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concupiscence humiliante qui est, en nous, la suite du péché et de la corruption de la nature. A la vérité, elle ne rend pas l'homme coupable, tant qu'elle reste involontaire, dans la cause, en elle-même et dans ses effets; mais elle devient blamable, très souvent criminelle, si on la provoque, ou qu'on l'éprouve avec l'adhésion de la volonté. Aussi notre divin Sauveur qui avait toute puissance pour la prévenir, n'a-t-il pu se soumettre à cette infirmité déshonorante qui eût terni sa sainteté.

LE D. Vous venez de dire que Jésus-Christ a été un homme de douleurs et accablé de tristesse ; ne serait-ce pas une douleur apparente et seulement extérieure? car il paraît impossible d'associer des souffrances réelles avec la vision intuitive dont son âme jouissait.

LE TH. Ces douleurs apparentes de JésusChrist, seraient une dissimulation indigne et coupable, alors surtout qu'il exprime lui-même avec tant d'énergie sa tristesse et ses souffrances. Comment concilier ensuite ses miracles si nombreux, si éclatants, avec ce caractère de mensonge et d'hypocrisie? Il faudrait aussi rejeter les assertions des livres saints et de nos symboles, qui rapportent si manifestement la passion et la mort de Jésus-Christ; de tels faits sont incontestables, évidents. On ne peut les nier, sans violer à la fois les règles de la vérité historique et du bon sens. Comment donc allier ces douleurs, ces tristesses, avec la vision intuitive dont

jouissait l'âme du Sauveur? C'est, je l'avoue un mystère pour la faiblesse de notre entendement. Toutefois, vous ne démontrerez jamais l'impossibilité d'éprouver en même temps, sous différents rapports, le sentiment de la tristesse et de la joie. Demandez à une mère qui sauve son enfant d'une mort certaine, au prix de ses privations et d'atroces douleurs; demandez-lui si, au milieu des tourments, elle n'a pas un sentiment de bonheur? Vous avez encore un exemple dans les chants d'allégresse de milliers de martyrs, qui louent et bénissent le Seigneur, pendant qu'ils sont torturés pour sa religion sainte. D'ailleurs, quand la vision intuitive est accordée comme une récompense, il faut bien qu'elle fasse éprouver le souverain bonheur, Dieu la donne pour cette fin; mais en Jésus-Christ elle était la suite des dons ineffables que son humanité reçut dans le mystère de l'incarnation; et ainsi il est possible, disent quelques théologiens, que son âme ne goûtât pas encore cette plénitude de bonheur dont elle devait jouir plus tard. Cette joie pouvait être tempérée par une disposition divine, afin que le Rédempteur fût susceptible de souffrance et de tristesse

LE D. Si cette satisfaction du Christ a été possible, du moins elle ne paraît pas remplir toutes les conditions d'une véritable réparation. Par exemple, comment sera-t-elle accomplie avec des biens propres et personnels, puisque les ac-tions du Sauveur provenaient de la nature hu

maine, qui agissait sous l'influence de la grâce de Dieu ?

LE TH. Dans les actions de Jésus-Christ, il ne faut pas confondre leur substance, et la valeur personnelle qui les accompagne. La première se produisait sous l'influence des trois personnes divines, comme pour les autres créatures. Il en est de même pour ces valeurs appelées par les théologiens, essentielle et accidentelle, qu'ils expliquent ainsi : chaque acte de vertu peut avoir ces deux valeurs; la première ne se sépare jamais de l'acte. Ainsi,dans l'obéissance,soumettre sa volonté à autrui, ce sera la valeur essentielle. La seconde se trouvera dans les motifs qui influent sur l'action: par exemple, obéir par humilité, par amour, etc.; ces valeurs surnaturelles provenaient de la grâce de Dieu, et étaient, sous ce rapport, l'ouvrage des trois personnes divines, elles n'appartenaient donc pas d'une manière spéciale au Fils; mais les actions de la nature humaine recevaient une valeur particulière et infinie de l'union hypostatique avec le Verbe, et cette valeur, provenant de la dignité de la personne, était propre au Verbe divin, uni seul à la nature humaine, dans ce sens, c'étaient des actions personnelles au Fils, et non au Père ni au Saint-Esprit. Et ainsi, Jésus-Christ a pu satisfaire avec des mérites propres, personnels, par la valeur principale, infinie, qu'il leur communiquait.

