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En un très-grand nombre d'autres lieux on vit de semblables apostasies, toutes filles de la persécution.

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Nous venons à la seconde époque que nous n'étendrons que de 1815 à 1830, puisque l'article parle séparément des dernières années. Pendant ce laps de temps, le schisme ne peut pas se vanter de grands progrès, et cela précisément parce que la Russie, jusqu'en 1825, fut gouvernée par un prince que son caractère et sa grandeur d'âme éloignaient de tous moyens violents. Cependant on vit se perpétuer sous lui les effets de la persécution antérieurement excitée, et il ne fut pas exempt de blâme, principalement à cause des mesures prises contre les jésuites. Il est certain aussi que ce que nous dirons des années postérieures à 1830 était en partie commencé avant cette époque. Et de fait, dans la requête des habitants de Lubawicz écrite, comme nous l'avons dit, le 10 juillet 1829, on lit : « Cette religion nous la professions librement jusqu'aujourd'hui sous la protection de Votre Majesté impériale (Nicolas Ier), et nous ne pensions pas que, sans un ordre exprès de votre volonté impériale, nous pussions être troublés dans la libre profession de la foi que professaient aussi nos ancêtres, et dans laquelle nous sommes nés comme eux. Mais les prêtres de la religion dominante alléguant pour prétexte que quelques-uns d'entre nous, ce qui n'a point eu lieu, ont été dans la communion de la religion gréco-russe, nous forcent d'abjurer notre foi, non par des peines corporelles, mais par des moyens beaucoup plus atroces, c'est-à-dire en nous privant de tous les secours spirituels, en défendant à nos propres prêtres de baptiser nos enfants, d'entendre nos confessions, et de bénir nos mariages. C'est de cette manière qu'ils nous ar rachent à nos pasteurs. »

Mais voyons ce que l'article nous dit des dernières années : « Enfin la conduite si peu compatible avec les préceptes du christianisme que le clergé polonais avait tenue dans les derniers troubles de la Pologne, a fini par avilir cette union aux yeux des grecs unis eux-mêmes, qui intérieurement sont toujours restés attachés à la Russie. Ils revinrent par milliers à l'Eglise grecque, et ils sollicitent aujourd'hui en masse la faveur de leur réintégration dans ce culte antique qu'ils chérissent comme un gage de salut et un héritage sacré venu de leurs ancêtres.> - Plus loin nous parlerons de la conduite du clergé polonais. Quant au reste, celui

qui par hasard aurait parcouru la Sibérie, n'aurait pas besoin de nos paroles; car, en voyant le nombre des catholiques dépor tés en ce pays pour cause de religion, il se convaincrait facilement de la fausseté de tous ces mensonges dont on fait un sujet de triomphe dans l'article. Mais sans faire le voyage de Sibérie, on sait par les bruits publics et par des documents cer tains que ce n'est pas par la libre volonté des catholiques du rit grec ou latin, mais par de malicieux artifices employés à leur égard que l'on obtint ce changement si vanté de religion. Et par rapport aux grecs unis, les seuls dont parle l'article, peut-on mentir plus audacieusement qu'en affirmant qu'ils ont toujours été attachés de cœur au schisme et sont avides de l'embrasser, tandis qu'eux-mêmes au contraire protestent par leurs paroles et leurs actions de vouloir vivre et mourir dans le sein de l'Église catholique. Parmi toutes les preuves de ce fait, une surtout mérite une attention spéciale, c'est la relation des habitants d'Uszacz, de la province de Vitepsk, qui après avoir raconté comment le 2 décembre 1835 il se présenta chez eux une commission qui ayant assemblé le peuple l'avait engagé à changer de religion, ajoute : « Mais nous nous sommes tous écriés d'une voix que nous voulions mourir dans notre foi ; que jamais nous n'avions voulu ni ne voulions d'autre religion. Alors la commission laissant les paroles, en vint aux faits, c'est-à-dire qu'on se mit à nous arracher les cheveux, à nous frapper les dents, jusqu'à l'effusion du sang, à nous donner des coups à la tête, à mettre les uns en prison, et à transporter les autres dans la ville de Lepel. Enfin, la commission voyant que ce moyen ne lui réussissait point non plus, défendit à tous les prètes grecs unis d'entendre nos confessions ou de nous administrer quelque autre secours spirituel. »

