ROBERT. Par Saint Jean, ô mon oncle et mon roi, Esmorée en est digne; il est devenu un chevalier renommé qui manie bien les armes. Le projet de lui céder votre couronne me paraît sage. Approchez, Damiette, soyez l'épouse du jeune roi. PLACUS. Aidez-moi, Mahomet! je m'étonne de me posséder dans un pareil moment. O Esmorée, noble et loyal chevalier, c'est lui qui est cause de tous vos malheurs au fond du cœur il désavoue les discours de sa bouche. C'est lui qui vous vendit à moi, et mille livres d'or furent le prix de notre marché. ESMORÉE. Dites-moi, maître, ce qui en est. PLACUS, Par Apolin, il y a dix-huit ans, je me transportai au même endroit que vous voyez d'ici. Écoutez quels étaient les projets de ce méchant : sans aucun doute, il vous aurait fait périr dans une fosse; il vous accablait de malédictions parce que votre naissance lui enlevait tout espoir à la couronne. Son air me fit connaître que vous lui apparteniez par les liens du sang. ESMORÉE. Maître, je vous en conjure, racontez-moi tout en détail. Je suis au désespoir de ne pas savoir la vérité et d'ignorer quel est celui qui a causé à ma mère tant de peines et à moi tant d'opprobre. PLACUS. Par Mahom, Robert lui-même est l'auteur de tout. Par mon Dieu Tervogant! il vous aurait ravi la vie : il était sur le point de consommer ce crime. Je l'entendis et lui dis que c'eût été un lâche forfait de faire mourir ce jeune et illustre enfant; de sorte que je vous achetai mille livres d'or fin. ESMORÉE. Par le seigneur qui gouverne tout, ce crime sera vengé avant qu'une goutte de vin désaltère ma soif. Robert votre dernier jour est arrivé: où êtes-vous, mon père, noble baron, et vous assassin perfide? ROBERT. Par Dieu, mon neveu, cela est faux. J'ai toujours été bon et loyal serviteur, et je ne fus jamais ni traître ni assassin. ESMORÉE. Taisez-vous, fils d'une mère débauchée! le crime que Vous avez commis est bien plus exécrable: comment a pu vous venir l'idée de vendre celui que les liens du sang vous attachaient si étroitement et de faire croire à mon père que ma mère avait commis ce crime? ROBERT. S'il est quelqu'un dans le pays qui m'accuse, je veux entrer en lice avec lui pour soutenir mon innocence. PLACUS. Taisez-vous, homme perfide; vous l'auriez assassiné, si je n'étais pas arrivé près de vous. Jamais je ne fus si satisfait, que lorsque je parvins à le tirer de vos mains à prix d'argent. Je vous le donnai, sans le compter, dans une cassette d'ivoire. Je parie ma tête qu'on la retrouverait encore dans vos coffres. ESMORÉE. Malheur à vous, Robert, monstre abominable, je vous hais à juste titre. Voici le jour de votre supplice; l'univers entier ne saurait vous en arracher. (Ici on pend Robert.) EPILOGUE. ESMORÉE. Ainsi l'on voit toujours à mauvaise vie mauvaise fin: les cœurs purs et vertueux finissent par triompher. Je vous conseille donc tous, qui que vous soyez hommes ou femmes, de ne jamais quitter le sentier de la droiture: ainsi vous serez un jour unis à ce Dieu dont le trône sublime est dans les cieux où vous entendrez les concerts divins des anges. Que le père céleste nous donne cette gràce! et nous, répétons tous Amen. PLACUS, au public. Que Dieu nous accorde à tous sa protection, vous avez pu voir, hommes sages et prudens, quelle vengeance Esmorée a prise de Robert, son oncle. Que personne ne quitte sa place pour retourner chez lui, car nous allons jouer une Sollie (1) qui sera courte. Cependant si quelqu'un d'entre-vous est pressé par la faim ou la soif, qu'il aille prendre des rafraîchissemens en descendant par cet escalier. Si vous vous êtes bien amusés, revenez tous demain. (1) Nous ne donnons pas la traduction de cette Sottie ou Farce, qui suit immédiatement le drame d'Esmorée, parce qu'elle n'offrirait peutêtre pas le même intérêt pour nos lecteurs. |