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CHAPITRE

I V.

OUVRAGES

ÉPISTOLAIRE S.

Nous avons, sous le titre de Lettres, plusieurs ouvrages de différens genres. Tantôt c'est une espèce de traité de politique, où les hommes d'état peuvent trouver de quoi s'instruire; tantôt ce sont d'ingénieuses critiques de nos coutumes, de nos préjugés et de nos mœurs ; quelquefois c'est une satyre contre une société célèbre, à qui on impute les excès les plus horribles; une autre fois ce sera un roman dans lequel on développe avec beaucoup de délicatesse tout ce qui a rapport à la passion de l'amour; ce sont aussi de simples lettres telles qu'on s'en écrit mutuellement pour entretenir un commerce d'amitié. Voilà les différentes classes dans lesquelles on peut ranger tous les ouvrages qui ont paru jusqu'à présent sous la forme épistolaire. Ce genre d'écrire a produit parmi nous des chefs-d'œuvre immortels.

Le cardinal d'Ossat joint à la clarté du style la profondeur des vues politiques. Quelle force et quelle délicatesse de pinceau dans les Lettres persanes? que de graces et d'agrémens répandus dans les Lettres turques!

Quiconque lira les fameuses Lettres provinciales, y verra l'art du dialogue et la finesse de l'ironie portés au plus haut point de perfection. Cet ouvrage doit être regardé comme une des plus ingénieuses et des plus piquantes satyres qui soient sorties de la plume d'un écrivain. Les Lettres de Crébillon fils, et celles d'une Péruvienne, par madame de Grafigny, ne sont-elles pas des romans admirables dans leur espèce? Les unes sont l'ouvrage de l'esprit, les autres ont été dictées par le sentiment.

Que dirons-nous de ces lettres familières par lesquelles nous nous entretenons avec nos amis pendant leur absence? ces sortes d'ouvrages sont quelquefois fort instructifs. Les Lettres de Guy-Patin contiennent l'histoire de son temps; la narration en est vive et animée : il seroit à souhaiter que ce savant médecin se fût moins livré à son humeur caustique. Voiture avoit de l'esprit; mais il cherchoit trop à en faire paroître. Personne ne parloit mieux sa langue que Balzac; et, malgré cela, ses Lettres sont fort peu goûtées aujourd'hui, parce qu'on y remarque à chaque, page l'enflure et l'affectation. On lit avec plaisir les Lettres de madame des Noyers; elles sont amusantes : mais on est fâché de voir qu'elle donne pour véritables des histoires qui n'ont pas même de vraisemblance. Personne ne s'est plus distingué dans le genre d'écrire dont nous parlons, que madame de Sévigné. Son style est naturel, simple et noble; le seul défaut qu'on y trouve, c'est que les sentimens de la mère pour sa fille y sont trop répétés, et ressemblent trop à l'amour. Les Lettres de Rabutin sont estimées, et méritent de l'être à quelques égards; la correction, la noblesse et l'élégance, en font le principal mérite : mais elles sentent un

peu trop le travail. Celles du chevalier d'Her...... ou plutôt de Fontenelle, ne ressemblent aux autres écrits de cet illustre académicien, que par une profusion peu ménagée d'un esprit peu naturel. Nous allons reprendre quelques unes de ces Lettres, que nous n'avons fait qu'indiquer.

BALZAC et VOITURE. Les Lettres de ces deux hommes eurent dans leur temps un succès qu'on ne sauroit imaginer aujourd'hui. Le premier est un harangueur ampoulé ; l'autre est un faux bel esprit. D'où vint donc cette grande réputation qu'ils acquirent, et qui a passé jusqu'à nous? C'est que le premier, au milieu de ses phrases emphatiques, avoit de l'harmonie, de l'élégance, et cette sorte de pompe qui flatte les oreilles; c'est que le second avoit naturellement l'esprit délicat et fin, mérite qui ne s'accorde pas toujours avec le goût, mais qui répandoit des agrémens jusque sur ses plus mauvaises Lettres.

