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Tu n'as encore une seule semaine,
Que tu dépars de cette vie humaine.
Faut-il qu'en terre à tes yeux inconnue,
Soit ton départ si près de ta venue!

Petit enfant, qui t'a donné envie
De si soudain aller à l'autre vie?

Il semble à voir que tu connusses bien
Qu'en cette vie y a si peu de bien.
Petit enfant, je crois bien que tu as
Un autre pere au ciel, là où tu vas,
Lequel a fait que ton cœur le désire,
Quand le charnel laisses pour l'autre élire.
Puisque tu veux l'éternel bien choisir,
Laissé m'en as un merveilleux désir;
Et voudrois voir à ton exemple enfin,
Le Dieu qui ja t'a reçu dans son sein.

THOMAS SÉBILET.

THOMAS SÉBILET ou SIBILET, comme le nomme Pasquier, son disciple en poésie, naquit à Paris vers l'an 1512'. Il fut avocat au parlement de Paris; mais, ainsi que le remarque Loisel dans son Dialogue des avocats, il s'appliqua plus à la poésie françoise qu'à la plaidoierie. Sébilet étoit très versé dans les langues anciennes, et il avoit appris dans ses voyages la plupart de celles qui se parlent en Europe.

De retour en France, il eut beaucoup à souffrir des fureurs de la ligue. Il fut enfermé à la conciergerie du Palais, avec Pierre de l'Étoille, grand audiencier en la chancellerie de Paris, son ami intime, qui a dit en parlant de lui, dans ses Mémoires pour servir à l'histoire de France (tom. 11, p. 6), que c'étoit un homme de bien et docte. C'est à ce sujet que le même Pierre de l'Étoille appeloit Sébilet son compagnon de fortune. On ne leur accorda la liberté qu'en 1589; mais Sébilet n'en jouit pas long-temps: il mourut au mois de novembre de la même année, âgé de soixante-dixsept ans.

L'Art poétique de Thomas Sébilet, ouvrage fort estimé de son temps, se compose de deux Livres, et est écrit en prose. Dans le premier, l'auteur expose les éléments de la poésie françoise; il examine ensuite et successivement les qualités du style, la forme et la

1 Lacroix du Maine le fait Parisien, et Duverdier Châlonnois.

mesure des vers françois, suivant la différence des sujets. Le second Livre est consacré à l'examen de chaque espèce de poésie en particulier. En parcourant l'ouvrage de Sébilet, il est facile de s'apercevoir que ce poète avoit lu avec fruit l'Art poétique d'Horace, et qu'il connoissoit bien les poètes françois qui l'avoient précédé. Ses définitions, toujours succinctes, sont quelquefois remarquables par leur justesse, et ses préceptes sont exposés avec clarté. La partie la plus curieuse de son ouvrage est celle où il passe en revue nos premiers poètes. Il existe plusieurs éditions de l'Art poétique de Sébilet, la première est de 1548 (Paris, in-12). A la suite de deux autres qui furent faites, l'une en 1555 (Paris, in-18), et l'autre en 1576 (Lyon, même format), se trouvent le Quintil Horatian, sur la défense et illustration de la langue françoise, par Charles Fontaine, et quelques pièces diverses, parmi lesquelles nous avons choisi le conte que nous donnons ici.

Sébilet a encore laissé une traduction de l'Iphigénie d'Euripide, imprimée à Paris, en 1549, par Gilles Corrozet. Cette traduction, d'ailleurs fort médiocre, sous le rapport de la poésie, est tout-à-fait curieuse par la singularité du travail; on y trouve des vers de toutes sortes de mesures; c'étoit le but du poète, qui avoit voulu, nous dit-il, donner un modèle en ce genre.

A L'ENVIEUX.

VERS PLACÉS EN tête de l'art poétique.

QU'AY-JE espéré de ce tant peu d'ouvrage,
Que ma plume a labouré cy-dedans?
Honneur? nenny: je suis trop jeune d'ans
Pour la gaigner, de sçavoir davantage.
Profit? non plus de tout tel labourage,
Aujourd'huy sont les fruits peu évidens.
T'enseigner? moins je sçay tes yeux ardens,
Ne s'esclaircir de tant umbreux nuage.

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Quoy done? te plaire, entreprenant monstrer
Quel vouloir j'ay de voir garder les Muses
Entre François leur naïve douceur.
Et le monstrant, si j'ay peu rencontrer
Chemin pour y venir, que tu en uses :
Sinon que tu en monstres un plus seur.

AMOUR EST MAL ASSEURÉ SANS ARGENT.

PRÈS d'un orfevre, un jeune gentilhomme
Entretenoit une bien belle femme,
D'un dyamant la galante le somme.
Le bon seigneur luy respondit : Madame,
Pour le présent, argent n'ay, sur mon âme :
Mais vous l'aurez, et vous fiez en moy,

Incontinent le recule de foy,

Et luy monstra visage d'ennemye :
Ah! dis-je lors, quel exemple je voy,
Qui n'a d'argent, il ne peult faire amye.

CONTE NOUVEAU.

UN bon esprit, quand le beau jour l'esveille,
Soubdain cognoist que ce n'est de merveille,
Si en ce pauvre et miserable monde,
Prou de malheur et peu de bien abonde,
Par ce qu'il veoit, tout bien et quis compté,
Plus y avoir de mal que de bonté.
Je dis cecy me souvenant d'un compte,
Lequel fut tel que certes j'ay grand honte,
Toutes les fois que j'y tourne à penser,
Et si n'estoit que j'ay peur d'offenser
La netteté de noz chastes aureilles,
Je le ferois, et vous orriez merveilles
Touchant le fait de certains malefices;
Mais s'il est vray que les propos de vices
Sont moins nuysantz aux espritz vertueux,
Luc de vertu, les actes fructueux,
A gens pervers ne sont bons et vallables,
Faire le puis; car voz meurs tart louables,
Ja n'en seront pires, comme je pense,
Or dit le compte, afin que je commence
Vous racompter ces estranges nouvelles,
Qu'a Tours estoient quelques sœurs assez belles,

III.

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