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Quel plaifir cela peut-il faire à DIEU? Entre nous, dire qu'on croit ce qu'il eft impoffible de croire, c'eft mentir.

Pic de la Mirandole fit un grand figne de croix. Eh! Dieu paternel, s'écria-t-il, que votre fainteté me pardonne, vous n'êtes pas chrétien. Non, fur ma foi, dit le pape. Je m'en doutais, dit Pic de la Mirandole.

QU'E

FOLI E.

U'EST-CE que la folie ? c'eft d'avoir des pensées incohérentes et la conduite de même. Le plus fage des hommes veut-il connaître la folie? qu'il réfléchiffe fur la marche de fes idées pendant fes rêves. S'il a une digestion laborieufe dans la nuit, mille idées incohérentes l'agitent; il femble que la nature nous puniffe d'avoir pris trop d'alimens, ou d'en avoir fait un mauvais choix, en nous donnant des pensées; car on ne pense guère en dormant que dans une mauvaise digeftion. Les rêves inquiets font réellement une folie paffagère.

La folie pendant la veille eft de même une maladie qui empêche un homme nécessairement de penser et d'agir comme les autres. Ne pouvant gérer fon bien, on l'interdit; ne pouvant avoir des idées convenables à la

fociété, on l'en exclut ; s'il eft dangereux, on l'enferme; s'il eft furieux, on le lie. Quelquefois on le guérit par les bains, par la faignée, par le régime.

Cet homme n'eft point privé d'idées ; il en a comme tous les autres hommes pendant la veille, et fouvent quand il dort. On peut demander comment fon ame spirituelle, immortelle, logée dans fon cerveau, recevant par les fens toutes les idées très-nettes et très-diftinctes, n'en porte cependant jamais un jugement sain. Elle voit les objets comme l'ame d'Ariftote et de Platon, de Locke et de Newton, les voyait; elle entend les mêmes fons, elle a le même fens du toucher; comment donc, recevant les perceptions que les plus fages éprouvent, en fait-elle un affemblage extravagant fans pouvoir s'en dispenser ?

Si cette fubftance fimple et éternelle a pour fes actions les mêmes inftrumens qu'ont les ames des cerveaux les plus fages, elle doit raisonner comme elles. Qui peut l'en empêcher? Je conçois bien à toute force que fi mon fou voit du rouge, et les fages du bleu; fi quand les fages entendent de la mufique, mon fou entend le braiment d'un âne; fi quand ils font au fermon, mon fou croit être à la comédie; fi quand ils entendent oui, il entend non; alors fon ame doit penser au rebours

des autres. Mais mon fou a les mêmes perceptions qu'eux; il n'y a nulle raison apparente pour laquelle fon ame ayant reçu par fes fens tous les outils, ne peut en faire d'usage. Elle est pure, dit-on, elle n'eft fujette.par elle-même à aucune infirmité; la voilà pourvue de tous les fecours néceffaires : quelque chofe qui fe paffe dans fon corps, rien ne peut changer fon effence; cependant on la mène dans fon étui aux petites-maifons.

Cette réflexion peut faire foupçonner que la faculté de penfer, donnée de DIEU à l'homme, eft fujette au dérangement comme les autres fens. Un fou eft un malade dont le cerveau pâtit, comme le goutteux eft un malade qui fouffre aux pieds et aux mains ; il pensait par le cerveau, comme il marchait avec les pieds, fans rien connaître ni de fon pouvoir incompréhenfible de marcher, ni de fon pouvoir non moins incompréhenfible de penfer. On a la goutte au cerveau comme aux pieds. Enfin, après mille raisonnemens, il n'y a peutêtre que la foi feule qui puiffe nous convaincre qu'une fubftance fimple et immatérielle puiffe être malade.

Les doctes ou les docteurs diront au fou : Mon ami, quoique tu ayes perdu le fens commun, ton ame eft auffi spirituelle, auffi pure, auffi immortelle que la nôtre; mais notre ame

eft bien logée, et la tienne l'eft mal; les fenê-tres de la maison font bouchées pour elle; l'air lui manque, elle étouffe. Le fou, dans. ses bons momens, leur répondrait : Mes amis, vous supposez à votre ordinaire ce qui eft en question. Mes fenêtres font auffi-bien ouvertes que les vôtres, puifque je vois les mêmes objets, et que j'entends les mêmes paroles; il faut donc néceffairement que mon ame faffe 'un mauvais ufage de fes fens, ou que mon ame ne foit elle-même qu'un fens vicié, une qualité dépravée. En un mot, ou mon ame est folle par elle-même, ou je n'ai point d'ame.

Un des docteurs pourra répondre : Mon confrère, DIEU a créé peut-être des ames folles, comme il a créé des ames fages. Le fou répliquera: Si je croyais ce que vous me dites, je ferais encore plus fou que je ne le fuis. De grâce, vous qui en favez tant, dites-moi pourquoi je fuis fou?

Si les docteurs ont encore un peu de fens, ils lui répondront: Je n'en fais rien. Ils ne comprendront pas pourquoi une cervelle a des idées incohérentes; ils ne comprendront pas mieux pourquoi une autre cervelle a des idées régulières et fuivies. Ils fe croiront fages, et ils feront auffi fous que lui.

Si le fou a un bon moment, il leur dira: Pauvres mortels qui ne pouvez ni connaître la

caufe de mon mal, ni le guérir, tremblez de devenir entièrement femblables à moi, et même de me furpaffer. Vous n'êtes pas de meilleure maison que le roi de France Charles VI, le roi d'Angleterre Henri VI. et l'empereur Venceslas, qui perdirent la faculté de raisonner dans le même fiècle. Vous n'avez pas plus d'efprit que Blaife Pafcal, Jacques Abbadie et Jonathan Swift, qui font tous trois morts fous. Du moins, le dernier fonda pour nous un' hôpital. Voulez-vous que j'aille vous y retenir une place?

N. B. Je suis fâché pour Hippocrate qu'il ait prefcrit le fang d'ânon pour la fólie, et encore plus fâché que le Manuel des dames dife qu'on guérit la folie en prenant la gale. Voilà de plaifantes recettes; elles paraiffent inventées par les malades.

FONT E.

Il n'y a point d'ancienne fable, de vieille

abfurdité que quelque imbécille ne renouvelle, et même avec une hauteur de maître, pour peu que ces rêveries antiques aient été autorisées par quelque auteur ou claffique ou théologien.

Lycophron (autant qu'il m'en fouvient) rapporte qu'une horde de voleurs qui avait été justement condamnée en Ethiopie par le roi

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