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de furieuses tempêtes durant trois semaines, et ne rentra à Brest qu'après une absence de plus d'un mois : il trouva la flotte hors d'état de reprendre immédiatement la mer et ajourna à d'autres temps sa grande entreprise d'outre-Manche.* 5

Ainsi furent détruites par la destinée toutes les espérances que Hoche avait conçues d'une expédition préparée avec tant de soin et à si grands frais. Il en conçut la plus amère douleur: mais bientôt il obtint du Directoire un commandement sur le Rhin, à la hauteur de son 10 ambition et de son génie, et fut nommé, en janvier 1797, général en chef de l'armée de Sambre-et-Meuse.

VII.

Hoche général en chef de l'armée de Sambre-et-Meuse. Campagne de 1797 sur le Rhin.

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Sambre-et-Meuse! nom glorieux et cher aux cœurs français ! que de souvenirs il rappelle! combien d'exploits fameux, combien de victoires !! Wattignies, Wissembourg, Fleurus ! la Belgique conquise, le Rhin soumis, le Danube menacé! L'armée de 20 Sambre-et-Meuse, dans laquelle l'armée de la Moselle avait été fondue, avait fait toutes ces grandes choses: elle était composée d'hommes héroïques, endurcis aux fatigues, aguerris à tous les périls, en état de défier l'Europe. L'enthousiasme ne s'était pas éteint dans leurs 25 cœurs, l'amour désintéressé de la liberté enflammait

* La seconde légion des Francs commandée par le colonel Tale, après avoir débarqué en Angleterre, selon les instructions qu'elle avait reçues, fut bientôt enveloppée par des forces supérieures et faite prisonnière de guerre. Le gouvernement anglais, ayant appris 30 de quels indignes éléments elle était composée, pensa qu'il rendrait service à la France en la retenant sur ses pontons; il la fit donc rembarquer et la rendit tout entière à la France d'où elle avait été vomie sur la côte britannique.

encore l'âme des soldats et de leurs chefs, et ces chefs étaient Le Fèvre, Grenier, Richepanse, Ney, Championnet, et beaucoup d'autres, prédestinés comme ceuxci à une glorieuse renommée. Cette armée avait été 5 conduite l'année précédente (1796) par Jourdan au cœur de l'Allemagne jusqu'aux frontières de la Bohême; puis elle avait été refoulée en arrière, avec celle de Moreau, par les habiles manoeuvres de l'archiduc Charles, et, après avoir perdu deux batailles, elle s'était repliée sur 10 le Rhin. Jourdan, à qui ses revers n'enlevaient rien de sa gloire, mais pour qui l'heure du repos était venue, avait demandé sa retraite et avait été remplacé par Beurnonville c'est à celui-ci que Hoche fut donné pour suc

cesseur.

15 L'armée de Sambre-et-Meuse occupait alors, sur le Rhin, les positions avancées de Dusseldorf et de Neuwied et s'appuyait à droite sur l'armée du Rhin commandée par Moreau, tandis que Bonaparte ayant en face Alvinzi, se préparait à détruire, à Rivoli, la dernière 20 armée qu'eût l'Autriche en Italie. Telle était, en janvier 1797, la situation des armées françaises à la veille de tenter un effort décisif pour dicter la paix à l'Autriche.

Le nom de Hoche, du brillant vainqueur de Wissembourg, avait été reçu par l'armée de Sambre-et-Meuse 25 comme le présage de nouvelles victoires, et elle accueillit avec transport son nouveau général. Un grand changement s'était opéré en lui depuis trois années. Il avait encore le même dévouement à la révolution et à la République, et son cœur de flamme brûlait toujours pour 30 la gloire et pour la patrie: mais mûri avant l'âge par l'habitude du commandement, à la fougue impétueuse, à la brillante parole du général de l'ancienne armée de la Moselle avait succédé une dignité froide et un langage laconique: il avait senti le besoin d'imposer davantage 35 le respect à des chefs plus anciens que lui et déjà illustres, devenus ses subordonnés, avec lesquels il se montrait digne, froid, réservé, et ne s'épanchait plus que dans l'intimité.

Une disposition nouvelle et dangereuse, trop habitu 40 elle aux chefs militaires, le mépris de l'autorité civile

et de la bourgeoisie, trouvait momentanément accès dans son cœur; d'autre part, pour établir en France un gouvernement libre et stable, il avait peu de confiance dans l'intervention de la multitude par le suffrage universel:* en perdant beaucoup d'illusions il 5 sentait aussi parfois s'affaiblir son respect pour le régime légal, et les faits qu'il avait alors sous les yeux étaient peu propres à lui inspirer d'autres pensées. Son armée manquait du nécessaire dans un pays conquis où des commissaires nommés par les conseils législatifs se 10 gorgeaient de la substance des populations administrées par eux. Hoche obtint que le Directoire se mît audessus de la loi pour destituer, sans le secours des deux conseils, ces commissaires prévaricateurs. Il prit en main de sa propre autorité, la direction suprême sur 15 tout le territoire occupé par son armée, et il en rendit l'administration directe à ceux qui l'avaient avant la conquête, aux baillis et même aux chapitres diocésains: Hoche institua, pour les surveiller, une commission supérieure composée d'hommes d'une grande probité, 20 qu'il déclara inamovibles et il afferma les impôts dont elle était chargée d'assurer le recouvrement. Les services publics furent dès lors assurés : le soldat fut nourri, habillé, chaussé aux dépens des provinces conquises. Hoche remonta sa cavalerie et son artillerie: il offrit 25 même des vivres à son collègue Moreau dont l'armée en manquait et il mit la sienne en état de remporter de nouvelles victoires.

