Page images
PDF
EPUB

dame, lui écrit-il, que je vous parle de la nation anglaise ; il faudrait commencer par la connaître, et ce n'est pas l'affaire d'un jour. Trop bien instruit par l'expérience, je ne jugerai jamais légèrement ni des nations, ni des hommes, même de ceux dont j'aurai à me plaindre ou à me louer. D'ailleurs je ne suis point à portée de connaître les Anglais par eux-mêmes; je les connais par l'hospitalité qu'ils ont exercée envers moi, et qui dément la réputation qu'on leur donne il ne m'appartient pas de juger mes hôtes. On m'a trop bien appris cela en France pour que je puisse l'oublier ici.

sance,

« Je voudrais vous obéir en tout, Madame; mais, de grâce, ne me parlez plus de faire des livres, ni même trop des gens qui en font. Nous avons des livres de morale cent fois plus qu'il n'en faut, et nous n'en valons pas mieux. Vous craignez pour moi le désœuvrement et l'ennui de la retraite; vous vous trompez, Madame, je ne suis jamais moins ennuyé, ni moins oisif que quand je suis seul. Il me reste, avec les amusemens de botanique, une occupation bien chère, et à laquelle j'aime chaque jour davantage à me livrer. J'ai ici un homme qui est de ma connaiset que j'ai grande envie de connaître mieux. La société que je vais lier avec lui m'empêchera d'en désirer aucune autre. Je l'estime assez pour ne pas craindre une intimité à laquelle il m'invite; et comme il est aussi maltraité que moi par les hommes, nous nous consolerons mutuellement de leurs outrages, en lisant dans le cœur de notre ami qu'il ne les a pas mérités. Vous dites qu'on me reproche des paradoxes? Eh! Madame, tant mieux; soyez sûre qu'on me reprocherait moins des paradoxes, si l'on pouvait me reprocher des erreurs. Quand on a prouvé que je pense autrement que le peuple, ne me voilà-t-il pas bien réfuté? Un saint homme de moine, appelé Ca

chot (1), vient en revanche de faire un gros livre pour prouver qu'il n'y a rien à moi dans les miens, et que je n'ai rien dit que d'après les autres. Je suis d'avis de laisser, pour toute réponse, aux prises avec sa révérence, ceux qui me reprochent, à si grands cris, de vouloir penser autrement que tout le monde. »

On doit s'étonner que les lettres de Rousseau qui se trouvent dans ce recueil soient restées inédites, tandis que beaucoup d'autres, adressées également à la comtesse de Boufflers, font depuis long-tems partie de ses œuvres. Il est vrai qu'on trouve, dans les nouvelles, quelques passages dont la publication eût été dangereuse à l'époque où le parlement avait encore de la puissance; tel est le passage suivant : « Vous m'étonnez, Madame, en mẹ reprochant mon indignation contre le parlement de Paris; je le regarde comme une troupe d'enfans étourdis qui, dans leurs jeux, font, sans le savoir, beaucoup de mal aux hommes; mais cela n'empêche pas qu'en ne l'accusant envers moi que d'iniquité, je ne me sois servi du mot le plus doux qu'il était possible. Puisque vous avez lu le livre, vous savez bien, Madame, que le réquisitoire de l'avocat général n'est qu'un tissu de calomnies qui ne pourraient sauver que par leur bêtise le châtiment dû à l'auteur, quand il ne serait qu'un particulier; que doit-ce être d'un homme qui ose employer le sacré caractère de la magistrature à faire le métier qu'il devrait punir? »>

Aujourd'hui même, il serait dangereux de parler avec autant d'irrévérence d'un réquisitoire, fût-il même de la force de ceux du fameux Omer ou de Fleuri. Il paraît que madame de Boufflers était très-discrète, et qu'aucune des

(1) Rousseau veut parler de dom Cajot, auteur des Plagiats de J. J. Rousseau dans le livre d'Emile,

lettres qui lui avaient été adressées n'a été publiée avec son consentement. Quant à ses propres lettres, on ne trouve dans ce recueil que les deux qu'elle écrivit, comme je l'ai dit plus haut, à Rousseau et à Hume, à l'occasion de leur fameux démêlé. Cependant on voit, par les réponses de Hume, qu'elle lui en avait adressé un grand nombre; peut-être se trouvent-elles encore chez les héritiers de l'historien anglais; elles doivent être intéressantes par les particularités qu'elles contiennent sans doute sur les hommes et sur les événemens du règne de Louis XV, époque où la France marchait déjà à grands pas vers la réforme totale de ses institutions. DEPPING.

wwwww.m

DELLE ODI DI Q. ORAZIO FLACIO, etc. ODES D'HORACE, traduites en vers italiens. par M. THOMAS GARGALLO (1).

