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légèreté et d'inconséquence. Cependant cette témérité excessive que les autres Grecs leur imputaient, était moins un effet de leur caractère, qu'un effet de leur constitution politique et délibérante. Thucydide reproche spécialement aux Athéniens de fonder les plus grandes espérances sur les plus grands dangers. Ce sont, dit-il, dans toute la force du mot de véritables Euclpides, c'està-dire des hommes qui ont une confiance infinie en la fortune, et qui voient sans cesse l'avenir sous le plus beau des jours. De ce portrait à celui des Français, la différence n'est pas grande.

Les Grecs désignaient ordinairement les professions par un nom adapté à celui de la contrée où étaient nés ceux qui les exerçaient. Le mot Syrus était employé pour désigner en général un serf, un valet, parce qu'on en tirait une grande quantité de la Syrie; comme on employait celui de Thressa pour désigner une femme esclave, parce que la plupart des esclaves femelles étaient originaires de la Thrace.

Les Athéniens regardaient la guerre comme une maladie, et la gaîté comme l'état naturel de l'homme. Ils encourageaient toutes les découvertes et les inventions qui pouvaient contribuer à ́leurs plaisirs. Quelques peuples de la Grèce se distinguèrent par des vices et des défauts qui leur étaient tellement particuliers, comme nous le verrons dans la suite du texte, qu'on les reconnaissait à ce caractère comme on reconnaît les individus à la physionomie. Ainsi les habitans d'Acharna avaient la réputation d'être durs et grossiers, ceux

de Prospalte d'aimer les procès, ceux de Cropia et de Tithras de s'emparer du bien d'autrui, ceux. d'Aexone et de Gephira d'être inépuisables en propos obscènes et injurieux, et en ce langage qu'on nommait en Grèce cacologie. A Colytte les enfans apprenaient à parler plus tôt qu'ailleurs, parce que leurs pères étaient les plus grands discoureurs de la Grèce. On parlait plus en un jour à Athènes qu'à Lacédémone pendant une année entière. A Rhodes où l'on ne parlait que le dialecte dorien, que les philosophes avaient exclu des écoles à cause de sa dureté et de son obscurité, et comme absolument impropre aux discussions scientifiques, on disait par forme de proverbe, Massiliam navigare (voir proverbe 30) pour désigner une grande corruption, et Massilienses mores pour en désigner une plus grande encore. Tacite prétend que de son temps les Marseillais s'étaient convertis. A Diomeia, on prétendait avoir plus de génie et de pénétration que dans le reste de l'Attique. A Sphettos régnait le défaut contraire; on mettait dans le langage une aigreur qui n'était point le sel attique. A Céphale, au pied du mont Hymète, y avait une fontaine consacrée à l'Amour; on promettait de soulager tous les malades et l'on ne guérissait jamais personne. Tous ces divers caractères étaient passés en proverbes. A Cydathenée tous les habitans prétendaient être nobles, comme à Rennes tous les portefaix se disent issus des premiers barons bretons. A Corydale on exerçait la contrebande aux dépens du commerce d'Athènes, et il ne fut jamais possible d'empêcher cette indus

il

trie des Corydaliens. A Eleusis on dépouillait avec art les dévots de leur argent et de leurs habits; à Brauron on célébrait des fètes peu favorables aux mœurs et à la vertu. Sciron était l'asile des jeux de hasard et des femmes perdues, c'était le PalaisRoyal de la Grèce. Les habitans du mont Icare, qui se prétendaient inventeurs de la comédie, passaient pour des hommes dangereux et des assassins au temps des bacchanales; ceux de Mégare étaient regardés comme les derniers des Grecs et les plus méprisables des hommes. Un oracle d'Apollon, cité dans les Scholies de Théocrite, les déclare tels; mais la haine et la jalousie des Athéniens contre les Mégariens peuvent avoir contribué à propager cette calomnie. L'explication des proverbes suivans fera connaître une foule de détails relatifs aux mœurs et aux usages des Grecs.

