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Sur le sol j'ai brisé la lampe, éteint la flamme,
J'ai cherché ses genoux d'un élan éperdu.
Le lit était désert et la chambre sans âme.
J'ai pleuré la nuit morte et le dieu disparu.

J'ai pleuré le passé, ne sachant pas comprendre,
Mais quand l'aube a jailli du ciel immense et gris,
J'ai vu, dans le miroir d'argent couleur de cendre,
Deux rides sillonner ma bouche !... Et j'ai compris!

PSYCHÉ SOLITAIRE

I

Combien de temps, combien de nuits ai-je dormi
A l'ombre palpitante et douce de la joie?
Combien de jours vécu comme un fantôme, en proie
A ce philtre éternel et tendre de l'Ami?

Je n'ai pas su marquer l'aube qui recommencé,
Ni le sable qui fuit dans la saison d'amour,
Et l'autre temps se lève, et l'autre temps accourt,
Le temps vide d'espoir et gonflé de silence.

Déjà ! Comment saisir la forme de l'éclair? Comment voir qu'en deçà de l'heure qui nous presse Se perd au fond des jours la première caresse Quand le passé pour nous était toujours hier.

Je cherche, je regarde autour de moi. Les choses
Ont toujours la jeunesse intacte du matin,

Les vierges vont toujours, comme au printemps lointain,
Effeuiller dans la mer leurs couronnes de roses.

Mais les noms familiers des groupes ingénus,
La vie au loin les a dispersés par les villes.
Je n'ai plus l'amitié des passantes agiles,
Leurs visages de fleurs me sont tous inconnus.

Eros, Eros, la nuit sans fin répondra-t-elle ?
Ah! cette soif de toi qui brûle jusqu'au soir!
Chaque jour je t'envie avec mon désespoir

Ce cœur qui peut mourir dans ta chair immortelle.

II

Reviens si tu le veux, je serai ton amie,
Une amie aux yeux fraternels,

Je parlerai sans trouble et la voix affermie
Des calmes jours habituels.

Tu viendras vers le soir, l'heure d'or où les îles
Sont au loin des pêchers en fleurs,

Et nous contemplerons les plages immobiles,
Les golfes baignés de lueurs.

Tu me diras combien est belle ton amante,
Que son corps souple est matinal,

Frais de cette fraîcheur vive de l'eau courante
Qui rend le baiser virginal.

Et ton regard fuira le moment qui nous touche,
Perdu, là-bas, sur le chemin...

Je ne te dirai pas que je meurs de ta bouche!
Je prendrai gravement la main.

Ah! reviens! Je serai seulement ta servante.
Je marcherai dans la maison,

Et tu n'entendras pas mon âme patiente,
Mes longs travaux et ma raison.

Les huiles, les parfums, les baumes de Syrie,
Ceux qui d'Égypte sont venus,

J'en baignerai ta chair de lumière pétrie,
Tes cheveux blonds et tes pieds nus.

Et je pourrai vieillir et regarder la terre
Si je sens, un soir enchanté,

Tes pieds blancs se poser sur mon cœur solitaire
Où le sang devra s'arrêter.

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Je marche au long des jours en recherchant ton ombre.
Comme un rythme perdu, comme un trésor caché.
Nul ne connaît ma route aux épines sans nombre.
Nul ne sait!... Et pourtant, je suis toujours Psyché.

Dans le bois d'oliviers où chante la colombe,
Je vais parfois, je songe au matin triomphant.
Hier, par le sentier, à l'heure où le soir tombe,
J'ai vu venir une inconnue aux yeux d'enfant.

Le rêve intérieur inondait sa prunelle,

Sa bouche s'entr'ouvrait au baiser comme un fruit,
Elle avait le reflet de la lampe éternelle,
Eros, et ton parfum de rose dans la nuit.

Elle a passé sans voir mon être taciturne,
L'àme déjà perdue et morte entre tes bras
Et je suis revenue à la maison nocturne,
Passante aux cheveux gris qu'on ne regarde pas.