LE D. Permettez-moi de vous proposer encore cette difficulté : une satisfaction ne peut être à la

fois offerte et reçue par la même personne, ce que vous supposez cependant dans la rédemption, où le Fils de Dieu aurait offert et reçu en inême temps la satisfaction pour le péché de l'homme.

LE TH. Le Fils de Dieu ayant, par l'incarnation, une nature, une volonté différentes de la nature, de la volonté du Père et du Saint-Esprit, a pu offrir les actions de la nature humaine, enrichies de la valeur personnelle du Verbe; nous ne voyons en cela aucune impossibilité. Le Fils est aussi offensé, dites-vous, comment s'offrir à soi-même une satisfaction? Ce n'est pas directement à la personne du Verbe, que le Fils de Dieu fait homme a présenté la réparation, mais à Dieu, à la majesté divine, ce qu'il a pu accomplir sans contradiction par sa nature et sa volonté humaines, différentes de la nature et de la volonté de Dieu. Le Fils était offensé, il est vrai, comme le Père et le Saint-Esprit; cependant rien n'empêche qu'il n'ait pu offrir une réparation à la majesté divine, aux trois personnes de la sainte Trinité? Voici un exemple cité par les théologiens, qui éclaircira peut-être cette difficulté: supposez dans une république un triumvirat offensé dans sa dignité; un des triumvirs se dévoue par des actions qui ne conviendraient qu'à un simple sujet, et satisfait ainsi à la magistrature auguste dont il est membre. Voyez-vous là une chose impossible, contradictoire? Je ne le pense pas. Eh bien ! ce sera à peu près de cette manière que nous pourrons nous rendre compte de la satisfaction

opérée et offerte par Jésus-Christ, à la majesté divine.

LE D. Connaît-on l'étendue de la satisfaction du Christ?

LE TH. Nous la connaissons suffisamment par les notions que l'Ecriture sainte nous en donne. Elle nous apprend que le Sauveur, en délivrant l'homme du péché, l'a rétabli dans l'amitié de Dieu, dans la grâce surnaturelle, et l'espérance du ciel. Marie enfantera un fils, disait l'ange à saint Joseph; vous l'appelerez Jésus; car ce sera lui qui sauvera son peuple, en le délivrant de ses péchés. (Matth. 1.) C'est en lui que nous avons la rémission de nos péchés. (Eph.3.) Dieu a envoyé son Fils pour être une victime de propitiation pour nos péchés; il l'a été véritablement. (Joan. 1. 3 et 4.) Celui qui nous aimait, nous a purifiés de nos péchés en son sang. (Apoc. 1.) Voici comment est exprimée la réconciliation que Jésus-Christ a opérée entre Dieu et l'homme : Nous étions les ennemis de Dieu, nous sommes réconciliés par la mort de son Fils. (Rom. 5.) Dieu nous a réconciliés avec lui-même par Jésus-Christ. (2. Cor. 5.) Cette réconciliation s'est étendue jusqu'à l'adoption : Puisque Dieu a envoyé son Fils, afin que nous reçussions l'adoption de fils de Dieu. (Gal. 4.) Les livres saints attestent d'une manière aussi formelle, que nous avons recouvré par Jésus-Christ nos espérances, nos droits à la vie éternelle, accordés primitivement à l'homme par le Seigneur : Dieu a aimé le monde au point de donner son Fils, afin que tous ceux qui

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