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schisme autocratique, annoncent suffisamment à ce qu'il reste de catholiques en Pologne, le sort qui les attend, et qui, selon toutes les probabilités humaines, ne saurait manquer de les atteindre. « Voilà qui est bien quant aux Uniates, » aurait dit dernièrement sa majesté impériale; « maintenant procédons aux Latins. »

Et pour comble de douleur, ces choses se passent au milieu de l'indifférence ou de l'ignorance générale. La moitié de l'Europe, celle que gouverne la diplomatie monarchique, n'a pas troublé par la moindre réclamation le respect servile qu'elle professe pour l'absolutisme moscovite. L'autre moitié, dominée par les passions démocratiques, se tait aussi quand elle n'applaudit pas', en présence des actes par lesquels le plus puissant des despotes modernes témoigne de son instinctive sympathie pour les théories révolutionnaires, en ce qu'elles ont d'hostile à l'Église. Ici, comme ailleurs, comme partout, s'est manifestée l'union intime, logique et universelle des deux grandes forces anti-sociales, de la tyrannie populaire et de la tyrannie monarchique, qui ne sont à vrai dire que deux formes à peine différentes de la révolte victorieuse de l'orgueil humain contre la vérité et la justice.

Ah! si autrefois, dans ces siècles que les précurseurs et les historiographes de ces deux tyrannies ont nommés ténébreux et barbares, si un potentat, quel qu'il fût, eût attenté d'une telle façon à la conscience et à la dignité humaine, la chrétienté tout entière se fût levée en armes pour sauver ses frères et châtier leur oppresseur. Aujourd'hui nous sommes plus prudents et plus calmes.

'Plusieurs journaux soi-disant libéraux en France, en Belgique et en Espagne, ont excusé et approuvé les mesures prises par l'empereur Nicolas contre l'Église, les spoliations des couvents, etc.

tres,

Une société où règnent le progrès, l'industrie et les lumières modernes, ne se dérange pas pour si peu. Sans doute, si quelque voyageur politique, ou même quelque histrion en renom, quelqu'une de ces danseuses, par exemple, qui vont promener de temps en temps leurs appas sur les bords de la Néva, avait été enlevée et jetée dans une forteresse inconnue, comme l'a été l'évêque de Podlachie, nous eussions vu les nombreux journaux qui distillent parmi nous les eaux du fleuve des progrès sociaux, s'émouvoir à l'envi, raconter avec la plus vive sollicitude tous les détails d'un pareil attentat, et se liguer pour mettre la Russie, comme ils disent, au ban de la civilisation. Mais quoi! il s'agit de prêtres, de moines, d'églises, de la conscience, de la prière, de la foi des ancêde Dieu! Encore une fois, l'Europe éclairée en sait trop long pour s'agiter sur de tels sujets. Pas un journal sur cent n'en entretiendra ses lecteurs; pas une puissance, pas une seule, n'en exprimera ni indignation, ni douleur. Ne faut-il pas d'ailleurs que le commerce puisse continuer tranquillement ses expéditions pour la Baltique et la mer Noire? Ne serait-il pas dommage que les cercles diplomatiques des royaumes constitutionnels et autres sentissent le vide que laisserait l'absence de plénipotentiaires russes? et de quoi s'étonnerait-on, d'ailleurs, quand on voit la seule des anciennes monarchies catholiques qui soit restée debout, gouvernée par les neveux de Rodolphe de Habsbourg, sauvée par Sobieski, et fière encore du titre d'Apostolique, l'Autriche, en un mot, envoyer un de ses archiducs pour orner de sa présence les pompes matrimoniales du plus implacable ennemi de l'Église!

Ainsi donc, il faut bien qu'on le sache, si l'Église succombe en Russie et en Pologne, ce sera moins encore

sous les coups de la politique moscovite, que grâce à l'indifférence et à la trahison de l'Occident catholique.

Pour nous, qui écrivons à la hâte ce peu de lignes, nous n'avons ni mission, ni force, pour défendre la foi et la justice indignement violées en Pologne; mais, dans d'autres temps, nos pères eussent été forcés de les secourir l'épée à la main, et nous nous croirions déchus de leur foi et de leur antique honneur, si nous négligions la moindre occasion qui se présente à notre faiblesse pour servir de si servir de si augustes malheurs.