J'ai bu le soir amer, le soir d'ombre et de cendre
Et j'y sentais pleurer, tel un ruisseau qui sourd,
Le mal de ce pays mystérieux et tendre
Qui m'appelait jadis au fond des nuits d'amour.

CLAUDE CORDÉS.

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A Aix-la-Chapelle, en 1748. Le maréchal de Saxe, vainqueur de Fontenoy, y attend le prix de sa victoire. Pour de précédents services il avait déjà obtenu le château de Chambord, dont les vastes dépendances étaient, disait-il, nécessaires aux manœuvres de sa division qu'il surveillait du haut de son balcon au milieu des dames invitées à ce spectacle. Après Fontenoy, l'ambition du maréchal de Saxe a pris de l'ampleur. Une seigneurie ne lui suffit plus; il demande Madagascar. C'est une ile territoire sans voisins, frontières faciles à délimiter. Cependant le Congrès s'émeut et prend beaucoup de peine pour faire comprendre au maréchal que Madagascar dépasse la taille d'une principauté. On lui offre à la place Tabago, île des Antilles. I accepte, à titre de compensation, - et, dans son esprit, à titre d'équivalence. Dans ce temps-là on était excusable de ne pas savoir la géographie des antipodes. Ile pour ile le maréchal fut satisfait.

Décidément, Madagascar n'était pas, il ne devait pas être de longtemps encore un fruit assez mûr pour être cueilli par la France. Au début du siècle suivant, l'aventurier polonais, comte de Benyowsky, l'offrit à notre pays. Le gouverneur de l'ile Bourbon, son voisin, s'y opposa, comme si on le dépos

(1) Voyez la Revue des 1er et 13 mars.

TOME XXXII.

1926.

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sédait d'un fief et mena si grandes intrigues que la France refusa le cadeau. Benyowsky fut, quelque temps après, assassiné par les soldats de ce gouverneur.

Je pourrais prendre le loisir d'ajouter d'autres exemples, tels que l'abandon des Indes orientales et la vente de la Louisiane, afin de marquer jusqu'où peuvent mener l'indifférence des foules en matière de colonies, l'ignorance de la géographie et de l'économie mondiale qui caractérise aujourd'hui encore ceux qui désirent échanger, louer ou vendre nos terres lointaines. J'aurais encore voulu, afin d'élargir la question, m'étendre sur le mouvement d'opinion propagé en Allemagne en faveur de l'annulation des « mandats artificiellement créés >> sur les colonies allemandes au profit des pionniers de l'Entente ». (1) Mais je me suis à dessein écarté jusqu'ici de tout aperçu historique mon but est d'attirer seulement les regards sur l'état actuel de Madagascar.

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Alors que, dans nos vastes possessions d'Afrique, les produits du sol sont en nombre restreint et ceux du sous-sol à peu près nuls, Madagascar possède une variété incroyable des uns et des autres. Quelle serait la situation du Sénégalais, si les cours de l'arachide venaient à s'effondrer, si cette graine venait à lui faire défaut? Précaire, à coup sûr. Assis sous son arbre de Cythère, le Malgache a tellement de cordes à son arc que le souci de la vie ne saurait guère lui peser. Quand la vanille se déprécie, le riz atteint des prix inusités; s'il arrive que la production d'or diminue, il se trouve que le graphite et le mica n'ont jamais connu pareille vogue. Et tout à l'avenant. Madagascar rappelle assez bien cette Diane du musée de Naples, sculptée dans un marbre ocré, et dont la poitrine s'orne de vingt et une mamelles.

Cependant cette bonne fortune n'apparut pas tout de suite; ces marques de prospérité naissante, ces chiffres pleins d'intérêt que je vais étaler devant vos yeux n'ont pas toujours existé. Sommeillant sur ses richesses, longtemps la grande île fut réputée pauvre. Il y eut même un Français pour la comparer à une brique, tant pour la fertilité que pour la couleur. Les premiers visiteurs, et longtemps encore leurs successeurs, méprisèrent ce sol parce qu'il ne produisait pas à leur gré les

(1) Deutscher Adet von Geist und Geburt, de Eduard von Liebert.

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