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De beau maintien et bonne contenance,
De quel estat, je n'ay point souvenance,
S'il me fut dit qu'en religion feussent,
Ou qu'autrement de nonne le nom eussent:
Mais tant y a, que de leur compaignie
Autant estoient, que nonne signifie,
Il suffiroit pour fournir un couvent.
Ces belles sœurs comme il advient souvent,
Que l'on n'a pas tousjours avecques soy
Gens de sa sorte, et de pareille foy,
Ne sçay comment s'estoient accompagnées
De quelque rousse, ayant maintes menées,
Mainte trafique, et plusieurs petitz tours,
Aultresfois faictz en la ville de Tours.
A dire vray, à peine eust on sceu faire
Une alliance au monde plus contraire;
Car celle la estoit d'aultre stature,
D'autre façon, de toute aultre nature
Que ses neuf sœurs, lesquelles gentement
Se contenoient, et fort honnestement
Taschoient garder fermeté immuable :
Mais celle rousse estoit plus variable,
Plus inconstante, et trop moins arrestée
Que n'est la plume au vent mise et jectée,
Ou l'eaue qui court par ces prez verdoyans.
Qu'en advient il? un tas de gens n'ayans
Aultre soucy que d'avoir bon loysir
De satisfaire à leur mondain plaisir,
Voyans ces sœurs et leur compaigne telles,
Tindrent propos de se ruer sur elles,

Et en commun les trousser sur les rancs,
Sans adviser qu'il estoient tous parens,
Freres germains la plus part et cousins,
Ny sans avoir honte de leurs voisins.

Or pour jouyr d'elles plus aisement,
Ilz feirent tant que tout premierement
Furent par eulx celle là que j'ay dit.
Laquelle avoit tout moyen et credit
Envers les sœurs, et si estoit propice,
Pour faire aux gens tout plaisir et service,
En tel endroit, selon leur vueil et guyse.
Se voyant donc incitée et requise
Par telles gens, l'habille maquerelle
Delibera de porter la querelle

De leur legiere et folle volunté,
Pour de ses sœurs vaincre la fermeté.
Tant tournoya, tant vint et tant alla,
Que d'une ou deux la constance esbranla.
Et à la fin si bien la convertit,

Que tout à plat sur le champ l'abbatit,
Dont aux gallantz moult joyeux et contens,
Qui ne cherchoient pas meilleur passetemps,
Creut le desir avecques l'esperance,
D'avoir la reste au pourchas et instance
De celle là qu'ilz feirent prou trotter,
Sans luy donner le loysir d'arrester;
Mais bien souvent si l'un d'eulx se mettoit,
La pouvre sotte aux piedz foullée estoit
En recompense, et pour mieulx luy apprendre
A se haster, à celle fin de prendre,

Et attraper les sœurs plus cautement,

Ce qu'elle feit, de sorte que vrayement
leur constance

Les
pouvres sœurs avecques
Ne sceurent tant faire de resistance

A l'importun et ardent appetit

De ces gens là, que petit à petit,

Soubz tant d'effors, soubz tant d'assaulx divers,
Toutes à la fin ne cheussent à l'envers,
A quoy aussi celles qui se laissoient
Ainsi gaigner, aydoient et s'efforcoient,
Pour le plaisir de ses bons gaudisseurs,
A ruyner quelqu'une de leurs sœurs,
Tant bien apprins avoyent l'art et l'addresse
De celle là, qui en estoit maistresse.
Quant aux gallantz, tant creut leur ardeur grande,
Et pour un temps fut si chaulde et friande,
Qu'à chascun coup qu'ilz se prenoient à elles,
Contens n'estoient d'une ou deux des plus belles:
Mais bien taschoient ces hommes peu rassis,
A leur coucher en avoir cinq ou six.

Conclusion quand tout fut despendu,
Et le beau temps trop follement perdu,
En les laissant toutes desamparées,

Fort mal en ordre, en maintz lieux esgarées,
Du pied au cul gentement leur donnerent,
Puis à la fin vous les habandonnerent,
A tous venans, chose presque incroyable,
Et neantmoins certaine et veritable,
Dont on devroit faire inquisition,
Et quant et quant juste punition.

NICOLAS DENISOT.

NICOLAS DENISOT, descendant de l'ancienne famille des Denisot, dans le Perche, naquit au Mans en 1515, de Jean Denisot, bailli d'Assé, qui étoit allé s'établir dans cette ville. Il étoit poète, peintre, graveur et dessinateur. Sa réputation le fit appeler en Angleterre, par l'une des premières maisons de ce royaume; il y enseigna les belles-lettres aux trois sœurs, Anne, Marguerite et Jeanne de Seymours, qui dans la suite se rendirent également célèbres par leurs connoissances. Nicolas Denisot mourut à Paris en 1559, âgé de quarante-quatre ans. Il avoit pris le titre de comte d'Alsinois. Sur quoi François rer dit en plaisantant sur cet anagramme, que le comté d'Alsinois n'étoit pas d'un grand revenu, puisqu'il ne produisoit que six noix.

Les productions de Nicolas Denisot se composent de treize cantiques du premier advenement de Jésus-Christ, imprimés à Paris, en 1553, in-8°; d'une traduction, en cent quatrains françois, des cent Distiques latins que les trois sœurs Anne, Marguerite et Jeanne de Seymours avoient faits sur le trépas de l'incomparable Marguerite, royne de Navarre, etc. (Paris, in-8°, 1551, Michel Fezandat); de quelques pièces en vers métriques, à l'imitation de ceux des Grecs et des Latins, et imprimées avec l'Art poétique de Thomas Sébilet, avocat au parlement de Paris; de plusieurs autres cantiques, noëls, etc., etc.

Nicolas Denisot fut fort estimé des poètes de son

temps. Nous rapporterons ici un sonnet où Remi Belleau l'admire tour à tour comme poète et comme peintre.

Ce double trait, dont l'un industrieux

Ravit notre œil; l'aultre doux, notre oreille,
De ta main docte annonce la merveille,

Et de tes vers l'accent laborieux;

Mais ton esprit, sainctement curieux
A desseigner la beauté non pareille
De cette nuict, plus que le jour vermeille,
Sur ton pinceau reste victorieux.

Car tes tableaux mourront, et la mémoire
Des plus saincts doigts emperlera la gloire
De notre temps, à l'antique égalé :

Et ton sujet, plus divin et plus stable
Que n'est l'amour, le créon ou la table,
Rompra les coups du vieil faucheur ailé.

CANTIQUE.

Icy je ne basty pas
D'une main industrieuse,

A la ligne et au compas
Une maison somptueuse.

Icy je ne veil chanter
L'orgueil de quelque édifice,
Ny l'ouvrage retenter

D'un ancien frontispice.

Autre que moy, mieux appris
En cette magnificence,
Chante l'honneur et le prix
Et la superbe excellence

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