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simples lignes, pure expression d'un cœur affectueux et dans lesquelles, avec le héros, se rencontre l'époux et le père: "La paix est faite, ma bonne amie; ton mari vainqueur se porte bien et t'embrasse: prends bien soin 5 de notre petit enfant."*

Les hostilités étant suspendues entre la France et l'Autriche, Hoche reporta sur l'Irlande son ardente pensée: c'est là qu'il veut atteindre et frapper le gouvernement anglais dans lequel il voit toujours le plus Io redoutable ennemi de la France. D'accord avec l'amiral Truguet, il prend toutes les dispositions nécessaires pour créer un nouvel arnement plus formidable encore que le précédent. Les travaux du port de Brest sont activés, les vieux vaisseaux sont réparés, de nouveaux sont con15 struits. Hoche, quoique à distance, remplit toutes les âmes du feu de la sienne: il envoie au ministre de la marine les épargnes qu'il a pu faire sur les contributions des pays conquis; puis il court en Hollande pour s'entendre avec le gouvernement de la république batave, 20 alors alliée de la république française, et se concerte avec les principaux officiers de terre et de mer pour une descente simultanée des troupes françaises et hollandaises sur les côtes d'Irlande. De retour dans son cantonnement du Rhin, Hoche dirige sur Brest un 25 nombreux détachement de l'armée de Sambre-et-Meuse et se rend enfin à Paris pour hâter les préparatifs de l'expédition nouvelle, et aussi, il faut le dire, pour seconder la conspiration de la majorité du Directoire contre les conseils législatifs et préparer avec eux le 30 coup d'État du 18 fructidor.

Lettre communiquée.

VIII.

Coup d'état de fructidor.— Maladie et mort du général Hoche.

Il était impossible qu'un régime aussi affreux que celui de la Terreur ne provoquât point une violente réaction d'une longue durée, et que les hommes qui 5 l'avaient établi ne fussent bientôt en butte à la haine publique et à l'horreur générale. Cette réaction, commencée le 9 thermidor 1794, continua durant les années suivantes avec une violence toujours croissante, entretenue par une cause dont les historiens n'ont pas tenu 10 suffisamment compte. Le régime de la Terreur était tombé, mais la plupart de ceux qui l'avaient intronisé ne tombèrent pas avec lui: quelques scélérats avaient péri, mais le plus grand nombre des conventionnels qui les avaient soutenus de leurs votes restèrent debout et 15 maîtres de la situation. La Convention survécut une année à Robespierre, et lorsque enfin elle se retira de la scène, elle réussit à vivre de nouveau sous d'autres noms. Elle dit et parvint à faire croire à une foule de républicains ardents et honnêtes, au général Hoche entre autres, 20 que la Révolution était incarnée dans les conventionnels, et elle fit violence à l'opinion publique en déclarant, par les décrets de fructidor an III, que les deux tiers de ses membres feraient partie des nouveaux conseils législatifs dont ils formeraient ainsi la majorité.*

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Après la promulgation de ces décrets et la journée du 13 vendémiaire,+ où la Convention mitrailla la bourgeoisie parisienne qui les avait rejetés et qui protestait contre eux à force ouverte, les deux conseils législatifs, celui des Anciens et celui des Cinq-Cents, formés pour les 30 deux tiers d'anciens conventionnels, cherchèrent une garantie contre la réaction en choisissant les cinq mem

Voyez mon Histoire de France, 12° édition, t. II, p. 323 à 324. +Ibid.

bres du Directoire chargé du pouvoir exécutif parmi les hommes les plus compromis aux yeux des royalistes, parmi les régicides.*

L'Opposition, vaincue en vendémiaire, attendit son 5 succès des élections nouvellest et de la marche légale des événements: elle dominait dans le corps électoral, mieux composé alors qu'il ne l'a été peut-être à aucune époque de notre histoire. Les élections étaient à deux degrés, et les électeurs unissaient à l'autorité du nombre Io l'autorité non moins nécessaire de la capacité présumée. Leurs choix furent, en l'an IV, comme l'année précédente, l'expression fidèle de l'opinion dominante, celle de l'esprit de réaction contre les terroristes et les montagnards, et du parti constitutionnel et 15 modéré, ami des principes de 1789 et qui voyait avec effroi le pouvoir exécutif toujours entre les mains des conventionnels et des révolutionnaires.

Les deux conseils législatifs, après l'élection du second tiers de leurs membres, furent donc composés, 20 en grande majorité, d'hommes qui, sans vouloir une contre-révolution, voulaient cependant, avec la paix, l'abolition des lois révolutionnaires encore en vigueur,§ une liberté réelle et l'épuration successive et légale d'un Directoire héritier de la Convention.||

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Les noms de quelques ardents royalistes étaient sortis, il est vrai, des dernières élections. Ceux-ci, fidèles à la tactique constante des minorités, faisaient cause commune dans l'opposition avec la majorité constitutionnelle et modérée, et cherchaient, par toutes 30 sortes de moyens, à faire du bruit et à grossir leur im

* On nommait ainsi ceux dont les votes avaient envoyé Louis XVI à l'échafaud.