De tous les poètes anciens, Pindare, et Horace qu'on peut regarder sous plus d'un rapport comme le Pindare des Latins, sont, sans contredit, les plus difficiles à traduire dans les langues modernes. Toutefois, cette difficulté même semble avoir été un attrait de plus pour les traducteurs qui se sont présentés successivement dans l'arêne, avec l'espoir de surpasser leurs devanciers. Francesco Mezzanotte, de Pérouse, et Lucchesini, de Lucques, sont, parmi les Italiens, les plus nouveaux des nombreux traducteurs de Pindare. Mais Horace en comptait encore un plus grand nombre ayant M. Gargallo, qui cite luimême plus de cinquante traductions italiennes de ce poète, parmi lesquelles il s'en trouve trois encore inédites:

(1) Naples, 1820, 4 vol. in-8o,

l'une conservée dans la bibliothèque Magliabechiana; l'autre faite par Gianonne, lorsqu'il gémissait dans les prisons de Turin; et la dernière de l'abbé Galiani. Entre celles qni ont été publiées avec plus ou moins de succès, on distingue les traductions de Stefano Pallavicini, de Giuseppe Solari, de Francesco Venini, de Melchiorre Cesarotti, et de Lodovic Antonio Vincenzi; mais M. Gargallo me semble supérieur à tous.

Il avait déjà publié en 1811, à Palerme, une version des odes d'Horace; il donne aujourd'hui la traduction complète des œuvres de ce poète, enrichie de commentaires et de notes. Une préface étendue, accompagnée de notes, se trouve en tête du premier volume, et prouve que l'auteur est aussi bon prosateur que bon poète. Il ne se contente pas de cette correction et de cet emploi continuel du mot propre qui pourraient suffire au genre didactique; il recherche encore cette élégance et ce fini qui annoncent peut-être trop le travail et l'art de l'écrivain. Souvent même, les pensées paraissent moins heureuses que les expressions. Il commence par exposer les difficultés de l'art de traduire; il caractérise ensuite le génie poétique et la philosophie morale d'Horace, et cherche même à exposer le système de ses principes littéraires et philosophiques. Puis suivant la marche, les vicissitudes et les perfectionnemens de la langue italienne, il s'attache à la justifier, peut-être plus qu'il ne convient, des reproches que lui font les étrangers. Nous ne croyons pas hors de propos de faire remarquer ici que le seul reproche qu'on puisse aujourd'hui adresser à la langue italienne, est la prolixité et une trop grande redondance qui nuisent souvent à la précision, surtout dans le genre didactique. Il est vrai que la richesse actuelle des idées et les progrès que l'instruction publique fait de jour en jour, exigent un choix sévère et

beaucoup d'économie dans les pensées, et plus encore dans les mots. Jamais on n'a plus senti l'importance de cette maxime employer le moins de mots possible pour exprimer le plus possible d'idées. Cicéron, imité par Boccace, et parodié par les imitateurs de celui-ci, semble avoir donné lieu à l'abus que nous signalons. Toutefois, cette prolixité même n'est point un vice inhérent à la langue italienne, mais un défaut particulier et accidentel des écrivains qui en abusent. Le Dante l'a prouvé, ainsi que plusieurs écrivains de son tems, qui, moins corrects et moins élégans que lui, ont la même concision et la même force. Quoique Boccace ait détourné la langue italienne de sa première direction, on rencontre, dans les siècles suivans, des écrivains qui l'y ont ramenée : tels sont Machiavel, Segni, Gravina, Parini, Alfieri, etc.

M. Gargallo entre également dans quelques détails sur la versification italienne, et sur les moyens qu'il a employés pour en varier les tours et la plier de manière à rendre plus fidèlement les idées d'Horace. Le rhythme de chacune de ses odes est ordinairement approprié au sujet ; quant aux épîtres et aux satires, il les a traduites en vers blancs (sciolti). Plusieurs de ses devanciers s'étaient donné beaucoup de peine pour reproduire le mètre et le rhythme des Latins; ils croyaient y être parvenus, lorsqu'ils avaient pu rendre l'harmonie des vers latins prononcés à la manière italienne, comme si cette espèce d'harmonie était celle que les Latins leur donnaient. M. Gargalló, moins superstitieux, au lieu de rechercher cette prétendue harmonie que nous pouvons tout au plus comprendre par la réflexion, mais que l'ouïe seule peut faire saisir et apprécier, s'est contenté d'accorder la préférence aux mètres que la versification italienne lui a présentés comme plus conformes à lá nature des divers sujets qu'il avait à traiter.

TOME IX.

21

« PreviousContinue »