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lement par ses froides et cruelles persécutions à la haute politique de sa majesté l'empereur de toutes les Russies.

Seulement, il faut l'avouer, le pouvoir absolu, plus habile et plus durable que sa rivale, quand il devient ennemi de l'Église, la persécute avec plus de perfidie et plus de succès. C'est ce que démontrent la conduite de la Russie, et les récits qu'on pourra lire dans ce volume. Depuis que l'Église de Jésus-Christ a été fondée sur le calvaire, ses persécuteurs semblent avoir employé trois méthodes diverses pour amener sa ruine. Les uns ont procédé par la voie du sang et des supplices; tels les empereurs romains, et les monarques sauvages qui aujourd'hui encore envoyent chaque jour de nouvelles recrues à la glorieuse armée des martyrs. Les autres ont usé de la voie des spoliations violentes; tels les protestants en Allemagne, dans la Scandinavie et dans les Iles Britanniques. D'autres, enfin, ont préféré ce que nous appellerions volontiers la voie diplomatique, la pire et la plus sûre de toutes, celle qui consiste à se placer au sein de l'Église même, ou sur son seuil sacré, pour étudier sa faiblesse, trouver des complices dans ses ministres prévaricateurs, et la déchirer plus sûrement, sous les apparences d'une sollicitude mensongère. Julien l'Apostat et Philippe-le-Bel semblent avoir tous deux entrevu le parti qu'ils pouvaient tirer d'un système pareil: mais l'un et l'autre sont restés à mille lieues en arrière des perfectionnements qu'y ont apportés Catherine II et son petit-fils, l'empereur Nicolas. Il était réservé à ces augustes autocrates d'instituer un collège de prêtres catholiques pour en faire l'exécuteur docile et persévérant de leurs complots contre le catholicisme: il leur était réservé d'inventer des procédés minutieux pour pénétrer jus

qu'au fond du secret des consciences, et de se placer en tiers entre les confesseurs et les pénitents'. Avant eux, il est vrai, on avait fort bien su dépouiller l'Église des richesses que la générosité des princes et des peuples fidèles lui avait confiées; mais on n'avait pas eu l'heureuse idée de proclamer que la confiscation de ces biens provenait du désir de décharger le clergé de soins incompatibles avec son état, et en même temps de lui assurer une position plus lucrative 2. Avant eux, il est vrai, on avait su prodiguer les décorations et les récompenses aux apostats et aux traîtres; mais nul n'avait imaginé, que je sache, de faire subir à un évêque une enquête médicale sous prétexte d'examiner si la résistance du prélat aux trames de la persécution n'était pas l'effet de labaissement de ses facultés intellectuelles 3. Quel pays et quel système que celui où l'accomplissement des plus saints devoirs n'apparaît aux yeux du pouvoir que comme un acte d'incompréhensible folie, et où ce pouvoir ne craint pas de parler ainsi de l'autorité épiscopale au chef même de l'Église! Et que dire de ces hommes qui, en France ou ailleurs, après avoir eu connaissance de faits pareils, osent encore, tout en se disant catholiques, s'appuyer sur la Russie pour travailler au triomphe de leurs opinions politiques?

Un mot maintenant sur une autre leçon qui sort tout naturellement des vicissitudes de cette Église malheu‐

Voir Persécution de l'Église en Russie, page 445, et les mesures récentes contre les Dominicains de Saint-Pétersbourg.

2 Voir l'ukase du 25 décembre 1841, no 82 des documents publiés par le Saint-Siége, volume II, page 408.

Ce sont les expressions textuelles et deux fois répétées de la note du ministre russe au sujet de Mgr Gutkowski, évêque de Podlachie, en date du 17 mai 1840, n° 58 des documents publiés par le Saint-Siége, volume II, page 366.

reuse. Elles nous donnent le moyen', quand nous combattons nos jansenistes, nos parlementaires d'autrefois, et leurs successeurs actuels, encore si nombreux et si acharnés, de leur montrer dans l'état où est tombé l'Église schismatique, et dont approche chaque jour davantage l'Église latine eu Russie', un type accompli du système que les successeurs des légistes de Philippe-leBel ont d'âge en âge essayé, mais en vain, d'introduire en France. L'immixtion permanente de l'autorité civile dans l'administration des sacrements; l'organisation exclusivement gouvernementale de l'instruction publique, et spécialement de l'enseignement théologique; la prééminence universellement reconnue de l'autorité impériale en cas de conflit, l'assimilation constante du pontificat romain à une puissance étrangère; ce sont là autant de caractères parfaitement reconnaissables aux yeux de tout homme qui a la plus légère connaissance des tentatives ourdies contre l'Église pendant le dernier siècle dans l'Europe occidentale. Ils se retrouvent d'ailleurs, moins agglomérés et tempérés par divers obstacles, mais encore trop fréquents, dans toutes les législations modernes des royaumes catholiques. Et pour que rien ne manque à cette similitude remarquable, en Russie comme ailleurs, les pouvoirs ennemis de l'Eglise n'ont jamais eu de peine à trouver, pour instruments de leur perversité, de soi-disant catho

