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C'est ainsi que le marquis de Turbilly se montra, tantôt dans le métier des armes, tantôt dans le métier de l'agriculture, un soldat et un général, si bien qu'il imposa son action, ses conseils et pour ainsi dire sa direction à tous ceux qui menaient, dans le Contrôle général, la campagne pour l'amélioration de l'agriculture (1).

Le marquis de Turbilly n'était pas du parti des savants ni du parti des économistes; il n'était pas un savant comme Duhamel et Daubenton, un économiste comme Vincent de Gournay ou Quesnay; c'était un observateur doué d'un génie pénétrant et d'une ardeur sans égale: il était lui-même. Il avait publié, en 1750, un Mémoire sur les défrichements qui fut un coup de maître. Ce mémoire balança le succès de la Culture des terres par Duhamel; il fit, sur le Gouvernement, une impression si vive, que le Contrôle général l'adopta comme une solution victorieuse des difficultés présentes et le répandit par l'intermédiaire des Intendants. Voltaire, dans quelques traits heureux, a réuni les noms de Turbilly, de Trudaine et de Bertin.

Le poète interpelle un petit-maître devenu maître

en culture.

D'un canton désolé l'habitant s'enrichit;

Turbilly dans l'Anjou, t'imite et t'applaudit.
Bertin qui, dans son Roi, voit toujours sa patrie,
Prête un bras secourable à ta noble industrie;
Trudaine sait assez que le cultivateur

Des ressorts de l'État est le premier moteur,

Et qu'on ne doit pas moins, pour le soutien du Trône,
A la faux de Cérès qu'au sabre de Bellone (2).

(1) Journal des savants. Chevreul, 1853, p. 632 et 767. (2) Voltaire. Épître XCIV.

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Quelques passages de la correspondance de Bertin révèlent l'influence directrice de Turbilly et associent ce gentilhomme, ce praticien, aux espérances méditées de l'Administration. Il sera le confident du ministre; il sera son conseil, son inspirateur. Bertin suivra ses avis qu'il daignera même transmettre aux Intendants. Le 11 juin 1760, Turbilly écrit à Bertin :

J'ai l'honneur de vous envoyer trois écrits: le premier contient des observations sur les Sociétés d'agriculture; le second est un mémoire pour en établir une dans la généralité de Tours, si M. le Contrôleur général juge à propos de m'en charger; quant au troisième, c'est un projet ou plutôt une idée de la lettre circulaire que le ministre a l'intention d'écrire aux Intendants pour la formation de ces Sociétés. Elle est si intéressante qu'elle demande une singulière attention. Il faut qu'elles demeurent unies sous l'autorité du Contrôleur général, afin de ne pas séparer les finances de l'agriculture qui en est la source (1).

C'est le 22 août que Bertin adressa une circulaire à tous les Intendants, les invitant, sur l'ordre du roi, de provoquer des réunions de cultivateurs pour étudier les moyens d'améliorer la situation de l'agriculture.

Turbilly le premier annonce, le 7 septembre, que la Société de Tours est formée. La lettre suivante adressée à Bertin en est la preuve

7 septembre 1760. La Société d'Agriculture de la Généralité de Tours est entièrement formée. J'ai l'honneur de vous envoyer le prospectus avec la liste de ceux qui la composent. Quelque degré d'activité que j'aie mis à cette opération intéressante, elle n'a pas été aussi prompte que je l'avais d'abord pensé, à cause de l'éloignement des différentes demeures des personnes qu'il a fallu voir et des divers voyages que j'ai été obligé de faire à ce sujet. Cette Généralité comprenant les provinces de Touraine, d'Anjou et du Maine, chacune d'une étendue à peu près égale et

(1) Archives Nationales, Carton H1. 1506.

qui toutes ensemble se trouvent trop vastes pour ne former qu'un seul bureau, il a paru convenable, comme vous verrez, Monsieur, dans le prospectus, de partager cette société en trois bureaux dont le premier à Tours, le second à Angers et le troisième au Mans. Ces bureaux ne formeront qu'un même corps et ils correspondront entre eux. Celui de Tours sera regardé comme le Bureau général et le centre de la correspondance.

