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qu'on se propose, par le scandale, le danger et le mépris qui accompagneront une action peu importante en elle-même.

LE D. Je vous aurais évité la peine de cette réponse, en vous demandant de prime-abord s'il y a une différence réelle entre les péchés.

LE TH. Elle nous est manifestée dans plusieurs textes des livres saints qui signalent une inégalité dans les péchés graves, et une distinction marquée entre les fautes considérables et celles qui sont légères. Jésus-Christ adressait ces paroles à Pilate: Celui qui m'a livré a commis un plus grand péché. Jérémie reprochait aux Juifs de se conduire. d'une manière plus criminelle que leurs pères; (7.) il déplore dans ses Lamentations les iniquités du peuple, devenues plus grandes que les péchés de Sodôme. (4.) Saint Paul écrivait aux Romains qu'il y a des actions de mort; (1.) et aux Galates, que ceux qui s'en rendent coupables, ne doivent pas entrer dans le royaume de Dieu. (5.) Tandis que nous lisons dans les Proverbes que le juste tombe souvent, sans perdre la justice; (24.) saint Jean et saint Jacques affirment aussi que nous faisons tous beaucoup de fautes, légères sans doute, en un grand nombre de saints qui n'offensent jamais Dieu mortellement; car, nous dit le concile de Trente, « pendant cette vie mortelle, les hommes, même les plus saints, tombent dans des fautes légères sans cesser d'être justes; » et dans le chapitre relatif à la déclaration sacramentelle des péchés en confession, il exprime la nécessité

de faire connaître les fautes mortelles; pour les péchés véniels, il enseigne qu'ils ne font pas perdre la grâce sanctifiante; et que, pouvant être expiés par beaucoup d'autres moyens, il n'est pas essentiel de les déclarer en confession (1). Au reste, l'opinion que vous exprimez a été condamnée par Pie V et Grégoire XIII dans le jugement, porté contre Baïus et d'autres hérétiques, qui trouvaient en toutes les fautes des péchés essen-. tiellement mortels, et dignes de la peine éternelle. Ces principes sont d'une exagération choquante et d'une fausseté manifeste; le simple bon sens indique à l'homme raisonnable que les actions mauvaises n'ont pas toutes une malice mortelle ; qu'un petit mensonge joyeux, par exemple, ne peut pas nous rendre ennemis de Dieu.

LE D. D'où provient cette inégalité?

LE TH. Ceux qui la contestent nous disent : Toutes les fautes offensant le même Dieu infini en perfection, doivent avoir la même malice en se confondant dans cet objet infini, où l'on ne peut mesurer des proportions. Oui, sans nul doute, tout péché va offenser l'Être infini; mais il y a offense et offense, et pour apprécier une faute on doit l'envisager à la fois dans son objet, son principe, son intensité, ses tendances, autant de considérations qui peuvent en modifier la gravité; car autrement il serait vrai dans le systême que nous combattons, qu'un petit manquement éga

(1) Sess. 6. c. 11 et sess. 14. c. 9.

lerait l'outrage infàme fait à un roi, par cela seul qu'il atteindrait le même objet, la majesté royale. On dit encore pour établir cette égalité : Le péché n'est qu'une privation d'ordre, de moralité, de raison, et tout le monde comprend que dans les privations on ne saurait distinguer des degrés. Cela pourra être vrai, si l'on considère le péché comme une privation d'ordre, en un sens absolu; un léger mensonge n'en contient pas plus qu'un régicide. Mais il faut voir dans le péché la violation d'un ordre existant naturel, social ou religieux; et alors les fautes qui viendront l'altérer légèrement ou y jeter la perturbation, seront susceptibles de degrés, et jugées dans des proportions fort différentes. Ainsi l'action de l'homme qui viole l'ordre de la société ou de la religion en faisant périr des milliers d'innocents, ou en répandant partout l'impiété, aura une autre malice qu'un vol peu important.

LE D. C'est donc de la volonté de Dieu que vous faites venir cette inégalité?

LE TH. Elle est dans l'essence même des principes que Dieu ne peut point changer; jamais il ne sera vrai qu'une légère distraction dans la prière puisse devenir un crime, une aversion du Créateur, et mériter le châtiment réservé à ceux qui l'outragent par le blasphême ou toute autre violation grave de la loi. Pour caractériser une action mauvaise, il faut donc avoir égard à son objet,aux motifs, à d'autres circonstances, et surtout à la fin; ainsi la différence entre le péché mortel et le pé

ché véniel devient sensible, en ce que dans le premier l'homme se sépare de Dien, lui préfère la créature, plaçant en elle sa fin dernière, et consommant ainsi l'injustice et la révolte. Tout cela, vous le comprenez sans peine, n'a point lieu dans le péché véniel.

LE D. La seconde question que je vous prie de m'expliquer, est relative au classement des péchés. Veuillez me dire d'abord, comment on peut en connaître l'espèce?

LE TH. Les théologiens ont sur ce point diverses théories; il en est qui prétendent spécifier les péchés par leur opposition plus ou moins grave à la loi naturelle. D'autres pensent qu'il faut chercher cette spécification dans le nombre des préceptes qui imposent le même devoir. Sans nous arrêter à montrer l'insuffisance de ces moyens, hâtons-nous d'adopter une autre méthode qui spécifie les péchés par les vertus auxquelles ils sont opposés. Sachant déjà comment on classe les vertus en espèces différentes, vous n'avez qu'à examiner à quelle vertu un péché est opposé, et vous connaîtrez aussitôt à quelle espèce il appartient. Cependant je vous ferai observer qu'en violant des fonctions diverses d'une vertu, on tombera dans différentes espèces de péchés. Ainsi l'idolâtrie et la superstition forment deux espèces; l'une sera opposée à la religion, qui prescrit de rendre à Dieu seul le culte de latrie, et l'autre violera cette même vertu qui ordonne d'honorer le Seigneur d'une manière

convenable; cette différence se montrera encore si l'on transgresse une vertu par des contraires, comme par exemple; l'avarice et la prodigalité, opposées à la libéralité par défaut et par excès; enfin, si l'on viole une même vertu par des moyens différents, on aura souvent diverses espèces. Ainsi le vol, la détraction, la contumélie, qui transgressent diversement la justice, forment plusieurs espèces de péchés. Chacune néanmoins n'exige pas un acte particulier; car il arrivera bien souvent qu'un seul péché ait à la fois plusieurs malices différentes, comme cela se voit dans l'homme qui tuerait son frère consacré à Dieu, par le sacerdoce ou la vie religieuse; cet homicide violerait à la fois, la justice, la piété envers les parents, et la vertu de religion.

LE D. Voudrez-vous me dire aussi, comment se comptent les péchés?

LE TH. Il n'y aura aucune difficulté, s'il est question d'actes dont chacun a son espèce différente qui en déterminera le nombre. Si un seul acte renferme plusieurs malices de différentes espèces, on voit qu'il équivaut à plusieurs péchés. Ici encore rien de difficile. S'il s'agit de fautes de même espèce, il y aura autant de péchés qu'on aura d'actes internes. Ce qui vous montre tout d'abord qu'on ne doit point compter les péchés par les actions extérieures, puisque souvent elles appartiendront à un seul acte interne, et ne formeront qu'un péché.

LE D. Mais la difficulté se retrouvera dans le

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