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Mais quoi, les autres animaux auront donc la même liberté, la même puiffance? Pourquoi non? Ils ont des fens, de la mémoire, du fentiment, des perceptions, comme nous. Ils agiffent avec fpontanéité comme nous. Il faut bien qu'ils aient auffi, comme nous, la puissance d'agir en vertu de leurs perceptions, en vertu du jeu de leurs organes.

On crie: S'il eft ainfi, tout n'eft que machine, tout eft dans l'univers affujetti à des lois éternelles. Eh bien, voudriez-vous que tout fe fit au gré d'un million de caprices aveugles ? Ou tout eft la fuite de la néceffité de la nature des choses, ou tout eft l'effet de l'ordre éternel d'un maître abfolu; dans l'un et dans l'autre cas nous ne fommes que des roues de la machine du monde.

C'est un vain jeu d'efprit, c'est un lieu commun de dire que fans la liberté prétendue de la volonté, les peines et les récompenfes font inutiles. Raifonnez, et vous conclurez tout le contraire.

Si quand on exécute un brigand, fon complice qui le voit expirer a la liberté de ne fe point effrayer du fupplice; fi fa volonté fe détermine d'elle-même, il ira du pied de l'échafaud affaffiner fur le grand chemin; fi fes organes frappés d'horreur lui font éprouver une terreur infurmontable, il ne volera plus.

Le fupplice de fon compagnon ne lui devient utile, et n'affure la fociété qu'autant que fa volonté n'eft pas libre.

La liberté n'eft donc et ne peut être autre chofe que la puiffance de faire ce qu'on veut. Voilà ce que la philofophie nous apprend. Mais fi on confidère la liberté dans le fens théologique, c'est une matière fi fublime que des regards profanes n'ofent pas s'élever jusqu'à elle. (*)

FRANCHISE.

Mor qui donne toujours une idée de liberté

dans quelque fens qu'on le prenne; mot venu des Francs, qui étaient libres : il eft fi ancien que lorfque le Cid affiégea et prit Tolède, dans l'onzième fiècle, on donna des franchies ou franchises aux français qui étaient venus à cette expédition, et qui s'établirent à Tolède. Toutes les villes murées avaient des franchifes, des libertés, des priviléges jusque dans la plus grande anarchie du pouvoir féodal. Dans tous les pays d'Etats, le fouverain jurait à fon avénement de garder leurs franchises.

Ce nom, qui a été donné généralement aux

(*) Voyez LIBERTÉ.

droits des peuples, aux immunités, aux afiles, a été plus particulièrement affecté aux quartiers des ambaffadeurs à Rome. C'était un terrain autour des palais; et ce terrain était plus ou moins grand, felon la volonté de l'ambaffadeur. Tout ce terrain était un afile aux criminels ; on ne pouvait les y poursuivre. Cette franchife fut reftreinte fous Innocent XI à l'enceinte des palais. Les églifes et les couvens en Italie ont la même franchise, et ne l'ont point dans les autres Etats. Il y a dans Paris plufieurs lieux de franchife, où les débiteurs ne peuvent être faifis pour leurs dettes par la juftice ordinaire, et où les ouvriers peuvent exercer leurs métiers fans être paffés maîtres. Les ouvriers ont cette franchise dans le faubourg SaintAntoine; mais ce n'eft pas un afile comme le Temple.

Cette franchise, qui exprime ordinairement la liberté d'une nation, d'une ville, d'un corps, a bientôt après fignifié la liberté d'un difcours, d'un confeil qu'on donne, d'un procédé dans une affaire : mais il y a une grande nuance entre parler avec franchife, et parler avec liberté. Dans un discours à son supérieur, la liberté eft une hardieffe ou mefurée ou trop forte; la franchise se tient plus dans les justes bornes, et eft accompagnée de candeur. Dire fon avis avec liberté, c'eft ne pas craindre;

le dire avec franchise, c'eft fe conduire ouvertement et noblement. Parler avec trop de liberté, c'eft marquer de l'audace; parler avec trop de franchise, c'eft trop ouvrir fon cœur.

FRANÇOIS XAVIE R.

Il ne ferait pas mal de favoir quelque chofe

L

de vrai concernant le célèbre François Xavero, que nous nommons Xavier, furnommé l'apôtre des Indes. Bien des gens s'imaginent encore qu'il établit le chriftianifme fur toute la côte méridionale de l'Inde, dans une vingtaine d'îles, et furtout au Japon. Il n'y a pas trente ans qu'à peine était-il permis d'en douter dans l'Europe.

Les jéfuites n'ont fait nulle difficulté de le comparer à St Paul. Ses voyages et fes miracles avaient été écrits en partie par Turfellin et Orlandin, par Lucéna, par Partoli, tous jéfuites, mais très-peu connus en France moins on était informé des détails, plus fa réputation était grande.

:

Lorfque le jéfuite Bouhours composa fon hiftoire, Bouhours paffait pour un très-bel efprit, il vivait dans la meilleure compagnie de Paris; je ne parle pas de la compagnie de Jéfus, mais de celle des gens du monde les

plus diftingués par leur esprit et par leur favoir. Perfonne n'eut un ftyle plus pur et plus éloigné de l'affectation: il fut même propofé dans l'académie française de paffer par-deffus les règles de son institution pour recevoir le père Bouhours dans fon corps. (a)

Il avait encore un plus grand avantage, celui du crédit de fon ordre, qui alors par un preftige prefque inconcevable gouvernait tous les princes catholiques.

La faine critique, il eft vrai, commençait à s'établir; mais fes progrès étaient lents: on fe piquait alors en général de bien écrire plutôt que d'écrire des chofes véritables.

Bouhours fit les vies de S' Ignace et de St François Xavier, fans presque s'attirer de reproches : à peine releva-t-on fa comparaifon de St Ignace avec Céfar, et de Xavier avec Alexandre : ce trait paffa pour une fleur de rhétorique.

J'ai vu au collège des jéfuites de la rue SaintJacques un tableau de douze pieds de long sur douze de hauteur, qui représentait Ignace et Xavier montant au ciel chacun dans un char magnifique, attelé de quatre chevaux blancs; le Père éternel en haut décoré d'une belle barbe blanche, qui lui pendait jusqu'à la ceinture;

(a) Sa réputation de bon écrivain était fi bien établie, que la Bruyère dit dans fes Caractères: Capys croit écrire comme Bouhours ou Rabutin.

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