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Quelle distance entre cette dimension et celles que l'observation a montrées dans les squales scies les plus développées! On n'en a guère vu au delà de cinq mètres, ou de quinze pieds de longueur; mais comme tous les squales ont des muscles très-forts, et que d'ailleurs une scie de quinze pieds a une arme longue de près de deux mètres ( près de six pieds), nous ne devons pas être surpris de voir les grands individus de l'espèce que nous examinons attaquer sans crainte et combattre avec avantage les habitans de la mer les plus dangereux par leur puissance. La scie ose même se mesurer avec la baleine mysticète, ou baleine franche, ou grande baleine; et, ce qui prouve quel pouvoir lui donne sa longue et dure épée, son audace va jusqu'à une sorte de haine implacable. Tous les pêcheurs qui fréquentent les mers du nord assurent que toutes les fois que ce squale rencontre une baleine, il lui livre un combat opiniâtre. La baleine tâche en vain de frapper son ennemi de sa queue, dont un seul coup suffiroit pour le mettre à mort le squale, réunissant l'agilité à la force, bondit, s'élance au dessus des eaux, échappe au coup, et retombant sur le cétacé, lui enfonce dans le

dos sa lame dentelée. La baleine, irritée de sa blessure, redouble ses efforts; mais souvent les dents de la lame du squale pénétrant très-avant dans son corps, elle perd la vie avec son sang, avant d'avoir pu parvenir à frapper mortellement un ennemi qui se dérobe trop rapidement à sa redoutable queue.

Martens a été témoin d'un combat de cette nature derrière la Hitlande, entre une autre espèce de baleine nommée nord caper, et une grande scie. Il n'osa pas s'approcher du champ de bataille; mais il les voyoit de loin s'agiter, s'élancer, s'éviter, se poursuivre, et se heurter avec tant de force que l'eau jaillissoit autour d'eux, et retomboit en forme de pluie. Le mauvais tems l'empêcha de savoir de quel côté demeura la victoire. Les matelots qui étoient avec ce voyageur lui dirent qu'ils avoient souvent sous les yeux de ces spectacles imposans; qu'ils se tenoient à l'écart jusqu'au moment où la baleine étoit vaincue par la scie, qui se contentoit de lui dévorer la langue, et qui abandonnoit en quelque sorte aux marins le reste du cadavre de l'immense cétacé.

Mais ce n'est pas seulement dans l'Océan

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septentrional que la scie donne, pour ainsi dire, la chasse aux baleines; elle habite en effet dans les deux hémisphères, et on l'y trouve dans presque toutes les mers. On la rencontre particulièrement auprès des côtes d'Afrique, où la forme, la grandeur et la force de ses armes ont frappé l'imagination de plusieurs nations nègres qui l'ont, pour ainsi dire, divinisée, et conservent les plus petits fragmens de son museau dentelé comme un fétiche précieux (1).

(1) La scie se plaît également dans les climats chauds et sous les zones glaciales; elle parcourt les mers du Spitzberg, comme celles d'Afrique', des Indes orientales et de l'Amérique ; par-tout elle livre les mêmes combats aux baleines qu'elle rencontre.

« La meilleure défense de la baleine, dit don Ulloa, est la queue; comme elle a une grandeur considérable, elle devient son arme la plus sûre. Le combat que la baleine soutient contre ces ennemis est des plus curieux, vu les grands mouvemens qu'elle est obligée de faire avec sa tête et sa queue: tantôt elle sort de l'eau sa tête, qui paroît s'élever comme un promontoire; tantôt elle sort sa queue, qui semble être une voile de vaisseau, sur laquelle le soleil se réfléchit comme sur la glace d'un miroir; bientôt elle la laisse replonger avec fureur sur son ennemi, bat l'onde avec violence, et la fait élever en gros bouillons. La baleine est alors tout en furie, elle le mani

Quelquefois ce squale, jeté avec violence par la tempête contre la carène d'un vaisseau, ou précipité par sa rage contre le corps d'une baleine, y enfonce sa scie qui se brise; et une portion de cette grande lame dentelée reste attachée au doublage du bâtiment, ou au corps du cétacé, pendant que l'animal s'éloigne avec son museau tronqué et son arme raccourcie. L'on conserve, dans les galeries du museum d'histoire naturelle, un fragment considérable d'une très-grande lame de squale scie, qui y a été envoyé dans le tems par M. de Capellis, capitaine de vaisseau, et qui a été trouvé implanté dans le côté d'une baleine.

feste, tant par la manière dont elle flotte et s'agite, que par un mugissement rauque qu'elle fait entendre. jusqu'à une lieue de la plage ». (Mémoires philosophiques, historiques, physiques sur l'Amérique, par don Ulloa, trad. franç. tome I, pag. 114 et 115.)

Le capitaine Stedman a vu, sur les côtes de la Guiane, unc scie d'environ quatorze pieds de longucur, prise de l'extrémité de la tête à celle de la queue. Ce voyageur dit que tout l'ensemble de ce poisson offre un aspect hideux, qu'il se bat contre les plus grosses baleines, et que rarement il quitte son adversaire sans l'avoir vaincu ou tué. (Voyage à Surinam, trad. franç. tome I, pag. 20.)

SONNINI.

L'ANGELO T.

LE SQUALE ANGE (1)(3), PAR LACÉPÈDE.

TRENTE-QUATRIÈME ESPÈCE.

DE tous les squales connus, l'ange est celui qui a le plus de rapports avec les

(1) Auprès de Bordeaux, créac de busc. Dans plusieurs pays d'Italie, squaqua, squaia. A Gênes, pesce angelo. En Angleterre, the monk, or angel-fish.

Chien de mer ange. Daubenton, Encycl. méthod. Bonaterre, planches de l'Encycl. méthod. Squalus squatina. Lin. édit. de Gmelin. Mus. Ad. Fr. 2, p. 40 *.

Squalus pinná ani carens, ore in apice capitis. Artedi, gen. 67, no 6, syn. 95. Gronov. Mus. I, 137, Zooph. 151,- Blach, Hist. des poissons étrangers, etc. pl. cxvi.

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Rhina sive squatina autorum. Klein, Miss. pisc. 3, p. 14, no 1, tab. 2, fig. 5 et 6. Arist. Hist. anim. lib. 2, cap. 15; lib. 5, cap, 5, 10, 11; lib. 9, cap. 37. Squadro. Salvian. Aquat. p. 151.

Squatina. Plin. Hist. mundi, lib. 9, cap. 12, 24, 42, 51.

L'ange. Rondelet, prem. part. liv. 12, chap. 20. —

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