le long des grandes routes et au centre des villages. Ces inscriptions contenaient, suivant lui, les germes de la sagesse et les premiers élémens de la philosophie. Tel Athénien qui allait commettre une mauvaise action, en était souvent détourné par des sentences qu'il lisait sur la route à l'ombre d'un olivier ou d'un cyprès. Les Athéniens conservèrent toujours au milieu de la vie civile le penchant le plus vif pour la vie champêtre. Ce goût, qui ne s'effaça jamais de leur cœur, les porta sans cesse à em

bellir l'intérieur de leur pays. Plus la terre était ingrate, plus ils y accumulèrent d'ornemens, de sorte que le mal que la nature y avait fait, fut amplement compensé par le bien que l'industrie y introduisit. La noblesse aimait mieux briller dans les campagnes les plus solitaires que de se voir confondue avec une populace orgueilleuse comme celle d'Athènes. Les philosophes grecs avaient une aversion plus marquée encore pour le séjour des villes que le reste des Athéniens.

Aucune nation de la Grèce ne produisit des hommes d'une aussi grande beauté que les Athéniens. Cet avantage physique a été la source du vice anacréontique. Xénophon, au rapport de Diogène Laërce, était d'une figure si séduisante, qu'on ne pouvait trouver d'expression pour la dépeindre. Les femmes n'y avaient pas le privilége qui doit être inhérent à leur sexe; le ciel fut avare envers les Athéniennes, et ne leur départit pas ces charmes et ces appas qui séduisent le cœur et fascinent les yeux. La nature avait doué les Athéniens d'une grande subtilité dans l'organe de la vue; en eux la force intuitive était telle, que jamais notre vue ne saurait atteindre au point d'éloignement où la leur s'étendait. Du promontoire de Sunium, dit Pausanias, ils distinguent jusqu'au plumage du casque et jusqu'au sommet de la pique, dont on a armé une statue colossale de Minerve, placée dans la citadelle d'Athènes; cependant cette distance est à peu près en ligne droite de dix lieues de France. Ainsi aucun sens n'était plus perfectionné dans les Grecs, que celui de la vue; cette perfection était

un caractère national très-tranchant qui les distinguait des autres peuples. Lucien attribuait cette perfection et cette vertu singulière à une espèce de graine alimentaire, que les cultivateurs de la Grèce nommaient l'orge d'Achille.

Les Grecs, et les Athéniens surtout, étaient sujets à des affections mélancoliques, à une espèce de nympholepsie qui les faisait fuir dans des endroits solitaires et propres aux rêveries profondes, comme il arriva souvent à Euripide et à Cimon surnommé le Misanthrope. Aussi les Grecs étaient-ils enclins aux allusions, aux épigrammes et à la satire. Le mont Cithéron avait la réputation d'inspirer la nympholepsie, comme l'Hélicon engendrait la musolepsie, cette affection qui faisait monter beaucoup de sang et d'esprits vitaux à la tête, et qu'on nommait génie dans les grands poètes, et folie dans les médiocres. Les Athéniens cependant étaient d'une complexion plus saine que les autres Grecs. Les Béotiens, au contraire, étaient affligés d'ascarides ou vers intestinaux qui, en rendant la vie et la sensibilité à charge, exerçaient une influence pernicieuse sur leur tempérament et sur leur caractère moral, les rendaient lourds et apathiques, incommodité qu'augmentait encore l'air épais qui régnait dans leur pays; ils étaient en outre d'une voracité étonnante.

Bæotum in crasso jurares æere natum.

Aristote assure que jamais, parmi les Athéniens, l'esprit n'était héréditaire dans les mêmes familles. Les enfans de Socrate et de Périclès furent les plus

stupides et les plus obscurs des mortels. Rien n'altéra davanage le sang et le caractère des Athéniens que la guerre et la servitude domestique. Les Grees avaient une ambition si exaltée et une âme si sensible, qu'ils mouraient souvent de joie en recevant une couronne théâtrale, lors même qu'ils l'avaient achetée. Les poètes Alexis et Philémon expirèrent en plein théâtre au moment où l'on allait les déclarer vainqueurs, et Denys le tyran mourut de joie en apprenant le succès de ses tragédies. Euripide, qui avait souvent des accès de misanthropie, se déchaîna avec véhémence contre les femmes, auxquelles il attribue toutes les tempêtes et les discordes domestiques. Ses observations sur le caractère et les mœurs des femmes grecques se ressentent de l'acrimonie de son tempérament. Athenée de son côté exagère-t-il lorsqu'il dépeint le sexe comme plongé dans une espèce d'ivresse continuelle; les femmes en effet faisaient un usage immodéré des vins violens de la Grèce. Il est certain que les débauches et les fureurs des Bacchantes et des Ménades n'étaient point des vices uniquement réservés à la plus vile populace.

Aristophane prétend que les politiques d'Athènes délibéraient quelquefois (à la manière des anciens Germains) inter pocula et mensas, après avoir débuté par des excès de liqueurs spiritueuses qui leur donnaient un courage artificiel et les rendaient aussi féconds en conseils et en expédiens que le fut jamais Nestor parlant la coupe à la main au milieu des héros de l'Iliade. Il n'est pas étonnant, d'après cela, que les Athéniens aient été accusés de

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