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la Femme abandonnée, opéra en trois actes. Les paroles sont de M. Gersain (1), la musique est de M. Gossec, auteur de celle de Sabinus, de Thésée, mais connu plus avantageusement par ses symphonies, ses motets, et surtout par sa belle messe des morts.

Ce n'est pas la première fois sans doute qu'on a présenté au théâtre des messieurs Delorme, mais on n'en a pas moins été révolté du rôle infâme que fait celui-ci, du caractère froidement amoureux et bassement criminel de son maître, et l'on ne s'en est trouvé guère dédommagé par les tristes doléances de Rosine et de Germond, qui offrent tout à la fois un mélange bizarre du langage le plus plat et du ton le plus sublime.

Il s'en faut de beaucoup que la musique ait couvert les défauts du poëme; quoique assez correctement écrite, elle est ennuyeuse parce qu'elle est perpétuellement vague et insignifiante, n'ayant presque jamais le caractère qui convenait aux personnages et à la situation. On a distingué un seul air que chante St-Fal au commencement du troisième acte, et son mérite essentiel est d'être le seul peut-être de tout l'ouvrage qui ait la forme et la coupe de ces chants dont les compositions de Piccini et de Sacchini ont fait enfin une sorte de besoin pour nos oreilles. Quelques airs de danse

(1) On prétend que ce M. Gersain, très-inconnu d'ailleurs, que le prête-nom de M. Morel, l'auteur d'Alexandre, de Themistocle, de Panurge, etc.

n'est

méritent encore des éloges; ce talent tient à celui de symphoniste, et c'est une sorte de talent qu'on n'a jamais prétendu disputer à M. Gossec.

RÉCIT de ce qui s'est passé au Parlement le vendredi 11 août 1786 (1).

M. S.... a prouvé ďabord que les informations faites depuis l'arrêt des accusés de Chaumont tendaient à les faire croire coupables, sinon du vol probable pour lequel ils avaient été condamnés, du moins de quelque autre crime.

Il a ensuite exposé ce principe, quand la loi a parlé, la raison doit se taire, principe qu'assurément tout esprit libre, toute âme élevée ne peut s'empêcher d'admettre.

Il a fait voir enfin la supériorité que notre jurisprudence, si fidèlement imitée de celle que les inquisiteurs ont imaginée dans des siècles d'humanité et de raison, a si évidemment sur les coutumes anglaises, qui semblent n'avoir été dictées que par un respect puéril pour la qualité d'homme et une crainte pusillanime de condamner les innocens.

Il a conclu à la suppression du mémoire en faveur des trois accusés, et à une injonction d'étre plus circonspect à l'avenir à l'avocat qui l'a signé; enfin de constater par un arrêt solennel toute la fausseté, tout le danger de cette opinion trop commune aujourd'hui, que tout homme accusé a le

(1) Ce récit est, dit-on, de M. le marquis de Condorcet.

droit de se défendre, que tout homme a le droit de défendre un accusé qu'il croit innocent.

On a été aux voix. M. le président Rolland, de l'académie d'Amiens, a dit qu'il fallait sévir contre le mémoire avec d'autant plus de rigueur qu'il avait fait sur les esprits un plus grand effet, afin de prouver au public à quel point le parlement méprise son opinion. Cependant quelques conseillers, comme MM. Barillon, du Séjour, d'Outremont de Bretignères, presque toute la première des enquêtes, furent d'avis, les uns de remettre la délibération, pour ne rien faire qui pût nuire à la défense des accusés, les autres à renvoyer au roi le mémoire et le réquisitoire, et de s'en rapporter à sa sagesse.

M. le président de Rosambo et quelques autres ont proposé de demander au roi la réforme de la jurisprudence criminelle. On ne sait ce qui en serait arrivé, sans M. d'Ormesson, second président, en qui l'âge n'a point refroidi ce zèle qui lui fit déférer autrefois les capucinades du bonhomme Toussaint, et demander un décret de prise de corps contre l'abbé de Prades, lequel-ne croyait pas aux idées innées; il fit observer qu'en poursuivant l'auteur du mémoire, Messieurs ne se rendraient pas juges dans leur propre cause, comme plusieurs paraissaient le croire. En effet, dit-il, si nous y sommes attaqués, c'est comme magistrats, et en qualité de magistrats nous sommes impassibles; donc nous pouvons sans scrupule venger nos injures. L'effet terrible qu'a produit le mé

moire dénoncé, ajouta-t-il, doit exciter toute la sévérité de la cour. Lorsqu'on ne nous fermait point la porte, on nous recevait avec froideur, on n'osait nous interroger. Enfin ce magistrat conclut à ce que le mémoire fût brûlé par la main du bourreau, et qu'on fîit une information contre l'auteur.

Un de Messieurs, M. Barillon, répondit qu'il ne pouvait être de cet avis, par la raison même rapportée par M. le président, qu'il craignait de trouver, après un pareil arrêt, moins de portes ouvertes, des mines plus froides et des questions plus embarrassantes.

Un autre objecta qu'en se rappelant les époques on trouvait que l'effet dont se plaignait M. le président avait pour cause, non le mémoire, mais la dénonciation du mémoire; que c'était là ce qui avait indigné le public, qui aime aussi à juger et ne pardonne pas plus qu'un autre tribunal lorsqu'on veut restreindre sa juridiction.

Cependant l'avis de M. d'Ormesson a passé à la pluralité de cinquante-cinq voix contre vingtneuf, hommage que le parlement devait sans doute à la patience vraiment chrétienne avec laquelle ce magistrat avait laissé torturer et décapiter le chevalier de La Barre, son neveu à la mode de Bretagne et de son nom, sans se permettre la moindre démarche publique, ni pour prévenir, ni pour anéantir un arrêt regardé par l'Europe entière (la cour du Palais exceptée) comme un assassinat juridique aussi absurde que barbare.

En conséquence, le mémoire pour les trois ac

cusés de Chaumont a été brûlé comme faux, calomnieux, injurieux à la magistrature (dont il loue sans cesse les lumières et l'équité), attentatoire à la majesté royale (à laquelle l'auteur demande respectueusement la réforme des lois criminelles, réforme qu'il espère de la bonté, de la justice, des vertus personnelles du roi).

M. Boula de Nanteuil et quelques autres maîtres des requêtes, présens à la séance, ont été de l'avis de l'arrêt, quoique l'exécution de cet arrêt doive anéantir l'autorité du conseil dont ils sont membres. On assure que M. Dupaty, président à mortier au parlement de Bordeaux, a eu un courage d'une autre espèce, celui de se déclarer juridiquement auteur du mémoire, et de se rendre opposant à l'arrêt, mais qu'il n'a pu trouver de procureur ni d'huissier qui voulût se charger de son opposition ou obtenir qu'il en fût nommé d'office. Un tel déni de justice n'est pas vraisemblable.

M. Marmontel avait prévu qu'il ne serait pas impossible qu'aucune des pièces destinées à concourir pour le prix proposé par M. le comte d'Artois n'en fût jugée digne, et il avait préparé dans le silence le poëme que nous avons l'honneur de vous envoyer. Ses craintes n'ayant été malheureuseque trop bien fondées, quoiqu'il se soit présenté jusqu'à soixante-huit concurrens, voyant l'Académie bien déterminée à ne point donner le prix, il lui a fait la lecture de son ouvrage dans

ment

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