On ne prétendra pas, sans doute, compter sur l'adhésion de ceux qui se sont écriés : Qu'on nous réserve plutôt le sort du bienheureux Josaphat, c'est ce que nous désirons. Dans la même province de Vitepsk, déjà l'année précédente, c'est-à-dire en 1834, la noblesse avait adressé à l'empereur une pétition dans laquelle, entre autres choses, on lit : « On met tout en œuvre « pour entraîner les grecs unis à la religion dominante. Ces ma<<nœuvres ne feraient aucune impression sur les esprits dans cette province, si on permettait aux fidèles de se diriger, pour

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cette réunion, par la voix de la conscience et par une forte ⚫ conviction. Mais les moyens qu'on emploie remplissent l'âme ‹ de terreur. On raconte aussi dans cette pièce comment des faibles s'étaient soumis; mais on ajoute: Ils avouaient même à ceux qui les forcaient d'embrasser la religion dominante • qu'ils obéissaient à la vérité aux ordres qu'on leur donnait, qu'ils allaient aux églises et fréquentaient les sacrements de la · religion dominante, mais qu'intérieurement ils demeuraient fortement attachés à leur ancienne religion. › Quant aux catholiques du rit latin, il suffira d'observer que s'ils avaient nourri le moindre amour pour le schisme, ils ne se seraient point opposés à la cession de leurs églises, comme cela est arrivé dans plusieurs lieux, et notamment à Radonil, où la violence exercée contre eux a été si forte que huit sont restés morts sur la place. Mais quelle que soit l'opposition des catholiques, le gouvernement russe ayant pris à tâche de les enrôler tous sous les bannières du schisme, ne néglige aucun moyen de les rendre ou du moins de les faire paraître schismatiques. 11 est tellement infatué sur ce point, qu'il cherche à se faire illusion à luimème et aux autres, comme s'il avait déjà obtenu le but de ses efforts, croyant sans doute que cette illusion même est un excellent moyen de l'obtenir réellement. Il voulut tenter un acte solennel de réunion entre les schismatiques et les catholiques du rit grec, et la profession de foi à souscrire fut présentée d'abord par ruse, ensuite avec violence, au digne métropolitain Josaphat Bulhak, qui la rejeta généreusement et mourut peu après ; malgré cela on voulut faire croire que le métropolitain n'était plus catholique, et on le fit enterrer au milieu des schismatiques. Si, dans une paroisse catholique, quelques individus se font schismatiques, tous les paroissiens, quel qu'en soit le nombre, sont considérés comme tels, et tous les membres d'une famille sont assimilés à un des membres auquel il prend fantaisie de professer le schisme. Si, dans l'un ou l'autre cas, les catholiques recourent au gouvernement, ils ne sont pas écoutés; s'ils n'obéissent pas, on les punit.

Le gouvernement a senti que, pour rendre le schisme général et perpétuel, il fallait arracher du cœur des catholiques l'amour et l'estime de leur religion et empêcher que l'éducation de la jeunesse ne fût catholique. Il ne lui parut pas impossible d'at

