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notre ennui dans le sein du plaisir même ; nos préjugés et nos actions en contradiction continuelle avec nos lumières; tant d'amour pour la gloire joint à tant de respect pour l'idole de la faveur; nos courtisans si rampans et si vains; notre politesse extérieure et notre mépris réel pour les étrangers; la bizarrerie de nos goûts, qui n'a rien au dessous d'elle que l'empressement de toute l'Europe à les adopter; notre dédain barbare pour deux des plus respectables occupations d'un citoyen, le commerce et la magistrature; nos disputes littéraires si vives et si inutiles; notre fureur d'écrire avant que de penser, et de juger avant que de connoître.

Ces différens sujets, privés aujourd'hui des graces de la nouveauté qu'ils avoient dans la naissance des Lettres persanes, y conserveront toujours le mérite du caractère original qu'on a su leur donner; mérite d'autant plus réel, qu'il vient ici du génie seul de l'écrivain, et non du voile étranger dont il s'est couvert : car Usbeck a pris, durant son séjour en France, non seulement une connoissance si parfaite de nos mœurs, mais une si forte teinture des manières mêmes, que son style fait souvent oublier son pays. Ce léger défaut de vraisemblance peut n'être pas sans dessein et sans adresse. En relevant nos ridicules et nos vices, Montesquieu a sans doute voulu rendre justice à nos avantages; il a senti toute la fadeur d'un éloge direct, et il nous a plus finement loués, en prenant notre ton pour médire plus agréablement de nous.

Les Lettres familières de Montesquieu sont au-dessous de sa réputation; s'il revenoit parmi nous, il sauroit trèsmauvais gré à l'abbé de Guasco de les avoir publiées.

De pareilles lettres, écrites avec cette négligence assez ordinaire à ceux qui n'y attachent aucune prétention, doivent rester entre les mains des personnes à qui elles sont adressées. On voit clairement que l'abbé de Guasco n'étoit pas fâché que le public fùt instruit de sa correspondance avec un grand homme.

LITTLETON. (mylord) Lorsque le président de Montesquieu publia ses Lettres persanes, il eut des imitateurs qui trouvèrent l'habillement persan assez commode pour débiter leurs paradoxes ou leurs satyres. Le lord Littleton se mit sur les rangs, et c'est peut-être le copiste qui a le plus approché de son modèle: mais il n'a ni les graces ni le badinage ingénieux et varié du philosophe françois. Littleton a voulu peindre sa nation, et il l'a fait avec cette hardiesse, cette vérité, cette liberté qui caractérise le génie anglois. En général, la partie politique de cet ouvrage pique plus que tout le

reste.

Ces nouvelles Lettres persanes demandoient des notes de la part du traducteur; elles eussent jeté de la clarté sur un nombre de traits qui échappent au lecteur françois, parce qu'il n'est pas assez instruit, et que mylord Littleton a plus écrit pour sa nation que pour. la nôtre.

VOLTAIRE. On voit dans les Lettres secrètes de Voltaire, un homme qui, forcé d'habiter une retraite et d'avoir un correspondant à Paris, donne à ce correspondant des éloges que le cœur ne paroît pas dicter. Le poète et le bel esprit s'y font sentir quelquefois; le

véritable ami ne s'y rencontre guère. Peut on souffrir d'ailleurs les injures grossières qu'il vomit contre, tous ses ennemis? Ce ton d'emportement ne plaît pas, même à ceux qui aiment les plaisanteries satyriques, et non les sarcasmes grossiers.

Outre les Lettres secrètes, on nous a donné la Correspondance de Voltaire. On y trouve beaucoup de répétitions; mais elle offre un modèle de facilité, et des graces qui n'appartiennent qu'à ce grand écrivain. On a imprimé les Lettres de Voltaire en seize volumes.

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J. B. ROUSSEAU. Un ton d'amertume se fait remarquer dans les Lettres de J. B. Rousseau : il y dit le pour et le contre. Il flatte ceux qui peuvent le protéger ou le servir; il outrage tous les autres. L'impression qui reste de la lecture de ces Lettres, n'est pas favorable à l'auteur.

RACINE.

On trouve dans les Mémoires de Racine le père, publiés par son fils, un grand nombre de Lettres qui donnent de ce poète une idée beaucoup plus avantageuse; il y paroît bon ami et bon père. Le style n'a rien d'ailleurs qui puisse se faire remarquer, si l'on excepte ses deux Lettres contre les solitaires de PortRoyal. Il ne faut pas pourtant les comparer aux Lettres provinciales; ouvrage inimitable, qui ne tombera pas, quoique les jésuites, qui en font le sujet, soient tombés.

Recueils de lettres.

Le Modèle des Lettres, imprimé à Lyon il y a quelques années, est une collection puisée dans nos meilleurs

épistolaires françois ; les préliminaires dont l'auteur l'a ornée en augmentent le prix. Mais ces lettres étant puisées dans différens auteurs, qu'un homme d'un esprit ordinaire ne sauroit imiter, ce recueil est beaucoup moins utile' qu'on ne croit. Il faudroit, pour un pareil livre, non un compilateur, mais un homme qui écrivit parfaitement dans le genre épistolaire, et qui composât lui-même toutes les Lettres avec le soin qu'un pareil travail demande.

La même raison qui nous fait restreindre l'usage du Modèle des Lettres, nous empêche de conseiller un Choix de Lettres des plus célèbres écrivains, qu'on a publié à Paris en deux volumes in-12. Pour lire ces sortes de livres avec fruit, il faudroit qu'ils fussent mieux digérés, plus uniformes et plus méthodiques.

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Le droit naturel étant le fondement du droit public, il faudroit indiquer les ouvrages qui traitent du premier, avant de venir à ceux qui n'ont que le second pour objet mais ces deux droits ayant été confondus dans la plupart des livres, nous ferons connoître ceux qui ont été les plus estimés.

GROTIUS. Grotius est célèbre par son Traité du Droit de la Guerre et de la Paix, traduit par Barbeyrac, deux volumes in-4°. Ce livre n'est proprement qu'une compilation, qui ne méritoit pas le tribut d'estime que l'ignorance lui a long-temps payé. L'auteur étoit trèssavant; mais il ennuie par sa science même, parce qu'elle est très-mal digérée. Il cite tour-à-tour Horace, Tertullien, Chrysippe, S. Augustin, Aristote, S. Jérôme, etc. Copier ainsi les pensées des auteurs qui ont dit le pour et le contre, ce n'est pas penser, c'est arborer les livrées du pédantisme.

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