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leur application aux chefs-d'œuvre de l'esprit humain. Il s'est occupé de la première en 1820; il va consacrer cette année à la seconde; il a fait, dans sa première leçon, l'histoire de la langue française, et s'est livré à de savantes recherches pour remonter jusqu'à son origine et en découvrir les premiers fondemens. Il a commencé ensuite l'histoire de la littérature sous Charlemagne, et c'est cette histoire qu'il poursuit, en parcourant les productions de ces premiers siècles; cette partie de son cours reçoit un vif intérêt des citations de fabliaux et de pièces anciennes, peu connues, mais qui ne manquent ni de naïveté ni de grace. Arrivé à Rabelais, le professeur prend, pour ainsi dire, le ton de l'auteur dont il parle, et fait ainsi le portrait du joyeux et spirituel curé de Meudon.

« Il existait, vers le commencement du seizième siècle, un frère cordelier d'une imagination vive et d'une prodigieuse mémoire, prédicateur renommé et bouffon agréable, fort aimé des gens du monde qu'il amusait, et fort peu de ses confrères qu'il effaçait; emprisonné par les moines et protégé par le pape, bénédictin après avoir été cordelier, médecin et chanoine après avoir été bénédictin, absous d'apostasie pour avoir égayé les cardinaux et le saint-père; enfin retiré à Meudon, et là, médecin de son. diocèse, et pasteur de ses malades. C'est alors qu'il publie le plus fou, le plus raisonnable, le plus grossier, le plus spirituel, le plus adroit, le plus hardi des livres. Les moines en assurent le succès, en le faisant censurer par la Sorbonne, et l'auteur est regardé comme l'esprit le plus fin, le plus piquant et le plus ingénieux qui soit en France. »

« Quel est le vrai caractère de ce singulier écrivain? estce un romancier extravagant qui ne mérite ni l'attention ni l'estime des hommes qui pensent? est-ce un philosophe adroit qui, en se moquant de tout ce qu'on honorait, de

tout ce qu'on admirait de son tems, a vu qu'il n'échapperait à la colère du siècle qu'en se couvrant du masque de la folie? a-t-il écrit pour le vulgaire, en prodiguant les facéties obscènes et les contes licencieux ? a-t-il écrit pour les sages, en renfermant dans ses plus folles conceptions un sens si profond et des leçons si solides? est-ce un profanateur des mœurs et de la religion, qui en outrage la sainteté au lit même de la mort ? est-ce un prêtre d'une foi sincère, qui respecte Dieu en se jouant des hommes. »

« Ces opinions si contraires trouvent de quoi s'appuyer et se défendre dans la vie et dans les ouvrages de Rabelais. Aussi, jamais auteur ne fut-il si diversement jugé; on le méprise, on l'admire; son livre est le charme de la canaille, ou le mets des esprits les plus délicats (1).

E. F.

(1) M. de Gérando, étant tombé malade, n'a pu continuer, cette année, son cours de droit administratif, dont nous avons annoncé, l'anuée dernière, l'introduction et le plan. (Voyez Tome V, page 347). On se flatte que ce cours, si éminemment utile et réclamé impérieusement par la nature de nos institutions nouvelles, pourra être repris sous peu de tems; alors, les éditeurs du Journal des Cours publics dédommageront leurs lecteurs d'un retard occasionné par une circonstance indépendante de leur volonté.—Le cadre qu'ils s'étaient prescrit ne leur a pas permis d'y comprendre le cours de littérature française de M. Andrieux, professeur au collège de France, qui, par la manière agréable et ingénieuse dont il a su présenter ses leçons, en a fait un véritable cours de philosophie et de morale. On doit regretter aussi que la suspension du cours de M. Cousin nous prive de l'analyse des leçons de philosophie que devait faire ce jeune et savant professeur N. d. R.

LITTÉRATURE.

OEUVRES COMPLETES DE MARMONTEL (1).

Marmontel, contemporain de Voltaire, de Buffon, de Rousseau, de Diderot, ne put prétendre rivaliser avec le génie ou le talent de ces écrivains supérieurs; mais, en se groupant avec eux dans le tableau littéraire du dixhuitième siècle, il fit refléter sur son front quelques rayons de leur gloire, et mérita du moins l'une des premières places du second rang parmi les prosateurs français. Il essaya d'abord d'être poète, et il eut le courage de composer six tragédies qui furent représentées, mais dont aucune ne s'est conservée au théâtre. On y rencontre des scènes attachantes, et, presque dans toutes, des beautés de détail; mais il faut prendre Marmontel au mot, lorsqu'il déclare qu'il ne se sentait pour la poésie qu'un talent médiocre (2). Il ne fut ni un grand poète, ni même un parfait versificateur; et, s'il a semé trop de vers dans sa prose (3), on peut dire qu'il laisse trop de prose dans ses vers, dont la phrase n'est pas toujours assez poétique. Parmi un grand nombre de ballets, de pastorales et de tragédies lyriques qu'il donna à l'Académie de musique, Didon eut seule un succès que le compositeur de la musique partagea, et il est juste d'observer que Marmontel était parvenu à rendre le personnage du pieux Enée, moins froid qu'il ne l'est dans les divers auteurs qu'il a imités.

