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constances, cette idée, quoique trop exclusive, rendit à la science un service important. Guillaume Occam, soit par sa polémique contre les propositions admises jusqu'alors, soit par son scepticisme, ou par un enseignement nouveau affaiblit l'autorité de la philosophie dominante, et rendit nécessaires des recherches plus approfondies. Suivant le même esprit, il chercha, en théologie , à circonscrire le champ de la connaissance susceptible de démonstration et rejeta les preuves adoptées précédemment pour l'existence, l'unité, l'immensité de Dieu, ainsi que pour son intelligence, et sa puissance comme cause libre du monde, déclarant que toutes ces idées ne sont données que par la foi. Il ne laisse pas cependant d'apporter, en contradiction avec cette doctrine, une preuve de l'exis tence de Dieu, qu'il fonde sur ce que tout etre qui dure doit être conservé par quelque cause, que, par conséquent, il doit exister une première cause conservatrice. Il donne plusieurs bonnes réflexions, mais non entièrement satisfaisantes, sur la possibilité de se former une notion de Dieu. Dans sa morale, il jeta quelques vues ingénieuses sur l'âme, ses facultés, et le rapport de ces facultés avec leur sujet. Il réfuta très au long les images objectives (species), considérées jusqu'alors comme les conditions nécessaires des perceptions et de la pensée. Occam resta attaché aux doctrines de son maitre Scot sur beaucoup de questions telles que celles de la liberté d'indifférence, et de la volonté subjective de Dieu, comme principe de l'ordre moral.

S 271. Adversaires du Nominalisme. Occam trouva à son tour des antagonistes qui combattirent le nominalisme, bien qu'avec de faibles arguments, entre autres son compagnon d'études Walter Burleigh(1), Burlæus, doctor planus et perspicuus, né en 1275,

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(1) 11 composa des Commentaires sur Aristote et une Biographie des philosophes : De vita et moribus philosophorum et poetarum ; Colon. 1427, in-4". Nuremb. 1777, réimpr. d'autres fois. Voy. Heumann, Acta philos., n° 14, p. 282 sq.

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professeur en Angleterre, puis à Paris, et de nouveau à Oxford, mort vers 1337. Il parait que le debat des deux écoles se renferma de préférence dans les discussions orales; quant aux ouvrages des deux réalistes, Thomas de Bradwardine (1) et Thomas de Strasbourg (2), nous remarquerons seulement que le premier combat les propensions de la doctrine de Scot vers le pé. lagianisme, et que le second reproduit un fond déjà ancien , d'après Ægidius Colonna. Marsile d'Inghen (3) parait avoir été un réaliste modéré, suivant Scot et Occam, dans la théorie de la volonté.

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Nominalistes. Les plus célèbres nominalistes furent ensuite Jean Buridan et Pierre d'Ailly. Jean Buridan de Béthune, professeur de philosophie et de théologie à Paris (4), fut considéré, de son temps, comme l'un des plus forts adversaires du réalisme, et se rendit célèbre par ses règles pour faire trouver les idées moyennes dans l'opération logique, espèce de ressource que l'on a appelée aussi le Pont-aux-Anes, et, par ses recherches sur le libre arbitre, dans lesquelles il se rapproche de la théorie

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(1) De Hertfield, mort archevêque de Cantorbéry, en 1339; auteur de: De causa Dei contra Pelagium et de virtute causarum lib. III, ed. Henr. Savile, Lond. 1618, in-fol. Thomas de Bradwardine est aussi célèbre pour ses ouvrages de mathématiques.

(2) Thomas Argentinensis, mort prieur-général de l'ordre des Ermites de Saint-Augustin en 1357, auteur d'un Comment. in Magistr. sententiarum. Argent. 1490, in-fol.

(3) Dit Ingenuus; enseigna á Paris et à Heidelberg, dont il organisa l'Université. Mort en 1396. Auteur de Commentt. in iv libb. sententiarum, Hagen, 1497, in-fol.

Dan. Lud. Wundt, commentatio historica de Marsilio ab Inghen, primo universitatis Heidelberg. Rectore et professore. Heidelb. 1775, in-8°.-Même dissert. dans le Thesaurus Biog. et Bibliographicus de Waldau. (4) Il vivait encore en 1358 à Paris.

du déterminisme (1). Au reste, ce fameux exemple attaché à son nom, de l'ane mourant de faim entre deux bottes de foin, ne se rencontre point dans ses écrits. Pierre d'Ailly, cardinal, mort en 1425 (2), commença à marquer davantage la séparation entre la théologie et la philosophie, et fit la guerre aux abus de la scholastique. Ses idées sur la certitude de la connaissance humaine, et son examen des raisons employées pour démontrer l'existence et l'unité de Dieu méritent une considération particulière (3). - Les autres partisans et défenseurs du nominalisme furent : l'anglais Robert Holcot, mort, en 1349, théologien distingué et général de l'ordre des Augustins, Grégoire de Rimini (4), Henri d'Oyta et Henri de Hesse (5), Nicolas Oramus (6) Ma. thieu de Cracovie (7), Gabriel Biel, mort en 1493, auteur d'une exposition abrégée et éclaircie d’Occam (8). Presque tous furent des professeurs célèbres et des

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(1) Voyez ses Quæstiones in x libr. Ethicorum Aristot. Paris, 1489, in-fol. Oxf. 1637, in-40. Quæst. in polit. Arist. Ibid. 1500% in-fol. Compendium logicæ. Ven. 1499, in-fol. Summula de dialectica. Paris, 1487, in-fol. Voyez Bayle. Dict.

