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ici le lieu de discuter la question de savoir si les maladies comateuses, dysaesthétiques, paralytiques, considérées sous un point de vue plus philosophique que celui qui n'envisage que leurs apparences extérieures, obligent le pathologiste à les distinguer en plusieurs classes essentiellement différentes, ou l'autorisent à n'y voir que des variétés plus ou moins distinctes d'une affection identique dans sa nature; nous n'examinerons même pas, pour le moment, si c'est à l'anatomie pathologique qu'il faut demander la solution de ce problême; quelque opinion qu'on ait à cet égard, on jugera sans doute que l'esprit et la méthode de la science dont nous étudions les progrès permettent ou prescrivent peut-être de classer à part les recherches sur l'apoplexie, et que l'importance de ces recherches, au moins pour le diagnostic, en réclame une exposition particulière.

Si l'on veut apprécier avec impartialité les progrès de l'anatomie pathologique dans la connaissance de l'hémorrhagie cérébrale depuis trente années, et déterminer avec précision l'influence de ces progrès sur ceux de la médecine pratique, il est juste de ne comparer les notions acquises sur cette hémorrhagie qu'avec celles qu'on s'était faites avant cette époque sur l'apoplexie sanguine. Long-temps avant le milieu du dernier siècle, Fréd. Hoffmann, éclairé par les observations de Wepfer et les siennes propres, considérait cette espèce d'apoplexie comme une affection distincte de toute autre, en traitait dans une section à part, et lui assignait, sous le titre d'Hæmorrhagia cerebri, les caractères suivans: Apoplexia quæ ab

de l'histoire. Et à ce propos, nous placerons ici une remarque qu'on aurait bien souvent occasion de répéter: c'est que, pour juger sans illusion du progrès des connaissances, il faut d'abord faire la part de ce qui n'est qu'un changement d'acception dans la valeur des

mots.

effusione cruoris in cerebro ex ruptis ibì, citrà violentiam externam, vasculis, oritur, et subitò fonctiones animales et vitales quoque pessumdat et extinguit. (Opp. omn., t. II, p. 240.)

Morgagni mit bien plus de précision qu'on n'avait fait avant lui dans la description de l'hémorrhagie cérébrale. Il détermina, avec une exactitude que les observations ultérieures ont confirmée, le siége le plus ordinaire de la maladie. Quoique moins avancé sur ce point que Brunner, Zeller et Camerarius, il donna une description exacte des cavernes qu'on trouve chez les sujets frappés autrefois d'apoplexie, et dont le nombre égale celui des attaques qu'ils en ont éprouvées.

La fin du siècle n'ajouta rien d'important aux travaux de l'illustre anatomiste de Padoue. Leurs résultats passèrent dans les traités généraux de médecine; dans ceux de Borsieri et de J. P. Frank, par exemple; mais beaucoup moins, il faut le dire, dans ceux qui parurent en France.

Jean Hunter pourrait bien être le premier qui ait observé le ramollissement de la substance cérébrale dans l'endroit où s'opère l'hémorrhagie. Baillie, qui rapporte cette remarque (1), ne dit point à quelle époque son maître l'avait faite. Est-ce ce dernier, ou le disciple luimême, à qui l'on dut de savoir que, chez la plupart des apoplectiques, les vaisseaux du cerveau sont rendus friables par le dépôt entre leurs tuniques d'une matière terreuse ou osseuse (2)? Il pensait que, sans cette altération, les hémorrhagies cérébrales seraient bien moins fréquentes.

Nous passerons sous silence plusieurs ouvrages publiés depuis le commencement du siècle avec la prétention

(1) Baillie. Anat. pathol. 1803, p. 433. (2) Baillie. Anat. pathol. p. 433.

d'enseigner du nouveau, mais ne contenant rien qui ne se trouve avec autant ou plus d'exactitude et de précision dans des productions antérieures. Qu'on ne prenne point pour un oubli de notre part de ne pas trouver ici même une simple indication de plusieurs ouvrages sur l'apoplexie dont nous ne contestons point l'importance; mais qui n'appartiennent qu'à l'histoire de la pathologie ou de la thérapeutique, et nullement à celle des progrès de l'anatomie pathologique. Dans l'ouvrage de M. Prost (1), publié en 1804, on trouve des remarques intéressantes sur la fréquente liaison des irritations gastro-intestinales avec l'apoplexie, et des observations, qui pouvaient encore passer pour neuves à cette époque, sur le ramollissement et les cavernes apoplectiques (2).