'Le college ecclésiastique catholique, dont nous parlions plus haut, est évidemment prédestiné à jouer dans l'œuvre de cette funeste assimilation de servitude, le rôle du synode russe substitué par Pierre ler à l'ancien patriarchat schismatique. Seulement, on a donné la charge de commissaire impérial auprès de ce collége à un schismatique de l'ordre civil, M. Bloudoff, qui passe pour être le plus implacable ennemi de l'Église, tandis qu'un aide-de-camp général, le comte Protassoff, représente la personne impériale au sein du synode.

liques toujours prêts à trahir les devoirs de leur foi pour le culte des volontés du maître.

Il faut bien l'avouer, du reste, dans cette funèbre histoire des maux de l'Église depuis l'extension de la puissance russe en Europe, la faiblesse du bien a presque toujours été complice de l'audace du mal. Pourquoi faut-il qu'on ait presque toujours consenti à reconnaître pour métropolitains, en Pologne, des hommes choisis avec un tact merveilleux par les oppresseurs, pour concourir par la trahison à l'œuvre de démolition? Ainsi Podoski, préconisé en 1767 sur les instances de Catherine, au milieu des larmes de tous les amis de la patrie et de la religion, et qui ne justifia que trop cette double crainte'; Wolodkowicz qui, de 1762 à 1778, remplit le même rôle à l'égard de l'Église grecque unie; et surtout Siestrzencewicz, dont la nomination fut arrachée par Catherine II au même pape qui eut la faiblesse d'accorder à la puissance temporelle la destruction des jésuites; Siestrzencewicz qui, pendant cinquantequatre années de pontificat, a miné d'une façon irréparable la foi et la liberté ecclésiastiques dans cet immense empire! Pourquoi faut-il qu'au sein des contrées ravagées par ces prévaricateurs, le seul prélat qui semble avoir rempli consciencieusement sa mission, M. Gutkowski, évêque de Podlachie, au moment où il est prisonnier pour la foi, soit réduit par l'invitation même du souverain pontife, à se démettre de son apostolat?

Pourquoi faut-il donc que les catholiques ignorent leur force? Ne voit-on pas à chaque page des annales de l'Église, depuis saint Ambroise jusqu'à l'immortel archevêque de Cologne, que la résistance légitime des

Voir volume I, page 106.

pontifes envoyés de Dieu porte bonheur au catholicisme, et que c'est leur faiblesse seule qui a amené et encouragé le crime. De notre temps surtout, malgré ses infirmités et ses misères, rien ne saurait être plus vrai que cette magnifique parole de Fénelon : « Nulle puis«sance humaine ne peut forcer le retranchement impénétrable de la liberté d'un cœur '. »

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Mais, hélas! au milieu de cette dépréciation générale de tout ce que les hommes estimaient et recherchaient naguère, titres, décorations, couronnes, rien n'est descendu aussi bas que le caractère.

Les hommes de cœur et de conscience, armés de courage pour une cause sainte, n'apparaissent plus que de loin en loin, comme les rares débris de ces races perdues du Nouveau-Monde, qui vont s'effaçant peu à peu devant les envahissements d'une civilisation matérialiste.

Peut-être de nombreux et héroïques dévouements ont-ils signalé la résistance si difficile et encore si peu appréciable du clergé des provinces polonaises à d'odieuses lois. S'il en est ainsi, ces dévouements auront resplendi d'une gloire d'autant plus belle devant Dieu, qu'ils ont été plus obscurs devant les hommes; mais comment ne pas s'étonner que, jusqu'à présent, un seul nom, celui de l'évêque de Podlachie, soit parvenu jusqu'à nous!

Enfin, le chef de l'Église catholique a élevé la voix, le Père commun des fidèles a dénoncé au ciel et à la terre les actes qui menacent la foi d'une portion si nombreuse de ses enfants. Quelques-uns ont pu désirer

Sermon pour le sacre de l'archevêque de Cologne.

On trouvera à la fin du volume II l'allocution du Souverain Pontife, du 11 juillet 1842, l'exposé de la secrétairerie d'État du même jour, et les quatre-vingt dix documents qui complètent cette publication officielle.

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