PASCAL. Voici ce que Racine pensoit des fameuses Lettres provinciales de Pascal, dont on a donné tant d'éditions, et qui ont été traduites en tant de langues. « Vous semble-t-il que les Lettres provinciales soient autre chose que des comédies? L'auteur a choisi ses personnages dans les couvens et dans la Sorbonne ; il introduit sur la scène, tantôt des jacobins, tantôt des docteurs, et toujours des jésuites. Combien de rôles leur fait-il jouer! Tantôt il amène un jésuite bon homme, tantôt un jésuite méchant, et toujours un jésuite ridicule. Le monde en a ri pendant quelque temps, et le

plus austère janséniste auroit cru trahir la vérité que de n'en pas rire. »>

BUSSY-RABUTIN. - Bussy-Rabutin écrit correctement; mais c'est tout. Il n'y a rien dans ses Lettres qui justifie la haute idée que Roger de Bussy-Rabutin avoit de luimême elles sont une preuve du peu de naturel qu'il mettoit dans ses productions; ou, pour mieux dire, il y est toujours bel esprit, écrivain élégant, mais homme trop plein de lui-même, ne craignant pas d'ennuyer ses amis par la jactance perpétuelle de son mérite, ni le public, qu'il avoit vraisemblablement en vue en écrivant à des particuliers.

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DE SÉVIGNÉ. ( madame ) La cousine de BussyRabutin, madame de Sévigné, avoit bien plus d'esprit et plus de graces. Ses Lettres sont le modèle d'une conversation libre, piquante, délicate, enjouée. On n'a jamais conté avec plus de vivacité et de naturel. Ce style enchanteur n'appartenoit qu'à madame de Sévigné; c'est un ton qui lui étoit particulier, et qui ne va bien qu'à elle. On a donné un extrait de ses lettres sous le titre de Sevigniana, in-12. Cet abrégé se fait lire avec plaisir, quoiqu'il y ait peu d'ordre, et que l'auteur n'ait presque eu en vue que de compiler ce qui regardoit les solitaires de Port-Royal et leurs amis.

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DE MAINTENON. ( madame) — Les Lettres de madame de Maintenon sont plus faites pour servir de modèle : une simplicité noble, une élégance sans affectation, une précision extrême sans sécheresse, en font le caractère.

NINON DE LENCLOS. Nous avons un recueil de Lettres

qui ont paru sous son nom, mais qui ne sont pas de cette femme célèbre par sa galanterie.

BOURSAULT.

J'ai parlé de ce que nous avons de mieux dans le genre épistolaire. Si l'on veut du médiocre ou du mauvais, on a les Lettres de Boursault, qui, à quelques anecdotes près, sont très-peu de chose; elles forment trois volumes in-12.

FONTENELLE. Les Lettres galantes du chevalier d'Her*** sont moins remarquables par quelques traits délicats et fins, que par les fadeurs monotones et les plaisanteries entortillées qui les caractérisent. Fontenelle, qui en est l'auteur, les chérissoit d'autant plus, que le public lui paroissoit injuste à l'égard de cet enfant de son génie. On a imprimé depuis un recueil de ses Lettres, qui forme le, onzième volume de ses œuvres ; il y en a quelques-unes d'agréables.

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MONTESQUIEU. - La peinture des mœurs orientales n'est pas le principal objet des Lettres persanes; elle n'y sert, pour ainsi dire, que de prétexte à une satyre fine de nos mœurs, et à des matières importantes que l'auteur approfondit en paroissant glisser sur elles légèrement. Dans cette espèce de tableau mouvant, Usbeck expose sur-tout, avec autant de légèreté que d'énergie, ce qui a le plus frappé parmi nous ses yeux pénétrans: notre habitude de traiter, sérieusement les choses les plus faciles, et de tourner les plus importantes en plaisanteries; nos conversations si bruyantes et si frivoles;

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