Renforcée par trente mille hommes de l'armée de l'Océan, elle présentait un effectif magnifique de quatre- 30 vingt mille soldats. Hoche divisa son infanterie en trois corps: il confia la droite à Le Fèvre, la gauche à Championnet, le centre à Grenier. Il rassembla sa cavalerie en grandes masses groupées selon les armes. Il mit à l'aile droite les chasseurs sous Richepanse: 35 Klein commanda les dragons à l'aile gauche; Ney les

"Le peuple qui souffre, écrivait-il au Directoire, est toujours désireux d'un mieux quelconque, et il croit le trouver en changeant sans cesse." Voyez à la fin du volume les notes E et F.

hussards au centre, et d'Hautpoul la grosse cavalerie formant la réserve.

Hoche voulait franchir le fleuve à la fin de mars en combinant ses mouvements avec ceux de l'armée du 5 Rhin commandée à sa droite par Moreau. Cette armée

n'était pas prête encore. Moreau, fidèle à ses habitudes, ne voulait agir que lorsque ses troupes seraient parfaitement approvisionnées et pourvues de tout le matériel de guerre indispensable en campagne. Elles ne l'étaient 10 pas et manquaient aussi de bateaux pour passer le Rhin. Hoche, impatient et brûlant de combattre, envoya à Moreau un équipage de pont, et le fit avertir que, le 17 avril, il opérerait le passage du fleuve, avec ou sans son concours, et qu'il attaquerait les Autrichiens.

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Ceux-ci, sous les ordres des feld-maréchaux Warneck et Kray, avaient accumulé de formidables moyens de défense entre Mayence et Dusseldorf: la tête du pont devant Neuwied était hérissée de batteries et d'obstacles: dans les environs, toutes les maisons étaient crénelées et 20 de distance en distance, des redoutes armées de pièces de gros calibre défendaient la position que Hoche se disposait à enlever.

Le 17 avril, Championnet reçoit l'ordre de sortir de Dusseldorf, de passer la Sieg et de prendre à revers les 25 Autrichiens. Il obéit: Warneck, instruit de ses manœuvres, concentre ses forces à Dierdorf, pour l'écraser; mais il affaiblit ainsi, en face de Hoche, le corps du maréchal de Kray, qui défendait Neuwied. Le gros des forces françaises, dans la nuit du 17 au 18, 30 se massa à Andernach, et avant le jour, l'armée franchit le fleuve à Neuwied et se forme dans la plaine. Sur le point d'être attaqué, Kray parlemente et demande une amnistie. Hoche exige que la célèbre forteresse d'Ehrenbreitstein lui soit rendue, et que l'armée 35 autrichienne se retire derrière la Lahn, conditions qu'une armée vaincue pouvait seule accepter. Kray les rejette, ordonne le feu et couvre la plaine de boulets et d'obus. L'armée française s'ébranle alors; rien ne résiste à son choc: les lignes de l'ennemi sont forcées, 40 sa cavalerie culbutée, ses formidables redoutes sont

tournées et enlevées à la baïonette. Hoche poursuit vivement les Autrichiens jusque dans les montagnes: puis il marche sur Dierdorf pour porter secours à Championnet celui-ci avait passé la Sieg la nuit précédente et enlevé les hauteurs d'Ukerath et d'Altenkirchen. 5 Hoche rencontre sur son chemin, près Dierdof, un corps autrichien de réserve d'environ huit mille hommes: il l'attaque et le met en fuite, tandis que, sur la droite, Le Fèvre enfonçait aussi l'ennemi et le poursuivait l'épée dans les reins jusqu'à Montabauer.

ΙΟ

Telle fut la journée du 18 avril (29 germinal), dans laquelle les Autrichiens, forcés dans leurs retranchements, furent refoulés au delà de la Lahn et sur le Mein, après avoir perdu huit mille hommes, sept drapeaux, vingt-sept bouches à feu et soixante canons. Les 15 Français prirent aussitôt position à Dierdorf, Altenkirchen et Montabauer.

La victoire n'était pour Hoche qu'un stimulant, elle l'excitait à courir à de nouveaux triomphes: vainqueur à Neuwied à la tête d'une armée de 86,000 hommes, il se 20 sentait de force à repousser les Autrichiens jusqu'au Danube. Déjà, refoulant Warneck devant lui, il lui avait livré plusieurs glorieux combats et prenait les dispositions nécessaires pour lui couper la retraite et le séparer de l'Autriche. Son avant-garde, commandée 25 par Le Fèvre, marchait rapidement sur Francfort: elle avait franchi la Nidda et se préparait à attaquer la place et à charger l'ennemi quand un courrier arriva, porteur des préliminaires de paix signés par Bonaparte à Leoben.

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Hoche suspendit sur-le-champ sa marche victorieuse, renonçant à la gloire presque assurée de contraindre une armée autrichienne à déposer les armes : il ne laissa percer que la satisfaction de voir arrêtée l'effusion du sang, et il écrivit au Directoire pour la lui témoigner: 35 "Après avoir fait, dit-il, trente-cinq lieues en quatre jours et triomphé dans trois batailles et cinq combats, l'armée de Sambre-et-Meuse a accueilli la nouvelle de la paix avec la plus vive émotion.”

Hoche adressa en même temps à sa femme ces 40

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