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Il eft furprenant qu'il n'ait pas fait ufage de la liberté dont s'est servi Milton de faire des Vers fans rime; plus l'Ouvrage qu'il entreprend eft de longue haleine, plus il avoit de fortes raifons de s'épargner un travail, qui doit faire languir très fouvent fon stile. Il eft vrai qu'il rime avec beaucoup de facilité; & peut être a t-il voulu faire voir, que malgré cet obftacle, il favoit donner à fa Poëfic, autant de force que ceux qui n'ont pas la même difficulté à combattre.

Voilà tout ce que nous nous fommes propofé de dire fur le Poëme même. Si nous écrivions en Anglois, nous ne manquerions pas de nous étendre davantage fur ce fujet, & de nous efforcer à en mettre le mérite dans tout fon jour. Ce premier Volume eft précédé d'une Préface affez longue, & d'un Effai fur la Vie, les Ecrits, & le Savoir d'Homere; nous donnerons une analyfe de ces deux Piéces de la maniére la plus abregée qu'il nous fera poffible.

La Préface qui eft de 42. pages contient le Préface. jugement de M. Pope touchant l'Iliade, & les régles qu'il faut faivre, pour en faire une bonne traduction. Tout ce Difcours fent plus l'Orateur & le Poëte, que le Philofophe; nous n'y ferons pas la moindre réfléxion, perfuadez que les Remarques de M. l'Abbé Terraffon, & de M. de la Matte, réfutent ce que l'Auteur peut dire d'outré fur le mérite d'Homere, ou bien qu'il eft impoffible de le réfuter. Nous fuivrons donc fans interruption cette Préface, en confervant dans notre Extrait quelques fleurs de l'Eloquence

A 2

An

De l'Invention

d'Homere.

Angloife que notre Auteur y répand avec profufion.

L'Invention eft la bafe de la Poëfie. Hoiere y a excellé plus qu'aucun autre, & par conféquent, il doit l'emporter fur fes plus dignes Rivaux par rapport à l'Art & au Jugement, qui tirent de l'Invention tous leurs matériaux, & qui fans elle ne favent que piller fagement. Il en eft comme d'un Jardin régulier, quoi que l'Art y brille avec le plus d'éclat, il ne s'exerce pourtant que fur les préfens de la Nature. Pour l'Ouvrage d'Homere, c'cft un Paradis fauvage, où l'on ne difcerne pas toutes les beautez, parce que leur nombre eft infini. Il contient les femences de toutes les productions de l'efprit: fi quelques plantes y ont trop pouffé, il faut s'en prendre à la fertilité du terroir; & fi d'autres n'y font pas encore dans toute leur vigueur, c'eft qu'elles font étouffées par des plantes d'une nature plus forte. C'est l'Invention qui eft l'origine de ce feu incomparable qui s'entretient par tout dans l'Iliade, & qui ravit fi fort un Lecteur d'un génie vrayement poëtique, qu'il ne fe poffède pas lui-même; & que maîtrifé par l'imagination d'Homere, il eft forcé à être de tout ce qu'il lit Auditeur ou Spectateur. Le génie de ce Poëte, n'étale que peu à peu toute la vigueur; & femblable à la roue d'un char, il s'enflamme infenfiblement par fa propre rapidité. Il y a du feu dans Virgile, mais il y paroît comme réfléchi par un Miroir; il eft par tout égal. mais plus lumineux qu'ardent, il éclaire plus qu'il n'échauffe. Dans Stacé & dans Lu

cain il fort de tems en tems, par des éclats Courts, & interrompus. Dans Milton*, l'art l'entretient, comme dans une fournaife. Il frappe dans Shakespear d'une maniére imprévûë comme un coup de foudre. Mais dans Homere, ce feu brûle par tout d'une maniére auffi naturelle & vive, qu'irréfiftible. Il embrafe tout, femblable à une puiffante Planette, qui dans la violence de fon mouvement emporte tout ce qui l'approche, pour l'entraîner dans fon tourbillon. Peu content d'avoir absorbé tous les Arts & toute la Nature des chofes, pour en former des Caractéres, & des Descriptions, Homere fe promene dans un Monde nouveau qu'il a créé lui-même par le fecours de la Fable.

