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L'envie, a-t-on dit, permet à chacun d'être le panégyrifte de fa probité et non de son esprit. L'envie permet qu'on faffe l'apologie de fa probité, non de fon efprit; pourquoi ? c'est qu'il eft très-néceffaire de paffer pour homme de bien, et point du tout d'avoir la réputation d'homme d'efp.rit.

On a ému la queftion, fi tous les hommes. font nés avec le même efprit, les mêmes difpofitions pour les fciences, et fi tout dépend de leur éducation et des circonftances où ils fe trouvent. Un philofophe, qui avait droit de fe croire né avec quelque fupériorité, prétendit que les efprits font égaux; cependant on a toujours vu le contraire. De quatre cents enfans élevés enfemble fous les mêmes maîtres, dans la même discipline, à peine y en a-t-il cinq ou fix qui faffent des progrès bien marqués. Le grand nombre eft toujours des médiocres, et parmi ces médiocres il y a des nuances; en un mot, les efprits diffèrent plus que les visages.

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Nous avons des aveugles, des borgnes, des bigles, des louches, des vues longues, des vues courtes, ou diftinctes, ou confuses, ou faibles, ou infatigables. Tout cela eft une image affez fidelle de notre entendement. Mais on ne connaît guère de vue fauffe. Il n'y a guère d'hommes qui prenne toujours un coq pour un cheval, ni un pot de chambre pour une maison. Pourquoi rencontre-t-on souvent des efprits affez juftes d'ailleurs, qui font absolument faux fur des chofes importantes? Pourquoi ce même fiamois, qui ne fe laiffera jamais tromper quand il fera queftion de lui compter trois roupies, croit-il fermement aux métamorphofes de Sommona-codom? Par quelle étrange bizarrerie des hommes fenfés reffemblent-ils à don Quichotte qui croyait voir des géans où les autres hommes ne voyaient que des moulins à vent? Encore don Quichotte était plus excufable que le fiamois qui croit que Sommona-codom eft venu plufieurs fois fur la terre, et que le turc qui eft perfuadé que Mahomet a mis la moitié de la lune dans fa manche. Car don Quichotte, frappé de l'idée qu'il doit combattre des géans, peut se figurer

qu'un géant doit avoir le corps auffi gros qu'un moulin, et les bras auffi longs que les ailes du moulin; mais de quelle fuppofition peut partir un homme sensé pour se perfuader que la moitié de la lune eft entrée dans une manche, et qu'un Sommona- codom est descendu du ciel pour venir jouer au cerf-volant à Siam, couper une forêt, et faire des tours de passepaffe?

Les plus grands génies peuvent avoir l'esprit faux fur un principe qu'ils ont reçu fans examen. Newton avait l'efprit très-faux quand il commentait l'Apocalypfe.

Tout ce que certains tyrans des ames défirent, c'eft que les hommes qu'ils enfeignent aient l'efprit faux. Un fakir élève un enfant qui promet beaucoup ; il emploie cinq ou fix années à lui enfoncer dans la tête que le dieu Fo apparut aux hommes en éléphant blanc, et il perfuade l'enfant qu'il fera fouetté après fa mort pendant cinq cents mille années, s'il ne croit pas ces métamorphofes. Il ajoute qu'à la fin du monde l'ennemi du dieu Fo viendra combattre contre cette divinité.

L'enfant étudie et devient un prodige ; il argumente fur les leçons de fon maître; il trouve que Fo n'a pu fe changer qu'en éléphant blanc, parce que c'eft le plus beau des animaux. Les rois de Siam et du Pégu, dit-il, fe

font fait la guerre pour un éléphant blanc; certainement fi Fo n'avait pas été caché dans cet éléphant, ces rois n'auraient pas été fi infenfés que de combattre pour la poffeffion d'un fimple animal.

L'ennemi de Fo viendra le défier à la fin du monde; certainement cet ennemi fera un rhinocéros, car le rhinocéros combat l'éléphant. C'est ainsi que raisonne dans un âge mûr l'élève favant du fakir, et il devient une des lumières des Indes; plus il a l'esprit subtil, plus il l'a faux ; et il forme enfuite des efprits faux comme lui.

On montre à tous ces énergumènes un peu de géométrie, et ils l'apprennent affez facilement; mais, chofe étrange! leur efprit n'eft pas redreffé pour cela; ils aperçoivent les vérités de la géométrie, mais elle ne leur apprend point à peser les probabilités; ils ont pris leur pli; ils raisonneront de travers toute leur vie, et j'en fuis fâché pour eux.

Il y a malheureusement bien des manières d'avoir l'efprit faux. 1°. De ne pas examiner fi le principe eft vrai, lors même qu'on en déduit des conféquences juftes, et cette manière est commune. (*)

2o. De tirer des conféquences fauffes d'un principe reconnu pour vrai. Par exemple, un (*) Voyez CONSEQUENCE.

domeftique eft interrogé fi fon maître eft dans fa chambre, par des gens qu'il foupçonne d'en vouloir à fa vie: s'il était affez fot pour leur dire la vérité, fous prétexte qu'il ne faut pas mentir, il eft clair qu'il aurait tiré une conféquence abfurde d'un principe très-vrai.

Un juge qui condamnerait un homme qui a tué fon affaflin, parce que l'homicide eft défendu, ferait auffi inique que mauvais raisonneur.

De pareils cas se subdivisent en mille nuances différentes. Le bon efprit, l'esprit juste, eft celui qui les démêle; de là vient qu'on a vu tant de jugemens iniques; non que le cœur des juges fût méchant, mais parce qu'ils n'étaient pas affez éclairés.

ESSENIENS.

PLUS une nation eft fuperstitieuse et barbare, obftinée à la guerre malgré fes défaites, partagée en factions flottantes entre la royauté et le facerdoce, enivrée de fanatifme, plus il se trouve chez un tel peuple un nombre de citoyens qui s'uniffent pour vivre en paix.

Il arrive qu'en temps de pefte, un petit canton s'interdit la communication avec les grandes villes. Il fe préserve de la contagion

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