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(1) Edition nouvelle en 7 vol. in-8°, de 7 à 800 pages. Paris, 1819 et 1820, chez A. Belin, éditeur, imprimeur-libraire. Papier superfin, 56 fr.

(2) Mémoires.

(3) Les Incas.

TOME IX.

33

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Si nous avons décidé avec sévérité que Marmontel ne fut pas poète, du moins dans les grandes compositions, nous reconnaissons volontiers qu'il a mérité d'être compté au premier rang, parmi les auteurs d'opéras comiques, moins pour la verve et la force comique même, que pour la correction, la pureté du goût, l'élégance du style et même l'invention; car, en relevant le genre de l'opéra comique, il en a créé un genre nouveau. Dans ses poésies diverses, l'épître aux poètes, sur les charmes de l'étude, le discours sur l'éloquence et l'épître à mademoiselle Guimard doivent être remarqués. La dernière de ces pièces nous paraît rappeler la manière, à la fois légère et philosophique, de Voltaire.

En passant du poète au prosateur, la série des titres littéraires de Marmontel s'ouvre par les Contes moraux. Ils eurent un grand succès de vogue qui les a fait traduire dans toutes les langues de l'Europe. Dans l'édition qu'il a donnée lui-même de ses œuvres, l'auteur fait précéder ces contes d'une préface qui en indique l'origine, la moralité, et en apprécie assez bien le genre et le mérite. Nous répétons avec lui qu'il est des caractères qui, pour être présentés dans toute leur force, exigent des combinaisons et des développemens dont un conte n'est pas susceptible; aussi n'a-t-il fait que les indiquer, comme il n'a fait qu'effleurer les ridicules. Les mœurs, en général, n'y sont pas assez approfondies, et ce sont plutôt les mœurs de convention de la société, que les mœurs réelles de l'homme qu'il a retracées (1). Cependant Marmontel créa aussi, dans ses

(1) On a blâmé le titre des Contes moraux, comme n'étant pas toujours assez justifié, mais l'on s'est trompé. Ce qui est moral peint les mœurs, et peut ne pas toujours représenter la vertu. C'est dans ce sens que Rousseau avait mis pour épigraphe à sa Nouvelle Héloïse: « J'ai vu les mœurs de mon tems, et j'ai publié ces lettres. »

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Contes moraux, un genre aimable qui fit école, et il est juste d'avouer qu'aucun de ses disciples ne l'a jusqu'à présent surpassé, ni même égalé, quoiqu'il soit moins difficile, sans doute, de continuer les Contes moraux, que les Lettres persannes.

Laharpe trouvait qu'il y a de l'attique dans les contes de Marmontel. C'était sans doute pour dire, par antithèse ou par compensation, qu'il y avait du béotien en lui, pour tout ce qui concerne les objets de goût et d'imagination et la théorie des arts. La critique nous semble aussi exagérée que l'éloge; et nous croyons émettre une opinion plus juste sur les Contes moraux, en jugeant que la conception en est spirituelle, sans être profonde, et que le talent littéraire y a des formes heureuses, et quelquefois même éminemment dramatiques : il est vrai que, contes pour contes, les penseurs doivent préférer les romans de Voltaire; mais les Contes moraux resteront comme une lecture agréable, qui, convenant mieux aux femmes et aux jeunes gens, peut aussi intéresser les esprits les plus graves.

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La réputation de Marmontel, fondée par les Contes moraux comme prosateur, s'étendit considérablement par la publication de Bélisaire, sorte de roman politique, dont le quinzième chapitre, consacré à la tolérance des cultes, valut à la fois à l'auteur un débit extraordinaire de l'ouvrage, les éloges de plusieurs souverains, un mandement du même archevêque qui avait condamné l'Emile, sa nomination à l'Académie française et la place d'historiographe de France. Laharpe trouve au livre de Bélisaire le grand défaut de commencer par un roman et de finir par un sermon ; et, en effet, si l'auteur eût pu accomplir le drame dont il

avait ouvert si heureusement l'avant-scène, s'il n'eût pas fait succéder à l'action des discours qui la laissent interrompue,

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