teindre ce but ; on peut facilement perdre l'amour de la religion, quand on n'est plus entretenu par les soins doux et prévoyants des curés; le gouvernement a donc supprimé un grand nombre de paroisses, afin que l'énorme distance des lieux rendit trèsdifficile la communication des fidèles avec leurs curés. L'Église a toujours reçu une grande illustration des ordres réguliers, chez lesquels les catholiques, voyant mis en pratique non-seulement les préceptes, mais aussi les conseils de l'Évangile, se forment une idée très-haute de leur religion. En conséquence, le gouver nement russe a fait main-basse sur les monastères et couvents catholiques, n'en laissant ouverts qu'un très-petit nombre seulement. Chacun comprend que de cette manière s'auginentent les revenus du trésor public; mais ceux qui connaissent bien le gouvernement russe sentiront que l'intérêt du fisc n'est pas le seul et principal motif qui le pousse à l'oppression. Arrivant à la conduite du gouvernement envers les catholiques, relativement à l'éducation, nous voyons que récemment s'est élevé à Wilna une académie ecclésiastique catholique romaine, pour les jeunes clercs du rit latin et arménien; notez bien que le ministre de l'intérieur est directeur suprème de l'Académie. Les grecs unis en sont exclus; on a pourvu plus sûrement à leur éducation en les envoyant à l'Académie schismatique de Pétersbourg; on ne veut pas laisser à la volonté des parents l'éducation des enfants nés de mariages mixtes, et l'on exige que celui des époux qui fait partie d'une communion autre que l'Eglise nationale, fasse serment d'élever ses enfants dans le culte schismatique. Et comme, en 1768, dans un traité conclu entre la Russie et l'ancienne république de Pologne, on avait stipulé par acte séparé que les enfants nés de mariages mixtes seraient élevés dans la religion catholique, l'ukase impérial du 23 novembre 1832 déclare que le traité et l'acte séparé sur les mariages mixtes cessent d'être obligatoires, vu que la république n'existe plus. Le gouver nement devrait savoir qu'au milieu même des changements politiques la doctrine de l'Eglise catholique ne change et ne peut jamais changer sur cette matière. Elle enseigne qu'en vertu de la loi naturelle et divine (laquelle ne dépend point des lois, traités ou promesses des hommes, et à laquelle nul homme n'a le droit de déroger), les parents sont obligés d'élever leurs enfants dans la religion catholique.

Après tout ce que nous avons dit, il resterait encore beaucoup à ajouter sur les moyens employés dans ces derniers temps par le gouvernement russe, pour étendre et consolider le schisme dans tous ses domaines; mais afin de ne point trop nous éloigner, nous nous contenterons de dire que, pour achever l'œuvre de l'erreur, on a récemment érigé deux nouveaux évêchés grecs schismatiques, l'un à Polotzk, dans le duché de Lithuanie, l'autre à Varsovie, capitale de la Pologne. L'ukase du 30 avril 1833 a fondé le premier, sous le titre d'évêché de Polotzk et de Wilna; un autre ukase, du 22 avril 1834, a créé le second, en donnant au titulaire le nom d'évêque de Varsovie, vicaire de l'éparchie de Volhynie. Le gouvernement se flatte de tirer de grands avantages de l'érection de ces nouveaux diocèses; du moins il peut espérer que deux nouveaux évêques, résidant dans ces deux villes, faciliteront l'entraînement hors de la vraie Eglise des catholiques du rit grec, puis ensuite du rit latin; mais on voit bien, quoi qu'en dise notre article, que les uns aussi bien que les autres se montrent fort éloignés d'embrasser le schisme.

Enfin, il nous reste à faire quelques observations sur la conduite tenue par le clergé polonais dans le cours des dernières secousses politiques, commencées en 1830. Quelle qu'ait été cette conduite, si peu compatible avec les préceptes du christianisme, au dire de l'article, il fallait, pour avoir le droit de blàmer le clergé polonais, se montrer moins partial envers le gouvernement russe. Et comme l'article a donné çà et là quelques traits d'histoire ancienne ou moderne, sur la Russie et la Pologne, il n'eût pas été hors de propos de remarquer que jamais, dans les temps anciens, l'harmonie n'a pu s'établir entre ces deux pays. Ainsi, l'on arriverait à découvrir que, dans la vieille antipathie nationale, devait se trouver la cause des derniers troubles de la Pologne. Que si, dans l'article, on veut seulement parler de la religion, pourquoi passe-t-on sous silence ce qui avait été dit sur ce point dans la dernière constitution donnée à ce royaume, depuis le congrès de Vienne? Sur la fin de l'année 1815, Alexandre, l'empereur de Russie, donna à ses sujets polonais, en qualité de roi de Pologne, une constitution signée par lui le 27 novembre, dans laquelle, sous le titre 2, on lit: La

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religion catholique romaine, professée par la plus grande par« tie des habitants du royaume de Pologne, sera l'objet des

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