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société, comme tous les édifices du même genre.... Il y avait deux Egyptes, l'une sur terre, l'autre sous terre, et les pyramides participaient de l'une et de l'autre ; elles descendaient sous terre, elles s'élevaient dans les airs, mais toujours avec des moyens de défendre les Egyptiens des deux grands fléaux de leur climat, la sécheresse brûlante du ciel et les tourbillons de sable enflammé. Je ne sais si cette explication sera approuvée, mais elle est puisée dans la nature du climat, dans l'esprit général de l'architecture des Egyptiens, dans leur goût ou plutôt dans leur passion pour les habitations souterraines, dans les rites de leur religion, dans tout ce que l'histoire raconte de prodiges de leur initiation. Les autres conjectures attribuent de si grands édifices à une petite cause, ma conjecture les attribue à toutes les causes qui agissaient avec le plus de puissance sur toute la nation. »

STANCES

D'un provincial à Paris.

ENFIN j'ai vu la ville immense

Où les provinciaux vont chercher le bonheur,
J'ai dit en la voyant : Quelle magnificence!
Le monde est un grand corps dont Paris est le cœur.

J'AI vu ces tours où l'art insulte à la nature,
Temples saints que l'orgueil bâtit.
J'ai vu ces longs bosquets, colosses de verdure,
Et ces palais si grands où l'homme est si petit.

t

DANS des chars transparens où le luxe se joue,

J'ai vu des dieux nonchalamment portés ;

J'ai mieux fait que les voir, ils m'ont couvert de boue,
Noble émanation de ces divinités.

J'AI vu multiplier les Muses et les Grâces;
J'ai vu sur cinq ou six Parnasses

Le chaste Chérubin et le décent Jeannot,
Les prisons de Sedaine et les cercueils d'Arnaud.

DANS un temple de la Magie,

Où les Arts alliés joignent leur énergie,
J'ai vu des palladins qui, par un rare effort,
Dansaient à l'agonie, et même après la mort.

J'ai vu des nymphes surannées

Inscrire sur leur front le chiffre de vingt ans ;
J'ai vu des fleurs d'hiver et des roses fanées
Disputer la fraîcheur aux filles du Printems.

J'AI vu plus d'une aventurière
Afficher le plaisir, le chagrin dans le cœur,
Et des Vénus dans la misère
Crier Venez ici, nous vendons le bonheur !

:

ENFIN dans ce Paris chacun veut aller vivre;
C'est le rendez-vous des souhaits;
Cependant je n'y vis jamais

Un seul homme content, à moins qu'il ne fût ivre.

On a donné, mardi 26 juin, sur le théâtre Italien, la première représentation de la Double clef ou Colombine commissaire, comédie-parade en deux actes et en vers. Les paroles sont de M. Desfaucheret, l'auteur du Mariage secret,

de l'Avare cru bienfaisant, etc. La musique est de M. Louet, de Marseille, amateur, qui a fait des pièces de clavecin et de piano très-agréables. Cet ouvrage est le premier qu'il ait hasardé au théâtre.

A peine l'impatience du public a-t-elle permis d'achever cette nouvelle comédie - parade. Le défaut d'invraisemblance est le moindre reproche qu'on ait à lui faire. On eût volontiers pardonné à l'auteur les moyens forcés qu'il emploie pour amener des situations plaisantes, s'il eût animé au moins son dialogue de ce mélange de finesses et de balourdises, de ce ton tour à tour grave et burlesque qui fait rire quelquefois même en dépit du bon sens; mais on ne peut concevoir qu'un homme dont les autres productions annoncent quelque mérite ait pu hasarder un ouvrage si froid, silong, si dépourvu de toute espèce d'esprit et de goût.

Quant à la musique, elle n'a presque jamais le caractère piquant et comique qui convient à une comédie-parade, on sent partout l'effort de l'imitation. Les accompagnemens seuls justifient quelquefois l'idée avantageuse que l'auteur avait donnée de son talent par ses pièces de clavecin et par

la

manière brillante dont il les exécute. Il est attaché au concert de la reine, et a souvent l'honneur d'accompagner sa majesté.

Virginie, tragédie en cinq actes, représentée pour la première fois au théâtre Français, le mardi

11 juillet, a reçu de grands applaudissemens, et mérite d'être distinguée de cette foule d'ouvrages dramatiques qu'on voit paraître et disparaître chaque année; la conduite en est sage, le style en général noble, simple et pur; s'il n'est pas également soutenu, s'il manque quelquefois de chaleur et d'énergie, si l'on peut lui reprocher même des parties fort négligées, il n'est du moins jamais ni obscur, ni précieux, ni déraisonnable. C'est ce qui a fait dire, avec quelque soin que l'auteur ait voulu garder jusqu'ici l'anonyme, que la pièce était trop bien pour n'être pas de M. de La Harpe, et qu'elle était encore plus sûrement de lui parce qu'elle n'était pas mieux.

Le sujet de Virginie, comme celui de Coriolan, offre de belles scènes, des caractères imposans, une situation très-dramatique ; il n'est donc guère étonnant que l'on ait tenté si souvent de le traiter. Nous connaissons une Virginie de J. Mairet, celle de Le Clerc, de La Beaumelle, de M. de Chabanon, etc. Ce fut, comme on sait, le premier essai de Campistron. Mais comment aucun des grands maîtres de la scène ne s'est-il emparé d'un trait d'histoire si célèbre, et qui présente à l'imagination des beautés si frappantes? Cela seul ne ferait-il pas présumer que ce sujet, tout séduisant qu'il est, pourrait bien n'être pas aussi heureux qu'il semble l'être au premier aperçu? Si le peu de succès qu'ont eu jusqu'ici toutes les Virginie connues n'en est pas une preuve suffisante, on peut penser du moins que c'est une présomption peu favorable.

Est-il facile, en effet, d'inventer une fable où les circonstances qui ont préparé cette catastrophe terrible se développent d'une manière naturelle et attachante, où les différens caractères que rassemble cette scène n'occupent que la place qu'il leur convient d'occuper, où l'intérêt qu'inspire Virginie soit assez vif, assez touchant, et ne l'emporte pas cependant sur cet amour de la liberté, sur cet héroïsme patriotique qui paraît devoir être le ressort principal de l'action? De quel art n'aura-t-on pas besoin pour lier heureusement ces deux intérêts, pour en ménager le mouvement et les progrès de manière qu'au lieu de nuire à l'effet l'un de l'autre, ils servent encore à se renforcer mutuellement? Que faire ensuite du rôle d'Appius? Comment sauver la bassesse de son crime, et comment le punir après? Que l'atrocité en est froide et révoltante si elle n'est pas motivée par le plus violent amour! et comment peindre le décemvir amoureux sans qu'il paraisse ridicule et par son amour même, et par l'indignité des moyens dont il ose se servir? Que de difficultés à vaincre! que d'écueils à éviter!

L'analyse de cette pièce, en laissant trop voir tous ses défauts, ne suffirait pas pour en rappeler toutes les beautés. Sans offrir un intérêt fort attachant, la conduite est au moins fort supérieure à celle de toutes les Virginie que nous avions vues jusqu'à présent; aussi la pièce a-t-elle été en général bien reçue; on a demandé l'auteur à grands eris aux deux ou trois premières représentations.

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