La Fable peut être divifée, en probable, allégorique, & merveilleufe. La premiére eft le recit d'une Action, qui quoi qu'elle ne foit pas arrivée, peut arriver felon le cours ordinaire de la Nature; ou bien d'une Action véritable, appropriée à un Poëme, par des Ornemens & par des Epifodes. De cette Claffe eft la Colére d'Achille le fujet de l'Iliade, de tous les fujets le plus fimple, & pour tant le plus fécond en grands Evénemens, en Confeils, en Batailles, en Harangues, & en toutes fortes d'Epifodes. Toute l'Action ne dure tout au plus que cinquante jours; marque certaine du génic d'Homere; puifque Virgile lui même a été obligé de foûtenir lon imagination par un fujet plus étendu pour le tems & pour la matiére, & de renfermer A 3

&

**Deux Poëtes Anglois, dont l'un a excellé dans l'E

pique, & l'autre dans le Drammatique.

De la Fa

ble.

& l'Iliade & l'Odyffée dans un feul Poëme, qui ne fait pas le quart de l'Iliade,

De plus, tous les incidens de ce Poëme ont été imitez par les autres Poëtes Epiques. Les Jeux à l'honneur de Patrocle; la defcente d'Ulyffe aux Enfers, ce même Héros retardé dans fon Voyage par les charmes de Calyple; l'abfence d'Achille; fes Armes divines; toutes ces Episodes ont été adoptées par différens Auteurs, & quelquefois un même Auteur s'eft enrichi de deux ou trois de ces vols.

Pour la Fable Allégorique, elle nous ouvre une nouvelle Scéne d'admiration pour le Poëte Grec, qui felon la fuppofition générale, y a renfermé toutes les Sciences, tous les fecrets de la Nature. Quelle étenduë! quelle force d'imagination! que de favoir perfonalifer les propriétez des Elemens, les qualitez de l'efprit, les vertus & les vices, & de les faire agir d'une maniére conforme à leur nature.

La Fable merveilleufe concerne ce que le commerce des Dieux jette de furnaturel dans un Poëme. Si Homere n'eft pas le premier qui ait introduit les Dieux dans la Religion, du moins eft il le premier qui en a fait les Machines de la Poefie qui en font la plus grande dignité. Les Vers ne fauroient s'en paffer; & malgré les changemens des tems & du culte religieux, les Dieux d'Homere font jufques à nos jours les Dieux des Poëtes.

Caractéres L'Invention ne brille pas avec moins de mieux di- force dans les Caractéres de l'Iliade; ils verfifiez Far Homere font infinis en nombre, variez d'une maniére

.fur

furprenante, & chacun fi diftingué des au- que par tres, qu'un Peintre ne fauroit mieux faire Virgile. connoître une perfonne par fes traits, que le Poëte le caractérise par fes mœurs. La valeur fcule eft diverfifiée dans ce Poëme avec toute l'Invention imaginable. Le courage d'Achille eft furieux & intraitable; celui de Diomede impétueux, mais pourtant docile; celui d'Ajax ferme, mais plus propre à défendre qu'à attaquer la valeur d'Hector eft active & vigilante; celle d'Agamemnon ambitieufe & animée par le defir de régner; celle de Menelas eft mêlée de douceur & de tendreffe pour fes Sujets. Comme il y a de la différence entre la fageffe artificieufe d'Ulyffe, & la prudence naturelle & fincére de Neftor, leur courage eft diftingué auffi conformément à leur Caractére principal; dans la Guerre le premier agit par précaution, & le fecond par expérience. Dans Virgile, les Caractéres font moins marquez, plus confus & plus uniformes. La valeur de Turnus n'a de particulier que fa fupériorité, & celle de Mnefthée n'a rien qui la diftingue du courage de Serefte ou de Cloanthe.

Les Difcours tirent leur plus grande per- Les Dif fection de leur conformité avec les mœurs cours de de ceux qui parlent; & c'eft là ce qui rend liade, fi dignes d'admiration les Harangues de l'Iliade, dont le nombre eft proportionné aux Caractéres qui en font la fource. Il est étonnant que dans un Ouvrage d'une telle étenduë, il n'y ait que peu de lignes fimplement narratives. Dans Virgile au contraire tout A 4

eft

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