(2) Petrus de Alliaco', dit Aquila Galliæ, né en 1350 á Compiègne; chancelier de l'Université deParis en 1389, évêque du Puy et de Cambrai, enfin cardinal.

(3) Petri de Alliaco cardinalis Cameracensis vita, par Dupin, dans le t. i des Opp. Gersoni, p. 37.

Petri de Alliaco Quæstiones super iv libb. sententiarum. Argent. 1490, in-fol.

(4) Gregorius Ariminiensis, mort à Vienne en 1358. (5) Tous deux Allemands; le dernier mourut en 1397. (6) Ou Oresmius, mort évêque de Lisieux en 1382. (7) Plus exactement de Chrochove en Pomeranie, mort en 1410.

(8) Né à Spire, prévôt d'Aurach, professeur de théologie et de philos. å Tubingue.

Epitome et collectarium super iv libb. sententiar. Tub. 1495, 11 voll. in-fol. Epitome Scripti Guil. Occam circa duos priores sententiarum.

Hieront Wiegand Biel, Diss. (præs. Gottlieb Wernsdorf) de Gabriele Biel celeberrimo papista antipapista. Viteb. 1719, in-4°

esprits éclairés, mais sans un véritable talent philosophique; toutefois Henri de Hesse se distingua par des vues nouvelles en mathématiques et en astronomie.

Ø 273. L'histoire du débat entre les deux partis n'a pas encore été complétement éclaircie. Fréquemment la passion et l'animosité s'y mélèrent. Malgré de fréquentes persécutions que le nominalisme éprouva à Paris (1), malgré les défenses d'enseigner et d'écrire faites à ses adhérents, ce parti ne laissa pas de se maintenir et de gagner de jour en jour plus de suffrages; souvent même il reprit le dessus à Paris et dans beaucoup d'université de l’Allemagne, mais sans parvenir à renverser entièrement le parti contraire. Des scènes analogues à celles qui se passaient à Paris avaient lieu en même temps dans les écoles allemandes. Le problème métaphysique des idées générales n'était pas le seul sujet de la division des esprits et de ces discordes extérieures; c'était d'une opposition complète dans les opinions qu'il s'agissait. Il s'élevait, en effet , du colé des nominalistes, un esprit d'indépendance qui tendait à rejeter le joug de l'habitude et de l'autorité, et à se porter vers des doctrines plus libres et plus approfondies, bien qu'assez faibles de méthode. Cei esprit qui se manifesta particulièrement dans la lutte au sujet des thèses de l'idéaliste Nicolas Autricuria (bachelier de théologie à Paris en 1348), et de Jean de Mercuria (même année environ (2), finit cependant par s'épuiser et par reprendre le cours habituel des idées de l'époque.

274. Les dernières conséquences de ce conflit si animé furent de faire baisser le crédit de la scholastique, d'inspirer l'indifférence pour la philosophie , et en particulier pour la logique, ce dont le célèbre Gerson se plaignait

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(1) En 1339, 1340, 1409, 1475.
(2) Voyez Boulay, Hist. univ. Paris, t. iv, p. 308 sq.

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déjà de son temps, enfin, de déterminer un penchant pour le mysticisme, par un mouvement de dépit et de dégout contre les vaines disputes de mots. Le mysticisme fut préché avec chaleur par Jean Tauler, mort à Strasbourg en 1361, et surtout par l'illustre Jean Charlier de Gerson , du district de Reims, né en 1363, disciple de Pierre d'Ailly, et son successeur en 1395, comme chancelier de l'Université de Paris, mort presque en exil en 1429, à Lyon. Le christianisme pratique fut le principal objet de ses travaux, ce qui le fit nommer Doctor christianissimus, et il fit consister la vraie philosophie dans la théologie mystique, fondée sur l'expérience intérieure des sentiments de piété qui viennent de Dieu, et sur l'intuition de l'ame appliquée aux choses célestes (1). Gerson combat néanmoins les excès d'un enthousiasme déréglé par la manière toute nouvelle dont il traite de la logique (2). Auprès de lui se place Nicolas de Clémange (de Clemangis), penseur hardi, qui se déclara contre la scholastique captieuse et subtile (3). Il fut recteur de l'Université de Paris en 1393, et mourut vers 1440. Mais un mystique ascétiste qui eut une plus grande influence sur son époque et sur les suivantes, ce fut Thomas Hameken (Malleolen), appelé Thomas a Kempis (4), du nom d'un village, Kempen, dans l'archevêché de Cologne, où il était né; il mourut en 1471. Un autre champion du mysticisme, fut Jean Wessel , dit Gansfort ou Gæsevõt (Palle d'oie) (5), surnommé par ses contemporains

(1) De mystica. theol. consideratt. II.

(2) Centilogium de conceptibus, liber de modis significandi et concordia metaphys. cum logica.

J. G. Engelhardti Commentationes de Gersonio mystico, p.1. Erl. 1822, in-4o.

Gersonii opera Bas. 1488, voll., in-fol.; ed. Edm. Richer. Paris, 1606, in-fol., et Lud. Ellies Dupin. Antwerp. 1756, V. voll. in-fol.

(3) Opera ed. Jo. Mart. Lydius, Lugd. Bat. 1613, in-4o.

(4) Surtout par son livre si répandu : De imitatione Christi. Bonne édit. de ses OEuvres, par Sommel. Antwerp. 16001607, in-40, etc.

(5) Il ne faut pas le confondre avec le nominaliste Jean

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