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LA SAINT-BARTHÉLEMY

D'APRÈS

LES ARCHIVES DU VATICAN.

J'ai rendu compte, il y a quelque temps, dans ce recueil', de la continuation des annales de l'Église du cardinal Baronius et des trois nouveaux volumes que le père Theiner, préfet des archives apostoliques a publiés récemment 2. Cette publication renferme le pontificat de Grégoire XIII (1572, 1585). Elle embrasse, par conséquent, une des périodes les plus intéressantes de l'histoire de France, celle où la vérité a été le plus obscurcie par les passions religieuses. Les nombreuses preuves que le père Theiner a jointes à son ouvrage, et qui sont tirées des archives secrètes du Vatican, sont de nature à jeter du jour sur bien des faits dont les causes sont diversement appréciées. Parmi ces documents il en est qui méritent une grande confiance: je veux parler des correspondances diplomatiques, témoins irrécusables et impartiaux des événements, destinées dans le principe au secret, et qui offrent toute garantie de franchise. Au nombre des événements importants sur lesquels le nouvel ouvrage du savant Oratorien répand une lumière inespérée, je citerai en première ligne la Saint-Barthélemy je demanderai la permission de recueillir dans les dépêches du nonce Salviati les notions qui per

1. Bibl. de l'École des Chartes, IVe série, t. V, p. 526 et suiv.

2. Annales Ecclesiastici, quos post Cæsarem S. R. E. card. Baronium, Odoricum Raynaldum ac Jacobum Laderchium, presbyteros congregationis Oratorii de Urbe, ab an. M. DLXXII ad nostra usque tempora continuat Augustinus Theiner, Romæ, ex typographia Tiberina, 1856, 3 vol. in-folio.

III. (Cinquième série.)

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mettent d'établir le véritable caractère de ce massacre dont on a si souvent fait retomber la responsabilité sur l'Église catholique et sur la cour de Rome. Quelques-unes de ces dépêches avaient été publiées dans les preuves de l'histoire d'Angleterre de Mackintoch '; mais la publication de l'ensemble de ces dépêches, outre les notions nouvelles qu'elle apporte, donne à cette correspondance un cachet de sincérité qu'on pouvait refuser à des fragments choisis avec intention.

On ne saurait avoir trop d'horreur pour ce crime, qui déshonora le seizième siècle; le père Theiner a trouvé pour le flétrir de fortes et généreuses paroles. Mais, si tout le monde est d'accord sur l'atrocité de ce forfait, qui présente le double caractère de la cruauté et de la lâcheté, on n'est pas unanime sur les motifs qui ont pu déterminer la cour de France à prendre une mesure aussi violente. Toutefois les opinions peuvent être ramenées à deux principales: la Saint-Barthélemy est un crime religieux, disent les uns; les autres affirment que c'est un crime politique. Nous sommes de l'avis des derniers, avis partagé de nos jours par les écrivains protestants qui ont, avant de se prononcer, fait une étude sérieuse et impartiale de tous les documents. Ranke 2, Raumer, et plusieurs autres historiens allemands, ont nié que la religion ait été la cause de la SaintBarthélemy. En France, où l'on porte des préjugés et des partis pris en toute chose, et surtout en histoire, catholiques et protestants semblent s'être donné le mot pour voir dans les passions religieuses la cause de cette épouvantable tragédie. Toutefois les uns en attribuent à la cour l'initiative, tandis que les autres ne veulent voir dans ce massacre que l'explosion des sentiments religieux d'un peuple attaché sincèrement à ses croyances.

Les dépêches de Salviati et les autres documents publiés par le père Theiner ne permettent pas de s'arrêter à cette dernière opinion. Je vais suivre et analyser ces actes importants en les comparant aux mémoires contemporains.

On est en l'année 1572: la paix, longtemps troublée, règne entre les protestants et les catholiques : la cour semble pencher