PROVERBES GRECS (1).

1. Le mal termérien. Il vient, suivant Plutarque, de Termerus, à qui Hercule brisa la tête. Il paraît que ce Termerus avait la tête si dure, qu'en se battant avec les passans il leur cassait la tête en la heurtant avec la sienne. Je ne sais quel peuple

(1) Je fais observer ici que j'aurais pu rapporter textuellement les proverbes grecs; mais comme la langue grecque n'est pas familière à beaucoup de personnes, je me suis contenté de rapporter les proverbes en français, mon but principal étant de faire connaître plus spécialement par eux l'esprit et les usages des peuples cités dans cet ouvrage.

passait pour avoir le chef si dur (je pense que ce peut être le Picard) qu'une médaille antique le représente enfonçant avec sa tête un clou dans une muraille. Tous les proverbialistes grecs, savoir : Suidas, Zenobius, Diogenianus, Apostolius rapportent ce proverbe, mais au nombre pluriel, τερμερια κακα, les maux termeriens, et disent qu'il s'entend des grands maux. Suidas lui attribue une autre origine que Plutarque; il dit que les grands maux s'appellent termeriens, à cause qu'en la Carie il y avait un lieu fort escarpé, nommé Termerium, dont les tyrans se servaient comme de prisons, et ajoute que ce lieu était situé entre Mélos et Halicarnasse. En effet, Strabon, livre 14, fait mention d'un cap de la Carie, au territoire des Myndiens, appelé Termerium. Apostolius et Suidas donnent encore une autre origine à ce proverbe, qui dérive de termia; c'est ainsi qu'on désignait, chez les Grecs, le jour qui devait marquer pour quelqu'un le terme de la vie. L'empereur Julien, dans son oraison contre le philosophe cynique Héraclius, se sert de ce proverbe au nombre singulier, comme le fait Plutarque.

2. Non sans Thésée. Ce proverbe s'appliquait à une entreprise qui nécessitait les plus grands efforts et les plus puissans secours pour y réussir. On sait que Thésée, qu'on appelait un autre Hercule, s'associa à ce héros dans les périlleux travaux qui ont rendu son nom si célèbre, avec Méléagre, pour tuer le sanglier de Calydon; et avec Jason, pour la conquête de la toison d'or.

3. Les mœurs milésiennes. Les premiers Milésiens,

qui descendaient des Ioniens venus de l'Attique dans l'Asie mineure, et si renommés d'abord par leurs mœurs austères et farouches, ne tombèrent qu'après le règne de Cyrus dans la mollesse et la corruption la plus infâme, qui motivèrent le proverbe.

4. Suca merize. Ces deux mots grecs signifient partageons les figues, façon de parler proverbiale qui répond à l'expression, familière en français, partageons le gâteau. Lors du partage de la Pologne, une des puissances co-partageantes fit frapper une médaille avec cette inscription, suum cuique. Un médailliste, homme d'esprit, observa avec raison qu'on avait oublié d'y ajouter le mot rapuit.

5. A Athènes les figues succèdent aux figues. Cette expression d'Aristote est devenue proverbe. Il voulait faire entendre que la race des calomniateurs s'y multipliait tous les jours. Le sens consiste dans l'allusion au mot figue ou figuier, en grec ruxy, d'où est venu le nom de sycophantes, c'est-à-dire traîtres. On désignait ainsi les dénonciateurs des Athéniens qui, au mépris de la loi, transportaient des figues hors de l'Attique.

6. Vie de Phéaciens. Les Phéaciens habitaient l'île de Corcyre, qu'on a depuis nommée Corfou. Ils menaient une vie si voluptueuse, qu'elle a passé en proverbe chez les Grecs et chez les Latins.

7. Un ramier pour une colombe. Eustathe, dans ses Commentaires sur le sixième livre de l'Iliade, attribue ce mot à Platon. Ce proverbe grec correspond à celui des Latins, palumbem pro columba, et au proverbe français, prendre martre pour renard.

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