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Quelque mortel, j'en serois soucieux.
Devois-je pas doncques craindre les dieux,
Et despriser, pour fuir un tel martire,
En leur criant: Retournez dans vos cieux;
Car la beauté de ceste vous empire.

QUATRAIN.

Si un œuvre parfait doit chacun contenter,
Il ne faut qu'un seul jour voir ma mie et hanter;
Car qui la verroit moins, perdroit un trop grand bien;
Et qui la verroit plus, mourroit pour estre sien.

ÉPITAPHE DE LA FAMEUSE LAURE.

EN petit lieu comprins vous pouvez voir
Ce qui comprend beaucoup par renommée;
Plume, labeur, la langue et le sçavoir,
Furent vaincus de l'amant par l'aimée.
O gentille ame! étant tant estimée,
Qui te pourra louer qu'en se taisant?
Car la parole est toujours réprimée,
Quand le sujet surmonte le disant.

HUITAIN.

DISANT bon soir à une damoiselle,
Lui ai voulu de bon cœur demander
S'elle vouloit rien la nuit commander.
Elle m'a dit que je n'aimasse qu'elle.
Telle douceur je trouve trop cruelle;
Car sa réponse interpréter je veux :
Scachant qu'amour se nourrit de querelle,
Qu'elle a pensé qu'on en peut aimer deux.

HUITAIN.

COEUR à mouvoir plus fort et échauffer
Qu'un dur rocher et qu'une froide glace,
De quoi te sert de mon mal triompher,
Et t'orgueillir de beauté qui tout passe:
Par vrai amour ton amour je pourchasse ;
De quoi ne m'as tant soit peu satisfait :
Grace attendue est une ingrate grace;

Et bien n'est bien, s'il n'est promptement fait.

HUITAIN.

CELLE qui fut de beauté si louable,
Que pour sa garde elle avoit une armée,
A autre plus qu'à vous ne fut semblable,
Ni de Pâris, son ami, mieux aimée,
Que de chacun vous estes estimée :
Mais il y a différence d'un point;
Car à bon droit elle a été blasmée
De trop aimer, et vous de n'aimer point.

QUATRAIN.

DISSIMULEZ Votre consentement,
Sous un effort de foible résistance:
Le oui sera en mon contentement,
Et le nenni sera en mon silence.

DIXAIN.

EST-IL point vrai, ou si je l'ai songé
Qu'il m'est besoin m'esloigner, ou distraire
De votre amour, et en prendre congé?
Las! je le veux, et je ne le puis faire.
Que dis-je, veux? Non, c'est tout le contraire:
Faire le puis, et ne le puis vouloir :

Car vous avez là rangé mon vouloir,
Que plus taschez à liberté me rendre,
Plus empeschez que ne la puisse avoir,
Et commandez ce que voulez défendre.

ORES

CHANSON.

que l'ay sous ma loy,
Plus je règne aymant que roy.
C'est Fortune qui guerdonne
Du sceptre, empire et couronne;
Mais le cœur d'elle est le throne
Où veut s'asseoir mon amour.

Adieu, visages de cour:

Pour cœurs faulx sont les faulx biens;

En elle sont tous les miens.

Ores que l'ay sous ma loy,

Plus je règne aymant que roy.

ÉPITRE A MADEMOISELLE D'HEILLI,'

que

DEPUIS DUCHESSE D'ÉTAMPES.

I

Ayant perdu l'occasion de plaisante escripture, et acquis oubliance de tout contentement, n'est demouré riens vivant en ma mémoire la souvenance de votre heureuse bonne grace, qui en moy a la seulle puissance de tenir vif le reste de mon ingrate fortune; et pourceque l'occasion, le lieu, le temps et commodité me sont rudes par triste prison, vous plaira excuser le fruict qu'a meuri mon esperit en ce pénible lieu, et entendre que, en quelque peine, tourment, garde que puisse estre le corps, la volunté ne cherchera que la doulce occasion de faire chose qui vous puisse donner congnoissance que ce qui est demouré en lui libre et non mort n'est desdyé que à vous faire service; par quoy cest indigne présent de votre honneste veue sera, s'il vous plaist, recueilly, non comme son imperfection mérite, mais comme tribut de ma pensée; laquelle seulle, pour la nécessité de ma liberté, a considéré ne vous povoir faire autre service que vous rendre compte de ma misérable calamité, affin de vous convertir en autant de piteuse souvenance, comme a d'affection de vous servir celui qui va dire :

I

TRISTE penser et prison trop obscure,
L'honneur, le soing, le devoir et la cure,
Que je soustiens des malheureux souldars
Devant mes yeulx desquels j'ay la figure,
Que par raison, et aussi par nature,
Devoient mourir entre picques et dars,
Plustost que veoir fouyr leurs estandars,

1 Mademoiselle d'Heilli, maîtresse de François 1er, mariée en 1536 à Jean de Brosse, fils de René, l'un des dix-neuf complices du connétable de Bourbon, et condamné à mort par contumace. Le roi lui rendit ses biens qui avoient été confisqués, le fit duc d'Étampes, chevalier de l'Ordre, et gouverneur de Bretagne.

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