Et dans une autre lettre, il ajoute :

Comme vous désirez, Monsieur, qu'il se forme de semblables établissements dans les autres Généralités du royaume, je me suis également attaché à composer et à arranger notre Société de manière qu'elle puisse leur servir non seulement d'exemple, mais encore de modèle. Cette société naissante doit m'envoyer, à mon retour à Paris, un projet des autres statuts et règlements dont elle aura besoin, afin que je puisse le mettre sous vos yeux pour que vous en décidiez. Tous les citoyens qui la composent vous supplient à présent ainsi que moi à vouloir bien mettre la dernière main à cette institution qui est votre ouvrage et de leur faire avoir des lettres patentes de Sa Majesté. Tout le monde vous fait mille bénédictions et l'on vous regarde, Monsieur, comme le restaurateur de l'agriculture en France. Cette opération ne m'a point empêché de continuer mon travail sur les autres objets relatifs au rétablissement de l'agriculture dans le royaume que vous avez, Monsieur, pris fort à cœur. Toutes les lettres et papiers qui me sont adressés, suivant vos ordres, au Contrôle général m'ayant été envoyés très exactement, j'y ai répondu de même et je vois avec plaisir par cette correspondance que l'on travaille de tous côtés en France, où le goût pour l'agriculture reprend, ainsi que pour les défrichements jusque dans les provinces les plus reculées.

Les réponses des autres Intendants furent diverses, elles arrivèrent au Contrôle général seulement en novembre. Bertin et Trudaine tombèrent d'accord sur la nécessité de comparer les études faites dans les diverses généralités et de préparer des décisions pour le Conseil du roi.

Dans le temps même où les Intendants étaient appelés

à provoquer l'établissement des sociétés d'agriculture, c'est-à-dire dans l'automne de 1760, Turbilly faisait mettre sous les yeux de Trudaine un état « des premiers. objets, dans lesquels on croit qu'il serait à propos que le Comité d'agriculture délibère ». Voici le résumé de cette note, qui met Turbilly au premier rang des conseillers de l'Administration :

Il faudrait, dit-il, que le comité commence par régler les formes qu'il croira devoir observer et que pour éviter de tomber en contradiction avec lui-même il conviendrait qu'il y eût trois registres, dont le premier contiendra les délibérations que M. Parent y fera reporter au net. Après les avoir écrites d'abord dans l'Assemblée, M. Parent fera enregistrer sur le second les lettres et mémoires qu'on recevra et mettre sur le troisième les copies. de toutes les lettres qu'on écrira, ainsi que celles que l'on fera signer par M. le Contrôleur général.

Le premier objet dont ensuite on s'occupera sera l'établisse ment des sociétés d'agriculture dans les diverses Généralités, en finissant d'abord en ce qui concerne celle de Tours qui est toute prête; elle attend, depuis plusieurs mois, le brevet du roi qui lui donnera la permission de s'assembler et de travailler. ́

En envoyant les arrangements de la Société de Tours dans les autres Généralités, cela facilitera une pareille opération partout; on pourra même la regarder comme très avancée, du moment qu'on aura terminé ce premier objet, qui servira de modèle ailleurs, du moins pour les choses générales, étant convenable que de telles Compagnies qui correspondront non seulement ensemble, mais encore avec le Comité qui les dirigera, soient formées dans le même esprit et sur un plan uniforme autant que faire se pourra.

A mesure que toutes ces sociétés, dont plusieurs sont déjà fort avancées, se termineront, on leur prescrira la conduite qu'on désirera qu'elles tiennent d'abord, chacune en particulier, en combinant les besoins de leurs provinces avec les intérêts du corps entier de l'État, elles ne se trouveraient point à portée de faire exactement cette combinaison qui demande des connaissances qu'on n'acquiert que par l'administration dans le grand et la prédilection qu'elles auraient pour leurs territoires les empêcherait d'ailleurs très souvent de prendre le meilleur parti..

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