1. History of England, IV, append.

2. Histoire de France au seizième et au dix-septième siècle, trad. Porchat, I, p. 307 et suiv.

3. Frankreich und die Bartholomeus nacht, Historisches Taschenbuch. Leipzig, 1854.

vers les idées de tolérance; la concorde doit même être resserrée par le mariage d'une sœur du roi de France avec le jeune roi de Navarre, l'un des chefs du parti calviniste. La reine de Navarre se rend à Paris pour traiter du mariage de son fils avec Marguerite de Valois. Elle est reçue avec affection par le roi, dont les démonstrations d'amitié paraissent sincères; mais elle trouve une ennemie dans la reine mère, Catherine de Médicis, qui voit avec crainte l'union de Charles IX avec les huguenots. Après bien des difficultés suscitées par la reine-mère et son fils favori le duc d'Anjou, qui fut depuis Henri III, Charles IX et Jeanne d'Albret tombent d'accord: le mariage du jeune Henri et de Marguerite est fixé à un délai très-rapproché, et doit être célébré avec une pompe extraordinaire; on y invitera la noblesse protestante, restée depuis quelque temps éloignée de la cour. On s'apprête de part et d'autre à cimenter la paix et à oublier les anciennes divisions pour vivre dans un accord dont les chefs donnent l'exemple. Le roi demande au pape des dispenses nécessaires à double titre, à cause de la différence de religion des futurs époux, et de leur parenté à un degré prohibé par les canons, mais non assez rapproché pour être un obstacle qui ne puisse être levé. Le cardinal de Bourbon, le même qui fut le Charles X de la ligue, oncle du roi de Navarre, insista vivement auprès du saint-siége pour obtenir cette dispense qu'on faisait difficulté d'accorder '.

Un événement inattendu vint retarder le mariage fixé au mois de juin. Déjà les principaux protestants se rendaient de tout côté à Paris pour assister aux fêtes qui allaient se célébrer. Le nonce apostolique, l'évêque de Gajazzo, raconte que la veille de la Fête-Dieu, le chef du parti, l'amiral Coligny, fit son entrée à Paris à la tête de plus de trois cents gentilshommes, dont les uns étaient venus avec lui et les autres s'étaient portés à sa rencontre. Le même jour il alla visiter le roi et la reine au château de Madrid. Le duc de Guise, ennemi mortel de Coligny, qu'il accusait d'avoir trempé dans l'assassinat de son père par Poltrot de Méré, au siége d'Orléans, et l'amiral se saluèrent, d'après l'ordre exprès du roi, l'amiral saluant le premier. Charles IX avait à cœur d'assoupir toutes les haines. Le lendemain, jour de la Fête-Dieu, la reine de Navarre tomba malade : elle mourut

1. Theiner, I, p. 47.

trois jours après, alors que les huguenots témoignaient hautement leur joie d'avoir une jeune reine et que Jeanne d'Albret était à la veille de son triomphe. Jeanne s'était montrée ennemie implacable de Rome: aussi sa mort fut-elle, aux yeux du nonce, un effet merveilleux de la toute-puissance de Dieu. On la regardait, peut-être avec raison, comme le principal obstacle à la conversion de son fils: telle était l'opinion du nonce, du roi, de Catherine et du cardinal de Bourbon.

Si les catholiques montrèrent de la joie de ce trépas, si soudain qu'il donna lieu à des accusations de poison que rien ne prouve être fondées, le parti protestant en fut accablé. Pendant que ceci se passait à Paris, le roi de Navarre était en route pour rejoindre sa mère. (Dépêche de l'évêque de Gajazzo du 9 juin 1572 '.)

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Dans une dépêche suivante, en date du 20 juin, l'évêque de Gajazzo revient sur l'effet produit par la mort de la reine de Navarre. Coligny en fut tellement affecté que la fièvre le prit et le tint durant plusieurs jours. Charles IX et la reine mère furent soulagés d'un grand poids par la mort de Jeanne d'Albret. . Leurs majestés, dit le nonce, furent affranchies de la patience et de la dissimulation dont elles avaient été obligées d'user en mainte occasion avec cette femme insolente et dangereuse. L'accusation d'hypocrisie est formelle, et elle est d'autant plus grave qu'elle est portée par un ami. La jeune Catherine de Bourbon, agée de douze ans, fille de la défunte, fut placée sous la protection de la reine-mère. Quant à son frère, dès qu'il fut instruit de la mort de sa mère, il écrivit au roi pour protester de son attachement et de son obéissance à tout ce qu'il lui commanderait 2. Cependant il ne se montra pas d'aussi bonne composition qu'on l'espérait on avait cru le ramener facilement à l'Église romaine; mais il résista, et cette résistance retardait son mariage. En vain le cardinal de Bourbon donnait à Rome des espérances d'une conversion prochaine, et insistait pour obtenir un bref qui permît la célébration de l'union projetée: on exigeait une abjuration. Le 7 juillet, Grégoire XIII écrivait au cardinal une lettre affectueuse, où il le remerciait de ses bons soins pour faire rentrer son neveu dans le sein de l'Église, et

1. Theiner, I, p. 338.

2. Id., p. 339.

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