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Car en l'amoureuse praticque

Toutes deux n'entendent point l'art; L'une trop tost veult qu'on la picque, L'aultre le veult faire trop tard.

BALLADE SUR LA VIERGE.

Qui me créa, je l'ay conçu,
Par singuliere humilité.

Et pour ce que je l'ai conçu
En humaine fragilité,

Il m'a doué d'agilité.

Aujourd'huy doncques, au surplus,

Je suis en immortalité

Mère de Dieu que veult-on plus ?
Il me nourrit, je l'ai repu;
Et pour ce qu'en bénignité,
Je luy ay fait ce que j'ay pu,
Par doulce consanguinité,
Pour l'amour de maternité,
Par laquelle tant je luy plus,
Je suis en son éternité

Mère de Dieu que veult-on plus ?

:

Je l'ay couvert; il a vestu

De gloire mon humanité.

Et qui plus est, par la vertu

De sa haulte divinité,

M'a mis en telle dignité,

Que suis par sus tous les élus,

Le plus près de la Trinité,

Mère de Dieu que veult-on plus?

ENVOI.

Qui veult avoir mon amitié,
Tant soit-il de grace fictus,
Vienne à moi; je suis par pitié

Mère de Dieu que veult-on plus?

GILLES D'AURIGNY.

GILLES D'AURIGNY, dit le Pamphile, naquit à Beauvais, et fut avocat au parlement de Paris. Il vivoit encore au commencement de l'an 1553; mais il est dit dans l'édition de ses ouvrages, qui fut donnée sur la fin de la même année, qu'on l'avoit enrichie des pièces trouvées dans les papiers de l'auteur après sa mort. Cette édition contient d'ailleurs plusieurs épitaphes que quelques uns des amis de Gilles d'Aurigny composèrent à sa mémoire.

François Habert parle de cet auteur, dans son Epitre sur l'immortalité des Poètes françois, comme d'un jeune homme qui donnoit les plus hautes espérances, lorsqu'il fut moissonné à la fleur de son âge. Voici ce qu'en dit François Habert :

De d'Aurigny fut donné jugement,
Qu'il avoit jà heureux commencement,
Avec espoir de futur avantage,
Lorsque la mort le ravit avant âge.

La plus considérable des productions de notre poète est le Tuteur d'Amour, poëme en quatre chants et en vers de dix syllabes, qui fut adressé à Maupas, abbé de Saint-Jean-de-Laon. On trouve dans cet ouvrage une imagination riche et fleurie, de l'intérêt dans les détails, de la facilité et de l'élégance dans le style, qui l'ont fait regarder, par quelques littérateurs, comme la meilleure production du siècle,

D'Aurigny suppose qu'en entrant dans le monde, le récit des maux causés par l'Amour l'a vivement affligé

III.

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et lui a inspiré le dessein de désarmer ce dieu. Il s'en rend maître en effet ; et, après l'avoir dépouillé de ses ailes et de ses armes, il l'enferme dans un château, où, aidé du secours de Mercure, il le retient captif pendant trois ans. Cependant Vénus trouve le moyen de s'introduire dans le château, habillée en chasseur, et d'en retirer son fils, tandis que le Tuteur d'Amour dormoit sans mégance. Celui-ci ne pense plus, à son réveil, qu'à se soustraire au courroux de la déesse; mais, au moment où il s'y attendoit le moins, elle se venge en lui faisant aimer une jeune personne qui le paye d'insensibilité. L'analyse que Henri Simon, ami intime de d'Aurigny, a faite de ce poëme, mérite d'être

connue.

L'enfant Amour, tant inhumain fust-il,
N'avoit onc eu du tuteur cognoissance;
Et le tuteur, plus jeune que subtil,
A eu vouloir de régir son enfance.
Ce qu'il a faict est de telle prudence,
Qu'il tint Amour longuement souffreteux;
Mesme son dard flambant et dangereux,
Sans estre veu fust long temps inutile:
Mais à la fin il fust si furieux,

Que du tuteur il en fit un pupille.

Les autres poésies de Gilles d'Aurigny sont : des épîtres, des élégies, des épigrammes sur l'amour, plusieurs épitaphes, parmi lesquelles on distingue celle qu'il composa pour Clément Marot, et celle qu'il fit pour François de Montholon, garde des sceaux de France, etc.; des estrennes, des chants royaux, quelques oraisons, le blason de l'ongle, des ballades, des rondeaux, des dixains, etc., et plusieurs épigrammes traduites de Martial.

LE TUTEUR D'AMOUR,

POËME EN QUATRE CHANTS.

CHANT PREMIER.

AYANT un temps occupé mon esprit
A concevoir ce qu'ont plusieurs écrit
Touchant Amour, je sentis que feroit
Grand bien à tous, qui l'Amour dompteroit ;
Et dès-lors j'eus une volonté haute
De vaincre Amour, de lui montrer sa faute,
Et quelque peu son vouloir surmonter,
Par le moyen que je te veux conter.

Sachant qu'Amour souloit hanter provinces,
Entrer aux cours des rois, dames et princes,
Je soupçonnai que cet enfant perdu
Pourroit bien estre en la cour descendu :
Et c'est le lieu, où si souvent j'entrai,
Et jour et nuit, que je l'y rencontrai.
Incontinent que j'eus jeté ma vue

Sur son maintien, sur sa chair blanche et nue,
Sur ses deux yeux d'un linge blanc bandez,
Sur ses traits d'or tant bien recommandez,
Sur son carquois qui pendoit avec grace,
Et sur son arc porté d'un air d'audace,
Je pensai bien que celui mesme étoit,
Qui tant de maux au monde commettoit:

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