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L'enchantement était quelquefois affez fort pour faire crever les ferpens. Selon l'ancienne phyfique cet animal était immortel. Si quelque ruftre trouvait un ferpent mort dans fon chemin, il fallait bien que ce fût quelque enchanteur qui l'eût dépouillé du droit de l'immortalité :

Frigidus in pratis cantando rumpitur anguis.

Enchantement des morts, ou évocation.

ENCHANTER un mort, le reffusciter, ou s'en tenir à évoquer fon ombre pour lui parler, était la chofe du monde la plus fimple. Il eft très-ordinaire que dans fes rêves on voie des morts, qu'on leur parle, qu'ils vous répondent. Si on les a vus pendant le sommeil, pourquoi ne les verra-t-on point pendant la veille? Il ne s'agit que d'avoir un esprit de Python; et pour faire agir cet efprit de Python, il ne faut qu'être un fripon, et avoir affaire à un efprit faible: or personne ne niera que ces deux chofes n'aient été extrêmement communes.

L'évocation des morts était un des plus fublimes myftères de la magie. Tantôt on fefait paffer aux yeux du curieux quelque grande figure noire qui fe mouvait par des refforts dans un lieu un peu obfcur; tantôt le forcier ou la forcière fe contentait de dire qu'elle voyait

l'ombre, et fa parole fuffifait. Cela s'appelle la nécromancie. La fameuse pythoniffe d'Endor a toujours été un grand sujet de dispute entre les pères de l'Eglife. Le fage Théodoret, dans fa queftion LXII fur le livre des Rois, affure que les morts avaient coutume d'apparaître la tête en bas; et que ce qui effraya la pythoniffe, ce fut que Samuel était sur ses jambes.

Saint Auguftin, interrogé par Simplicien, lui répond, dans le second livre de fes questions, qu'il n'eft pas plus extraordinaire de voir une pythonisse faire venir une ombre, que de voir le diable emporter JESUS-CHRIST fur le pinacle du temple et fur la montagne.

Quelques favans voyant que chez les Juifs on avait des efprits de Python, en ont ofé conclure que les Juifs n'avaient écrit que très-tard, et qu'ils avaient prefque tout pris dans les fables grecques; mais ce fentiment n'eft pas foute

nable.

Des autres fortiléges.

QUAND on eft affez habile pour évoquer des morts avec des paroles, on peut à plus forte raison faire mourir des vivans, ou du moins les en menacer, comme le médecin malgré lui dit à Lucas qu'il lui donnera la fièvre. Du moins il n'était pas douteux que les forciers

n'euffent

n'euffent le pouvoir de faire mourir les beftiaux; et il fallait opposer fortilège à fortilége pour garantir fon bétail. Mais ne nous moquons point des anciens; pauvres gens que nous fommes, fortis à peine de la barbarie ! Il n'y a pas cent ans que nous avons fait brûler des forciers dans toute l'Europe; et on vient encore de brûler une forcière vers l'an 1750, à Vurtzbourg. Il eft vrai que certaines paroles et certaines cérémonies fuffifent pour faire périr un troupeau de moutons, pourvu qu'on y ajoute de l'arfenic.

L'Hiftoire critique des cérémonies fuperftitieufes par le Brun de l'oratoire, eft bien étrange; il veut combattre le ridicule des fortiléges, et il a lui-même le ridicule de croire à leur puiffance. Il prétend que Marie Bucaille la forcière, étant en prifon à Valogne, parut à quelques lieues de là dans le même temps, felon le témoignage juridique du juge de Valogne. Il rapporte le fameux procès des bergers de Brie, condamnés à être pendus et brûlés par le parlement de Paris en 1691. Ces bergers avaient été affez fots pour se croire forciers, et affez méchans pour mêler des poisons réels à leurs forcelleries imaginaires.

Le père le Brun protefte (e) qu'il y eut beaucoup de furnaturel dans leur fait, et qu'ils furent

(e) Voyez le procès des bergers de Brie, depuis la page 516.

Dictionn. philofoph. Tome V.. * B

pendus en conféquence. L'arrêt du parlement eft directement contraire à ce que dit l'auteur : La cour déclare les accufés duement atteints et convaincus de fuperftitions, d'impiétés, facrileges, profanations, empoisonnemens.

L'arrêt ne dit pas que ce foient des profanations qui aient fait périr des animaux : il dit que ce font les empoisonnemens. On peut commettre un facrilége fans être forcier, comme on empoisonne fans être forcier.

D'autres juges firent brûler, à la vérité, le curé Gaufridi, et ils crurent fermement que le diable l'avait fait jouir de toutes fes pénitentes. Le curé Gaufridi croyait auffi en avoir obligation au diable; mais c'était en 1611: c'était dans le temps où la plupart de nos provinciaux n'étaient pas fort au-deffus des Caraïbes et des Nègres. Il y en a eu encore de nos jours quelques-uns de cette espèce, comme le jésuite Girard, l'ex-jéfuite Nonotte, le jésuite Duplessis, l'ex-jéfuite Malagrida; mais cette espèce de fous devient fort rare de jour en jour.

A l'égard de la lycanthropie, c'eft-à-dire des hommes métamorphofés en loups par des enchantemens, il fuffit qu'un jeune berger ayant tué un loup, et s'étant revêtu de sa peau, ait fait peur à de vieilles femmes, pour que la réputation du berger devenu loup fe foit

répandue dans toute la province, et de là dans d'autres. Bientôt Virgile dira e

(f) His ego fæpè lupum fieri, et fe condere filvis
Marim, fæpè animas imis excire fepulcris.

Mæris devenu loup se cachait dans les bois :
Du creux de leurs tombeaux j'ai vu fortir des ames.

Voir un homme loup eft une chose curieuse; mais voir des ames eft encore plus beau. Des moines du Mont Caffin ne virent-ils pas l'ame de St Bénédict ou Benoit? Des moines de Tours ne virent-ils pas celle de S' Martin? Des moines de Saint-Denis ne virent-ils pas celle de CharlesMartel?

Enchantemens pour fe faire aimer.

IL y en eut pour les filles et pour les garçons. Les Juifs en vendaient à Rome et dans Alexandrie; et ils en vendent encore en Afie. Vous trouverez quelques-uns de ces fecrets dans le Petit Albert; mais vous vous mettrez plus au fait, fi vous lifez le plaidoyer qu'Apulée compofa lorsqu'il fut accufé par un chrétien, dont il avait époufé la fille, de l'avoir enforcelée par des philtres. Son beau-père Emilien prétendait qu'Apulée s'était fervi principalement de certains poiffons, attendu que Vénus étant (f) Ecloga VIII, v. 97 et feq.

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