Me font perdre de raison l'atrempance, Quant de te veoir j'ay perdu l'espérance. Toujours amour par fermeté
procure Qu'à désespoir point ne face ouverture; Mais tous malheurs viennent de tant de pars, Qu'ils me rendent indigne créature
Tant que d'erreur en mon chef faiz saincture. Les yeulx baignés, vers toi sont mes regards, Ne faisant plus contre ennuy nuls remparts, Si n'est d'avoir ton nom en révérance, Quant de te veoir j'ay perdu l'espérance.
Mais je ne sçay pourquoi tourna langure En mal sur moy, car ma progéniture
Eut tant de biens, qu'en tous lieux fut espars; Plaisir dueil étoit lors leur vesture;
Plaisante et doulce sembloit la nourriture
De leurs subjects, gardans brebis ès
Toujours batirent lyons et lyépars;
Mais j'ay grant peur n'avoir tel heur en France, Quant de te veoir j'ay perdu l'espérance.
O grant amour, éterne et sans rompture, Dont l'infiny est juste la mesure, Dis-moy, perdray-je à jamais ta présence, Dont brief verras sur moy la sépulture, L'esprit à toy, pour le corps pourriture, Quant de te veoir j'ay perdu l'espérance? Tu te pourrois ores esmerveiller Pourquoy je vueil maintenant travailler, T'escripre vers pour te faire savoir Chose en effect où tu ne peulx pourveoir,
En te faisant juger en ton esprit
Que bien foible est l'effect de mon escript, Cuyder couscher en fins vers et en mettre Ung infiny voulloir soubz mauvais metre. Ne treuve estrange, amye, si le veoir Qui tant me peult a perdu le povoir, Parquoy je viens par triste escripture Te déclairer ma fortune tant dure, Te requérant par notre affection, Invincible de nulle division, Point ne voulloir prandre mélencolye De mon escript, n'aussy de fascherie, Car tu scés bien qu'en grande adversité Le récorder donne commodité
D'aucun repoz, comptant à ses amys Le desplaisir en quoy l'on est soubzmys. Saches doncques qu'en ceste propre heure Avecques toy plus je ne fiz demeure, Que je sentiz comme s'elle eust esté Dedans mon cueur mon infélicité; Mais renommée envers moy si s'advance, Me commandant que feisse dilligence, Disant, par fer et feu tes ennemys
Ont grande part de ton pays soubzmys, Digne ne seroys qu'on t'aymast pour ton veoir, Si maintenant oublyoys ton devoir; Mame avec toy sans dissimulation, Desir, honneur, amour, affection, Ces quatre là compaignye te feront, En nul péril ne t'abandonneront.
Quant j'entendis que la nécessité Que je marchasse estoit pour vérité, Je m'advançay, défendant mon pays, Des ennemys à bon droict trop hays; Que dirai plustost fut preste l'armée D'honneur conquere et de gloire affamée : Si feismes tant que nosdits ennemys Veirent tantes et pavillons presmis. De passer l'eau qu'on nomme la Durance, Feismes devoir et grande dilligence. Mais l'Espaignol tourna la sienne envie De combattre, pour tost sauver sa vye En reculant, de son salut soigneux. Prandre Marseille alors n'est envyeulx, Dont s'en alla perdant toute espérance De plus mal faire, ne nuyre à la Prouvance, En mauldissant Bourbon et ses practiques, Congnoissant bien ses trahisons inicques. Avecques eulx avoit un chef louable, Et de vertu trop fort recommandable; Celuy estoit en guerre et payx exquis De Pesquere se disoit le marquis : Dont par bon sens tous les siens si ralye, Droict le chemin s'y prennent d'Ytalye, Car à bon droict il estoit l'espérance De tout leur camp par vertu et prudance. Parquoy souldars luy laissent faiz et soing De leur salut en ce très grant besoing; Mais par conseil si ne leur peult donner, Pour eulx sauver, voulloir habandonner
Artillerye et bagaige en effect,
Car sans cela tout eust esté deffaict.
Trop estions près et puissans sans doubtance Pour combattre sans doubteuse espérance, Si fortune, sur moy tant envyeuse,
D'un trop grant heur n'eust faict vye malheureuse. Et moy voyant la difficuleté,
Et de le joindre impossibilité,
Je concludz lors suivre mes ennemys
Qui jà estoient tous dans les haults monts mis Par autre voye, et chemin n'advancer, Dont point deceu ne fuz de mon penser. A tous mes gens je fiz grant feste et joye Pour esprouver cette nouvelle voye, En leur disant : O souldars et amys, Puisque fortune en ce lieu nous a mis, Favorisons la sienne voulenté
Par la vertu de nostre honnesteté,
En ne craignant des grans monts la haultesse, Vous asseurant sur ma foy et promesse Que si premiers sommes en Ytalye, Que sans combat guerre sera finye. Vaincquons doncq par vertu nos passions; Plaisirs, maisons, fault que nous oublyons; Donnons repoz par ung peu de souffrance Que porterons à ceste notre France. Cela leur dis pour tousjours esmouvoir La notre armée à faire son devoir. Mais pour certain je congnuz bien alors En la pluspart estre vertu dehors.
La montaigne de neige revestue Leur cueur atriste et leur voulloir si tue, Prenans coulleur pour mieulx dissimuler Que bien failloit premièrement aller Sur le fleuve qu'on nomme la Durance Faire un pont; mettant leur espérance Que la longueur romperoit l'entreprise,
. Couvrant leur peur du manteau de fainctise. Mais l'eau ne veult nullement comporter
Le faiz que voit sur elle à tort boutter,
Bien nous monstra qu'en elle eut plus d'honneur Qu'en noz souldars de cueur ne de bonheur; Car tout soubdain se rendit si petite, Baissant son cours par trop legiere finite, Que nous laissa passer tout le bagaige, Et campagne tant nous fist d'avantaige. Mays qui pourroit se garder de aymer Fleuve tant digne, et noz souldars blasmer, Ayant faillu que l'eaue sans congnoissance Ayt triumphé d'honneur sur leur offence? Dont passasmes suivans notre entreprinse, Estant en nous nouvelle force prinse. Et tant feismes qu'en unze jours pour veoir Les champs lombards peusmes apparcevoir; Et s'il eust pleu alors à Dieu permettre Que de tous cueurs j'eusse esté le maistre, Pour m'obéir en telle dilligence Que faict de guerre mérite qu'on s'advance, Et qu'en la mer l'armée de notre part De noz ports eust faict dilligent départ
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