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par Carra et Mercier, etc., etc., etc. : tels sont les principaux journaux qui ont marqué pendant les premières années de la révolution. Nous nous garderons bien de faire la longue énumération de toutes les feuilles qui ont paru depuis deux ans, et qui paroissent encore aujourd'hui ; nous nous arrêterons seulement à un second journal que Camille Desmoulins fit paroître pendant la tyrannie de Robespierre. Nous voulons parler du Vieux Cordelier, dont il n'a publié que sept numéros. On y trouve de la gaieté et des rapprochemens heureux de l'histoire ancienne avec ce qui se passoit en France. Il y a sur-tout un morceau sur les suspects, qui mérite d'être lu. Cette production, qui a conduit son auteur à l'échafaud, fait oublier les écarts auxquels il s'étoit abandonné dans ses autres ouvrages polémiques. Dans les premiers c'étoit une imagination ardente qui ne parloit que de destruction; dans le dernier au contraire c'étoit un homme sensible qui cherchoit à apprivoiser un tigre, et qui a fini par en être dévoré.

Beaucoup de journalistes s'offenseront peut-être de notre silence. Pour les calmer, nous leur rappellerons que nous travaillons pour former la bibliothèque d'un homme de goût, et nous espérons qu'ils se rendront justice eux-mêmes, en reconnoissant que ce temple, consacré aux Muses, ne doit pas être ouvert pour recevoir des productions qu'elles sont forcées de désavouer. Peut-être même nos lecteurs nous feront-ils un reproche de nous être étendus aussi longuement sur les journaux modernes; mais nous avons cru qu'ils nous auroient su mauvais gré de ne point parler de cette nouvelle espèce d'ouvrages périodiques. Voilà notre excuse, et les

motifs qui nous ont déterminés à en conserver le sou

venir.

Rentrons dans la carrière littéraire, et oublions que nous en sommes sortis pour nous occuper de productions qui ne peuvent servir qu'à montrer la décadence du goût, et l'abus qu'on peut faire du bien le plus précieux dont les hommes puissent jouir, la liberté de la presse et des opinions.

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DUGUET. LE discours préliminaire de l'Esprit de Duguet, où Précis de la morale chrétienne, tiré de ses ouvrages, volume in-12, 1764, est une discussion trèsjudicieuse sur la manie du siècle, de présenter l'analyse des meilleurs écrivains sous le nom d'Esprit. L'accueil qu'on fait aux ouvrages qui annoncent l'esprit des écrivains célèbres, indique assez l'estime qu'on feroit de ces productions, si l'on y trouvoit en effet tout ce que leur titre semble promettre. Il est agréable sans doute de voir réuni dans un espace borné, et comme dans une miniature, les pensées et les sentimens des hommes de génie mais pour en rendre l'ame, suffit-il d'entasser des pensées sans choix et sans liaison? Ces sortes de pensées sont-elles en trop grand nombre, elles s'entrenuisent et s'étouffen t mutuellement ; elles causent la même obscurité et la même confusion que la trop grande multitude de personnages dans un tableau. Ce sont comme des éclairs qui peuvent nous éblouir pendant quelques instans, et qui nous laissent bientôt dans les ténèbres. Elles ne peuvent servir à embellir le discours qu'autant qu'elles sont employées avec la plus grande sobriété.

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Quintilien veut qu'on ne les regarde que comme les yeux du discours or les yeux ne sont pas faits pour être répandus dans tout le corps.

Le rédacteur de Duguet blâme donc avec raison ces mutilations de la plupart de nos meilleurs auteurs : il indique la façon de nous donner les esprits; il veut qu'on préfère d'abord les pensées solides à celles qui ne sont que brillantes. « En effet, dit-il, la vérité n'est que trop souvent étouffée sous ces pensées qui n'ont qu'un éclat passager ». Il ajoute que ces Il ajoute que ces pensées doivent être placées, autant qu'on le peut, dans un ordre qu les rende moins étrangères les unes à l'égard des autres Il nous annonce que, par l'ouvrage qu'il nous donne, il a mis sous les yeux du lecteur un abrégé de la morale chrétienne, où les principales vérités de la religion sont présentées avec l'ordre, la noblesse et la dignité dont elles sont susceptibles.

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SULLY. L'Esprit de Sully, avec le portrait de Henri IV, ses Lettres à M. de Sully, et ses Conversations avec le méme, par mademoiselle de Saint-Vast, est divisé par chapitres. Ce n'est peut-être pas un homme comme Sully qu'il faut extraire; ses réflexions, ses pensées; demandent à être méditées. Combien en est-il qui auroient mérité d'entrer dans ce recueil, et qui n'y sont point! Un des avantages de cette compilation, c'est que l'on y trouve les détails de la vie privée de Henri iv.

MONTAGNE. Dans les excellens Essais de Montagne, que de choses peuvent dégoûter et dégoûtent en effet beaucoup de lecteurs! 1°. Le vieux style, si rebutant

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pour ceux qui sont bien moins frappés de son énergie, que du gothisme qu'ils y voient; 2o. le défaut d'ordre et de liaison dans les matières, qui sont souvent décousues; 3°. les digressions continuelles qui déroutent à chaque instant le lecteur; 4°. les citations fréquentes dans lesquelles est noyé le texte ; 5o. enfin les répétitions sans nombre, si contraires à l'impatience françoise. Pour faire lire Montagne avec plus d'ordre et plus de goût, un homme d'esprit a pris la peine de rassembler et de rapprocher toutes les pensées qui regardent un même objet, et de les ranger sous des titres généraux : ainsi les matières dispersées et confondues dans les trois livres des Essais, Maximes, Réflexions, Jugemens, sont ici remises à leur place, et l'on a par ce moyen l'Esprit de Montagne, deux volumes in-12, sous la forme d'un écrit didactique. L'auteur, bien différent de l'écrivain qui a donné une assez froide traduction de Montagne, s'est gardé de toucher à son style; il a seulement eu l'attention d'expliquer tous les mots peu intelligibles pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec le langage du seizième siècle

CHARRON. Il est naturel que, dans un siècle philosophe, on ait pensé à nous donner une Analyse raisonnée de la Sagesse de Charron, deux petits volumes in-16, 1763. On peut mettre Charron à côté de Montagne, à bien des égards. Il est vrai qu'il n'a pas l'énergie ni le génie de ce dernier; mais il est aussi philosophe, et porte ses vues aussi loin dans la nature humaine. On prend plaisir à revoir dans ces anciens moralistes les routes qu'ils ont ouvertes à nos modernes. Charron, Montagne,

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