Les conseils se renouvelaient par tiers tous les ans.

De Barante, Histoire du Directoire, t. III.

35 Ces lois fermaient les églises et proscrivaient les prêtres, elles décrétaient la peine de mort et la confiscation contre les émigrés, et beaucoup d'autres mesures draconniennes.

Voyez de Barante, Histoire du Directoire, t. III, et mon Histoire de France, t. II, p. 346-347.

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portance. Ils n'étaient en cela que trop bien secondés par trois directeurs, Barras, Rewbel et La ReveillèreLepeaux, et par leurs amis montagnards qui disaient hautement et publiaient dans leurs journaux, que l'opposition tout entière était monarchique, que le 5 pouvoir allait passer aux royalistes. qu'on allait voir reparaître les Bourbons et les aristocrates, et que c'en était fait de la Révolution.†

Ces bruits menaçants, grossis par la peur, étaient crus, surtout à distance, par beaucoup d'honnêtes gens 10 sincèrement dévoués à la Révolution, enthousiastes pour la liberté qu'ils voyaient presque exclusivement dans l'égalité civile, dans le maintien du régime républicain et dans l'indépendance nationale. Le général Hoche, nous l'avons dit, était de ce nombre. 15 Parvenu rapidement, par son mérite, des derniers échelons jusqu'aux premiers, il avait toujours devant les yeux l'ancien ordre de choses où il risquait de végéter dans un rang obscur, les liens qui eussent arrêté son essor et tous les obstacles qu'il eût rencontrés dans une 20 société constituée comme elle l'était sous le régime détruit.

Semblable en cela à la plupart des hommes qui n'ont dû leur élévation qu'à eux-mêmes, il n'aimait pas, en principe, et tenait pour suspects les privilégiés, quels 25 qu'ils fussent, rois ou gentilhommes: il voyait,

* Ces trois directeurs formaient la majorité au sein du Directoire, où ils eurent pour opposants Carnot et Barthélemy: ce dernier avait été récemment élu par le parti modéré à la place de Letourneur.

Dans son impartiale Histoire du Directoire, M. de Barante a présenté sous son véritable jour cette époque qui a été obscurcie par des historiens appartenant aux partis extrêmes les plus opposés.

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Dans la pratique de la vie, cette disposition fit souvent place 35 en lui à une affection très-réelle pour des hommes appartenant à la classe des anciens privilégiés, surtout pour ceux qui servaient sous ses ordres, et nous avons vu aussi qu'il garda constamment une amitié reconnaissante au général comte Le Veneur dont il avait été l'aide de camp. Il eut même le bonheur, dans les derniers 40 temps de sa vie, de rendre un service considérable à son ancien général et à son ami.

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dans les premiers, des tyrans, dans les seconds leurs soutiens naturels ou leurs leurs complices, dans les priviléges qui les avaient faits ce qu'ils étaient le plus grand obstacle à la liberté, et dans l'abolition de ces priviléges la liberté même. Hoche confondait ainsi l'égalité avec la liberté il ne s'était pas suffisamment rendu compte des véritables conditions d'existence de liberté politique, seule garantie de toutes les autres: il paraissait ignorer que la représentation d'un 10 peuple ne saurait être vraiment nationale qu'autant qu'elle est l'expression libre et vraie de la volonté publique il oubliait enfin que la liberté ne subsiste qu'autant que la loi règne, et que la loi n'est souveraine que si le législateur est inviolable.

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Hoche considérait le sort de la République comme lié à la politique du Directoire qui tendait à révolutionner l'Europe et à maintenir les lois révolutionnaires qui proscrivaient les émigrés et qui armaient le gouvernement de pouvoirs extraordinaires à ses yeux, les vrais patriotes, 20 les seuls défenseurs de la Révolution et de la liberté, étaient les trois directeurs et leurs partisans qui voulaient conserver à tout prix ces lois exceptionelles; tandis que ceux qui désiraient les abroger et y substituer un régime légal et modéré étaient pour lui des royalistes, des adver25 saires de la liberté, des ennemis à écraser.*

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Hoche vint à Paris, il fit part au gouvernement de ses appréhensions touchant les progrès du royalisme au sein des conseils législatifs, et dit qu'il était indispensable d'en triompher au besoin par la force. Il se concerta particulièrement avec Barras et s'offrit avec son armée pour seconder toute entreprise violente des directeurs contre la majorité électorale et la puissance législative. Il dirigea, de concert avec lui, deux de ses divisions commandées par Richepanse, sur Brest, sous prétexte de les faire concourir à une nouvelle expédition d'Irlande: il les fit passer à peu de distance de Paris et les cantonna à La Ferté-Alais, en deça des limites fixées par la constitution aux troupes qui ne seraient point

* Voyez aux pièces justificatives la note F.

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