Le livre que l'on offre au public catholique, forme corps avec celui qui vient d'être publié sous le titre de Persécution et souffrances de l'Église en Russie*, dont il est le préliminaire et le compagnon nécessaire. Tous deux feront connaître à fond cette Russie, objet de l'adulation des uns, de l'ignorance des autres, de la terreur instinctive de tous, et que nous n'hésitons pas à proclamer l'ennemie suprême de tout ce qu'il nous reste à sauver dans la société chrétienne. On verra dans l'un et l'autre de ces ouvrages par quelle série d'inhumanités, de bassesses et de perfidies, les monarques russes, depuis Pierre I, et la grande Catherine, si idolâtrés par les régénérateurs philosophiques du dernier siècle, ont donné pour base à leur grandeur la double ruine du Catholicisme et de la Pologne. On frémira à la vue des dangers dont nous menace l'appui infaillible que doit trouver cette puissance monstrueuse dans les maladies sociales de notre temps. On contemplera à son aise, dans cette lamentable histoire, l'homme dépouillé de toute dignité et de toute conscience, réduit à n'être

Ouvrage appuyé de documents inédits. Paris, 1 vol. in-8°,

qu'une machine sous la main du souverain, enorgueilli de cette dégradation, et incapable de rêver une autre destinée, tant les situations sont précaires, tant les conditions de la force et de la grandeur dépendent uniquement des caprices ou des violences du moment, tant les derniers vestiges de toute indépendance traditionnelle, de toute influence héréditaire, de toute résistance aristocratique et ecclésiastique ont disparu, pour ne laisser, comme dans nos démocraties modernes, que des individus et des instruments; mais avec la différence si redoutable qu'établissent en faveur de l'absolutisme, l'unité monarchique et la persévérance des vues et des opérations que comporte cette unité. Au profit de la monarchie russe, la ruse et la servilité proverbiales des Bysantins se sont accouplées avec le formidable génie de la force matérielle et militaire. Qu'on juge des fruits que promet cette union à la liberté de l'Europe occidentale, déjà si décrépite dans sa jeunesse étiolée! Chaque page du récit qu'on va lire montrera, en outre, que la Russie ne reculera devant aucun des moyens que peut fournir cette union de la ruse et de la force; et qu'elle sait indifféremment prêcher la liberté et l'égalité, comme en 1766 par la bouche de son ambassadeur Repnin ', et laisser pendre par ses cosaques à la même potence un noble, un moine, un juif et un chien, pour mettre cette égalité en pratique : ou bien invoquer comme aujourd'hui les droits exclusifs du pouvoir royal, et même, au besoin, rappeler à Rome, pour obtenir la déposition d'un évêque resté pur, l'intérêt qu'elle prend au maintien de la tranquillité dans les Légations, et la part qu'elle s'arroge dans le

Voir volume I, page 96.
Voir volume I, page 142,

rétablissement de l'autorité temporelle du pape'. La plus simple réflexion suffirait, ce semble, pour démontrer l'incompatibilité radicale d'une puissance ainsi constituée, avec la liberté et la prospérité de la religion catholique. La Russie a longtemps affiché la tolérance; elle a pu l'exercer en effet à l'égard des protestants et des juifs; elle ne l'a jamais fait et ne le fera jamais à l'égard des catholiques. Et pourquoi cette exception flagrante? Parce que seule entre toutes les institutions religieuses, l'Église catholique par sa doctrine et par sa constitution, comme par les ineffaçables antécédents de son histoire, met un frein à l'omnipotence du pouvoir humain. Ce frein est parfois invisible, parfois oublié, parfois bien relâché; mais partout où il y a un prêtre catholique fidèle à ses devoirs, ce frein existe, et il est inviolable.

C'est là ce qui aigrira, ce qui soulèvera toujours l'orgueil des hommes qui ne font pas remonter au vrai Dieu l'origine de leur pouvoir. Quels que soient les efforts qu'on ait faits, de part et d'autre, pour souder le catholicisme à des pouvoirs temporels, il y a toujours eu, en fin de compte, quelque endroit par lequel il s'est échappé pour reprendre son orbite naturel. Et c'est l'éternel honneur de l'Église catholique, que les tyrans d'ici-bas, quelle que soit leur espèce, ne peuvent se résigner à la laisser vivre librement à côté de leur trône éphémère. En cela, comme nous le disions plus haut, la démagogie est tout à fait d'accord avec l'absolutisme: et c'est pourquoi d'une extrémité à l'autre de l'Europe actuelle, l'anarchie dictatoriale de Madrid répond fidè

'Voir la lettre de l'empereur Nicolas au pape, du 3 décembre 1810, volume II, page 382.

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