Ces cavernes, et même les cicatrices qui succèdent à leur oblitération, étaient bien connues de Marandel. Ce médecin, enlevé trop tôt à la science qu'il promettait d'enrichir, aurait sans doute décrit avec détail ces lésions du cerveau, s'il avait eu à traiter ce sujet d'une manière spéciale; mais ce n'est qu'indirectement qu'il a eu occasion d'en parler, et voici ce qu'on lit dans sa dissertation inaugurale (3): « ..... L'épanchement est peu-à-peu resserré sur lui-même par la concrétion du liquide qui le forme; les parois du foyer, qu'on voyait d'abord rouges,

(1) Médecine éclairée par l'observation et l'ouverture des corps. Paris, 1804, in-8.9, 2 vol.

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(2) « On trouvait, à la partie postérieure de l'hémisphère droit, une cavité de la grandeur d'une petite noix, remplie de sérosité rousse laquelle était logée dans la substance médullaire et dans la corticale, desquelles une espèce de kyste très-mince la séparait; il semblait se continuer avec la pie-mère à la partie postérieure de la scissure de Sylvius le cerveau avait dans cet endroit la même fermeté que dans le reste de son étendue; seulement, dans tout le contour de cette cavité, sa couleur était jaunâtre. »

(3) Marandel. Essai sur les irritations. Paris, 1807, in-4.o p. 67.

présentent une couleur jaune très-marquée; elles se rapprochent à mesure que le liquide diminue, au point de ne présenter, dans un temps plus ou moins long, que des parois de cavité qui se réunissent, et on ne trouve dans ce lieu qu'une tache jaune. J'ai trouvé quelquefois dans ces cavités un liquide légèrement jaune, sans saveur ni odeur, et toujours en très-petite quantité. »

Si l'on rapproche de ce qui précède quelques vues pathologiques consignées dans la thèse que nous avons citée ailleurs de P. A. Dan de la Vauterie (1), on aura un résumé à-peu-près complet de l'état de la science en 1807.

J'ignore pourquoi on n'a point cité au nombre de ceux qui ont contribué à porter le diagnostic et l'anatomie pathologique de l'hémorrhagie cérébrale au point où on les voit aujourd'hui, l'auteur d'une excellente Dissertation sur l'apoplexie sanguine, soutenue à Paris le 30 mai 1811. M. Jean Rivière a su faire entrer dans un petit nombre de pages beaucoup plus de remarques neuves qu'on n'en trouve dans de gros ouvrages publiés à la même époque, et assez de faits pour servir de base aux opinions qu'il voulait établir. C'est de ces observations qu'il fait sortir, par une rigoureuse analyse, les caractères extérieurs, constans, ou variables, auxquels on reconnaît la maladie, et l'énoncé des lésions intérieures qui la constituent. En voici le résumé :

A. Invasion brusque, instantanée; perte plus ou moins complète de connaissance qui peut aller jusqu'à la stupeur la plus profonde; résolution d'un des côtés du corps, de la langue au moins, ou de tous les membres.

Pouls fréquent ou rare, petit ou grand, fort ou faible, dur ou mou.

(1) Dissertation sur l'apoplexie, considérée spécialement comme l'effet d'une phlegmasie de la substance cérébrale. Paris, 1807, in-4

Respiration stertoreuse, ou seulement peu gênée, ou naturelle.

Visage rouge, ou pále, verdâtre, où violet, jaune, livide; pupilles immobiles, contractées ou dilatées, le plus souvent mobilcs.

B. Les symptômes que l'on observe dans l'apoplexie reconnaissent pour cause un épanchement de sang à l'extérieur du cerveau ou dans sa propre substance, produit par un déchirement des vaisseaux avec altération plus ou moins profonde de la pulpe cérébrale.

M. Rivière regardait dans tous les cas l'épanchement de sérosité (lorsqu'il existait avec l'apoplexie) comme consécutif, et très-analogue à ceux que l'on voit dans la poitrine ou dans l'abdomen, à la suite d'une lésion organique de quelques-uns des viscères de ces cavités.

Tous ces résultats sont plus précis, plus fixes que ceux qu'on avait donnés jusqu'alors.

Si quelqu'un peut se flatter d'y avoir encore ajouté, c'est assurément M. Rochoux. Dans sa thèse, d'abord, soutenue en 1812, puis dans ses Recherches sur l'apoplexie, si connues et si dignes de l'être, il marqua, dès 1813, les limites qu'on n'a guère dépassées depuis. C'est là qu'on trouve, pour la première fois, l'histoire complète du ramollissement du cerveau, considéré comme condi- `` tion immédiate, nécessaire, de l'hémorrhagie. Nous avons indiqué ailleurs (1) la description que l'auteur donne de ce genre de lésion. Il réussit, et ce devait être, mieux que Dan de la Vauterie et Rivière, à établir comme un principe qui ne souffre que de rares exceptions, que des signes constans, et facilement reconnaissables, correspondent toujours aux lésions qu'il avait si bien décrites, et que l'hémorrhagie cérébrale ne doit être confondue,

(1) Voyez l'article précédent.

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