milieu de la corruption, a conservé la pure doctrine. Et ce n'est pas offenser les princes ni les Etats, que de leur montrer les règles que Dieu a données à la société et au commerce, n'y ayant rien de plus digne d'être réglé par ses lois. Que si les lois romaines ont autorisé l'usure, même dans les temps du christianisme, nous avons déjà remarqué que c'est une suite de l'erreur qui les avoit précédées. Saint Thomas nous apprend que les lois civiles ne sont pas toujours obligées de réprimer tous les crimes. Grotius même nous vient de dire que les lois dissimulent souvent les abus qui ne peuvent pas tous souffrir des remèdes; et Dieu permet des erreurs dans toutes les lois, même dans les lois romaines, les plus saintes de toutes celles qui ont été faites par les hommes, afin de faire voir qu'il n'y a que les lois qu'il donne, et que son Eglise conserve, qui soient absolument infaillibles. Et toutefois il faut louer Dieu, de ce que, dans les temps du christianisme, les lois civiles se sont de plus en plus épurées. Dès le temps de l'empereur Léon le Philosophe, les jurisconsultes connurent que la religion défendant les usures, il falloit que les lois s'y conformassent; et ce prince en fit une nouvelle, non pour les modérer comme ses prédécesseurs, mais pour les interdire absolument. Elle porte, qu'encore que ses ancêtres eussent autorisé le paiement des usures, peut-être à cause de la dureté et de la cruauté des créan eiers, il juge cet abus insupportable dans la vie des chrétiens, comme réprouvé par la loi de Dieu. C'est pourquoi il défend l'usure pour quelque cause que ce soit, de peur, dit-il, qu'en suivant les lois, nous ne soyons contraires à la loi de Dieu; et il ordonne que quelque peu qu'on prenne, il soit imputé au principal. Tous les rois chrétiens ont imité cet exemple, et entr'autres les rois de France. L'ordonnance défend toute usure avec une sévérité qui fait bien voir qu'elle a cru suivre en cela la loi de Dieu. Il faut espérer que les parlemens, s'il est vrai qu'ils aient, comme des auteurs le prétendent, des maximes contraires, prendront à la fin l'esprit commun de la loi; et cela arrivera infailliblement, pourvu qu'on n'établisse point les jugemens sur des coutumes que l'intérêt seul a établies, et qu'on entre, comme il convient à d'humbles enfans de l'Eglise, dans l'esprit de la tradition, seule interprète de la loi de Dieu. SEPTIEME PROPOSITION. La loi de Dieu défendant l'usure, défend en méme temps tout ce qui y est équivalent. Je m'explique. Quelques-uns de ceux qui avouent que l'usure est défendue par la loi de Dieu, selon la notion que nous venons de voir, cherchent des expédiens pour faire trouver à ceux qui prêtent, des profits semblables. Je dis que cela est mauvais; et voici comment il faut procéder pour connoître la vérité dans cette matière. Il faut, avant toutes choses, bien entendre ce que Dieu défend, et comment sa sainte loi a été entendue par les saints Pères. Car c'est la règle de la foi. Cela étant bien entendu, il faut dire que tout ce qui, dans le fond, fera tout l'effet de la chose que Dieu défend, sera également défendu, de quelque nom qu'on le nomme; parce que le dessein de Dieu n'est pas de défendre ou des mots, ou des tours d'esprit et de vaines subtilités, mais le fond des choses. Je veux donc dire, en un mot, que quand, de l'exposition que quelqu'un fera, il s'ensuivra que la loi de Dieu ne sera plus qu'une illusion et un rien, l'exposition sera mauvaise. Tout le monde conviendra de ce principe; et cela étant une fois bien entendu, pour juger les cas de cette matière, il faut soigneusement examiner les contrats ou les conventions tacites ou expresses qui ont tous les effets de l'usure, et ne les pas confondre avec celles qui, en ayant quelque apparence, en sont au fond autant éloignées que le ciel l'est de la terre, et par l'intention et par les effets. Car c'est de là que vient toute l'erreur, les uns défendant ce qui est permis, et les autres, déçus par des apparences, étendant trop loin les permissions. de Par exemple, de ce que les rentes sont permises, quelques-uns concluent que les intérêts par simples obligations sont permis. Ce qui trompe, c'est que part et d'autre on tire de son argent un certain profit. Mais l'intention et les effets sont infiniment différens ; car l'intention de celui qui prête par obligation, est de tirer du profit d'un argent dont il demeure toujours le maître, et l'effet répond à son intention; au lieu que dans la constitution des rentes, il y aura un vrai achat, et par conséquent une parfaite aliénation du principal, qui ne peut être redemandé que dans des cas semblables à ceux qui feroient résoudre un contrat de vente. Or, de là suit une différence entière entre ces contrats; puisque l'un est un vrai achat, et que l'autre est un simple prêt, dont par conséquent les profits sont l'usure proprement dite, où la notion que nous en donnent la loi de Dieu et la tradition ne subsiste plus. : On dira mais comme on tire une rente perpétuelle d'un argent qu'on s'oblige à ne répéter jamais, ne pourra-t-on pas tirer durant dix ans une rente d'un argent qu'on s'obligera de ne répéter que dans dix ans? Non sans doute, et la différence de ces deux contrats est manifeste. Car le premier est un vrai achat, où le prix de la chose achetée, c'est-à-dire, de la rente, passe incommutablement en la puissance du vendeur; ́au lieu que l'autre contrat est directement contraire à l'intention de l'achat; puisqu'après avoir joui de la marchandise, on en retire encore le prix. Il ne faut donc pas regarder la rente comme un profit de mon argent, mais comme l'effet d'un achat parfait. Que si je veux tout ensemble pouvoir retirer et la rente et le prix auquel je l'ai achetée, il est clair que je ne fais pas un achat, et que mon contrat a toutes les propriétés d'un vrai prêt; et ce que j'appelle rente, a toutes les propriétés d'une vraie usure, telle que la loi de Dieu la définit et la défend, ou cette défense n'est plus qu'un nom inutile. Quoi donc, dira-t-on, on ne pourra pas acheter une rente pour un temps? On le peut sans doute; mais en l'achetant il ne faut plus espérer de ravoir le prix de l'achat; autrement on confond tout, et on appelle achat ce qui en effet ne diffère en rien du prêt. Voici encore un autre cas, qui, pour être mal entendu, donne lieu à quelques-uns de soutenir l'usure. J'ai une somme d'argent que je crois employer à me rédimer d'une servitude ou d'une charge qui m'apporte un grand dommage: ou bien je suis un marchand dont l'argent, continuellement dans un emploi actuel, ne cesse de me profiter. Cependant vous venez à moi, et vous m'empruntez cette somme. Il est clair que je puis en conscience exiger de vous un parfait dédommagement de la perte actuelle que je fais, et que je puis le faire sur un pied certain, puisque je sais ce que je perds; et que moi marchand qui connois ce que mon argent me vaut, pour ne vous point faire de tort, je puis fixer mon profit sur le moindre pied, et le reprendre sur vous, les frais et les risques déduits. Ce dédommagement est de droit naturel, et n'appartient nullement au cas de l'usure; car il m'est dû par un autre genre d'obligation que celui qui provient du prêt. L'obligation du prêt est totalement épuisée, quand je rétablis à mon créancier sa somme principale; mais le dommage effectif qu'il |