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et si la civilisation chez ces peuples fut, sous le rapport des lettres et des arts libéraux, portée moins loin que chez les grecs, il est du moins constant qu'elle la précéda même en politique; car des états vastes et florissans comme ceux des égyptiens, des assyriens, des mèdes et des perses, ne purent s'élever et se maintenir pendant tant de siècles, sans l'emploi de la plupart des ressorts mis en œuvre aujourd'hui, quoiqu'accompagnés de formes différentes. On est pourtant redevable au génie des grecs et à leur esprit de combinaison, de plusieurs institutions utiles, et en particulier, du tribunal des Amphyctions, association célèbre comme type de toutes celles qui ont eu pour but de prévenir les différends et de protéger les membres d'une confédération. La durée de ce tribunal, qui fut de 1152 ans, est son plus bel éloge. Le caractère de la politique grecque varia, ainsi qu'il arrive toujours, suivant les mœurs des peuples, la législation de l'état et le génie des chefs. Elle fut le plus souvent ambitieuse et souple à Athènes, âpre et inflexible à Sparte. Ces deux républiques tour à tour dominantes par des moyens divers, et à la fin victimes de leur rivalité, plièrent sous l'ascendant de Philippe de Macédoine, qui acquit dans la Grèce une influence despotique, à la faveur de ses armes et de ses artifices appuyés de la corruption.

Alexandre, profitant de cet état de choses si fa

vorable à son goût belliqueux, se porta contre l'empire des perses, qu'il renversa, pour former de ses débris un empire bien plus vaste, mais qui ne dura qu'un jour, et donna naissance à plusieurs monarchies dirigées long-temps avec succès par le génie des Seleucus et des Ptolémées.

Les carthaginois, ces maîtres de l'Afrique, des Espagnes et de la Sicile, durent à une conduite habile de vastes possessions, des alliances nombreuses et un riche commerce.

Le sénat de Carthage, formé dans l'art des délihérations, renfermait des personnages distingués par leur prudence et leur sagacité, tels que les Hannon, les Amilcar. Quel homme qu'Annibal luttant dans l'Italie, par les seules ressources de sa politique, contre le désespoir des romains et les factions de sa patrie; repassant inopinément en Afrique, dont l'entrée lui semblait interdite par ses rivaux et ses ennemis; qui, fugitif dans des climats lointains, sans soldats, sans trésors, prépare des ligues contre Rome qui le poursuit, forcée d'avouer qu'elle ne peut trouver de sécurité que dans la mort de ce grand homme, rendant ainsi par cette faiblesse un immortel hommage à la puissance du génie politique!

Cet art subtil qu'on met dans la préparation des évènemens, et la recherche de l'intérêt de l'état ; tout ce qu'on appelle, en un mot, tactique du cabinet, fut souvent pratiqué des romains. Ils furent

adroits, prévoyans, habiles à diviser, habiles à réunir, ne ratifiant que les traités favorables, et désavouant ceux conclus par leurs généraux, quand ils blessaient leur orgueil ou leurs intérêts, en sorte qu'ils méritaient, non moins que Carthage, le reproche d'infidélité dont ils l'avaient flétrie, et la foi romaine ne valait pas mieux que la foi punique (1). Enflés de leur puissance, ils proposèrent souvent à l'ennemi sa ruine ou sa honte. Rarement ils composaient avec le vaincu, vaient disposer de sa dépouille.

quand ils pou

La politique romaine sous la république, eut pour but une extension progressive de pouvoir et de territoire par toutes sortes de toutes sortes de moyens, et surtout d'après le principe de convenance, qu'aucun gouvernement policé ne porta plus loin. Tandis que le peuple voyait dans la guerre le partage des terres du vaincu, des colonisations, et les généraux, des richesses à la faveur desquelles ils briguaient dans les comices les premières charges, le sénat y voyait un moyen de détourner le choc constant des factions; factions qui, échauffant l'esprit de tous, furent un des principes des succès de la république. Toutefois, ce sera un objet d'ad

(1) On sait que ce fut à la faveur d'une distinction Léonine, qu'à la fin de la troisième guerre punique ils détruisirent Carthage desarmée; vengeance contraire au droit des gens et à l'honneur, qui défendent d'écraser l'ennemi qui ne peut plus se défendre.

miration éternelle, comme de méditation profonde. que l'accroissement accéléré d'un peuple si faible à son point de départ, et cette tendance opiniâtre qu'il manifesta vers la domination universelle; systême que seul de tous les peuples il a en quelque sorte réalisé, non moins par réflexion que par impétuosité et violence (1).

La politique romaine, sous les empereurs, eut un autre caractère que sous la république; car un individu régnant despotiquement, a d'autres aperçus et d'autres procédés qu'un peuple qui, quoique représenté, met souvent sa voix à la place de celle des magistrats. Le peuple romain ne regarda jamais sa puissance comme trop étendue, parce qu'il n'en supportait pas le fardeau ; mais les empereurs, s'apercevant bientôt que leurs forces personnelles étaient inférieures au poids d'une administration si compliquée, furent moins passionnés pour les conquêtes. S'ils en tentèrent de nouvelles, ce fut moins par ambition que pour acquérir des limites défensives, pour ne pas laisser

(1) Je pense que quelques écrivains ont supposé aux romains plus d'esprit de combinaison et d'attention sur l'avenir, qu'ils n'en portèrent dans des entreprises nées les unes des autres par une suite d'effets successifs. On a presque toujours remonté des faits à des intentions présumées ou à des plans arrêtés, sans songer que les évènemens de la guerre, chez un peuple conquérant, détermi nent plus sa conduite qu'aucun plan antérieur.

périr l'esprit militaire, ou pour repousser les assauts des parthes et des germains.

Une sorte d'indifférence destructive de l'amour de la patrie, commença à accompagner les opérations de la guerre, parce qu'on sentait que les succès ou les revers, quels qu'ils fussent, ne pouvaient modifier sensiblement le sort de l'état. Ce qui occupait beaucoup plus le cabinet impérial, c'était l'esprit des légions, les révoltes des généraux; en sorte que Rome parvenue à ne plus redouter qu'elle-même, concentra presque toute sa politique dans l'intérieur, jusqu'à ce qu'au cinquième siècle, ce colosse sans proportion et vulnérable en tant d'endroits, tombât sous les coups des barbares altérés d'or et de sang.

Les anciens reconnurent un droit des gens naturel; et ce sont eux qui en ont consacré les plus beaux principes. Cicéron seul en rappelle un grand nombre. Ils eurent aussi un droit conventionnel, et on a encore la substance de beaucoup de traités qui furent conclus par les peuples dont je viens de parler.

Il s'était formé chez eux également un droit des gens coutumier, pour la forme des déclarations de guerres, la garantie des traités, l'inviolabilité des ambassadeurs, la manière de traiter les prisonniers, et la disposition de leurs personnes et de leurs biens. Toutefois ces formes varièrent beau

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