`une foule de cœurs qui lui étaient jusque-là demeurés dévoués, et décupla le nombre de ses ennemis en Europe et en France. Ce funeste résultat de l'attentat du 21 janvier est selon moi le plus irrécusable argument contre une doctrine perverse qui pose en principe que les actes 5 violents et criminels des terroristes étaient indispensables pour assurer le triomphe de la Révolution française: on n'a jamais fait à celle-ci un tort plus grave, une plus cruelle insulte qu'en supposant que les grandes idées et les nobles sentiments dont s'inspirait à son début IO l'Assemblée constituante aient été, quatre ans plus tard, sans cause sérieuse, complètement éteints dans les âmes, et à ce point oubliés, qu'il fût nécessaire de suppléer en 1793 par la Terreur à l'élan et à l'enthousiasme généreux de 1789. S'il est vrai cependant, s'il est impossible 15 de nier qu'on obtint par elle des ressources que le dévouement n'aurait plus données, il n'est pas moins vrai et il importe de dire que la cause de la Révolution avait été déjà compromise et perdue aux yeux de la masse des honnêtes gens par beaucoup d'excès et de crimes 20 commis en son nom et entre lesquels le supplice de Louis XVI fut le plus odieux. L'indignation qu'il inspira multiplia les dangers autour de la Convention nationale, et elle fut ainsi entraînée dans une voie nouvelle de violences et de fureurs où il lui devint chaque 25 jour plus difficile de s'arrêter.* La coalition précédente *La Révolution prit un caractère nouveau après les massacres de septembre et le supplice du roi, et lorsqu'on songe que le Comité de salut public, créé en 1793, fut conduit de violence en violence et de crime en crime, jusqu'à menacer indistinctement de la hache 30 révolutionnaire tout le monde sans distinction de classe, de sexe et d'âge, jusqu'à trancher les têtes le plus illustres et les plus vénérées, jusqu'à immoler les vieillards, les femmes, les jeunes filles, les plus pauvres comme les plus riches, les amis de la Révolution comme ses ennemis, charriés en masses à l'échafaud, ces beaux vers de Racine, 35 adressés par Burrhus à Néron, reviennent à la mémoire : Il vous faudra courir de crime en crime, -Britannicus, acte IV., scène iii. 40 n'avait rallié contre nous que deux ou trois puissances; mais, après l'attentat du 21 janvier, l'Europe indignée prit les armes d'un accord unanime. La Révolution compta pour ennemis déclarés l'Angleterre, la Hollande, 5 l'Espagne, toute la Confédération germanique, Naples, le Saint-Siége, puis la Russie, et presque en même temps la Vendée se leva menaçante et terrible: il fallut combattre, outre l'ennemi intérieur, trois cent cinquante mille hommes des meilleures troupes de l'Europe qui 10 s'avançaient sur toutes les frontières de la France. Le premier effort de cette coalition formidable tomba sur l'armée des Ardennes dont le général en chef, Dumouriez, était alors en Hollande: elle était, en son absence, commandée ainsi que l'armée du Nord, par le 15 général Miranda, et elle occupait des cantonnements d'hiver sur la rive droite de la Meuse au-dessus de Liége. Les Autrichiens avaient repris l'offensive: ils surprirent et attaquèrent en mars 1793, à Altenhowen, les divisions françaises qui, sous les ordres du général Le Veneur, 20 investissaient Maëstricht, les mirent en déroute et les forcèrent à lever le siége de cette place: c'est alors que Hoche apparaît pour la première fois dans l'histoire. Nommé lieutenant, puis bientôt après capitaine au 58a régiment d'infanterie, il s'était déjà fait remarquer par le 25 général Le Veneur, qui avait su apprécier son activité, son intelligence et son courage, et il fut chargé de protéger dans cette journée désastreuse, l'évacuation des magasins et de l'artillerie sous le feu de l'ennemi. Hoche exécuta cette opération avec audace et bonheur. Grâce 30 à lui, tout le matériel fut sauvé et les Autrichiens ne purent s'emparer d'un seul canon. Le général Le Veneur donna les plus grands éloges au jeune capitaine qui avait si vaillamment et si heureusement exécuté ses ordres: il le prit pour aide de camp et se l'attacha pour la vie. 35 Dumouriez cependant était accouru de Hollande et avait arrêté la retraite de son armée: reprenant à son tour l'offensive, il marcha aux Autrichiens, livra bataille et fut battu, le 18 mars, à Nerwinde. Hoche se distingua 40 entre tous dans cette journée et dans les suivantes, à Vertrich et à Blangen. Couvrant la retraite au passage de la Dyle en avant de Louvain, il lutta sans relâche avec une obstination indomptable. Il eut deux chevaux tués sous lui et continua de combattre, ralliant à pied les troupes et les ramenant sans cesse à l'ennemi. 5 Il rejoignit ensuite son général, qui s'établit sur la frontière, au camp de Maulde. En récompense de sa glorieuse conduite, Hoche fut nommé adjudant général, chef de bataillon, avancement bien mérité, mais que sa modestie refusa pour rester aide de camp du général Le 10 Veneur, qui lui témoignait autant d'estime que d'amitié. Le général comte Le Veneur était du nombre de ces hommes d'élite qui, appartenant à l'aristocratie française, avaient adopté, par conscience et avec conviction, les principes fondamentaux de la Révolution. 15 L'état politique de la France aux approches de 1789 ne lui avait paru en rapport ni avec sa civilisation ni avec ses lumières : l'autorité royale, durant plusieurs siècles, avait renversé ou considérablement affaibli toutes les barrières que lui opposaient les Etats généraux et pro- 20 vinciaux, les parlements et les libertés communales: le pouvoir du monarque, limité en principe, était de fait devenu absolu, et le gouvernement de la France, contenu seulement par les mœurs, était devenu presque semblable à celui des sultans. 25 Après le règne déplorable de Louis XV, durant lequel le pays fut humilié devant l'Europe et ruiné à l'intérieur, le comte Le Veneur crut, avec les hommes les plus éclairés de son temps, que l'heure était venue pour la nation d'intervenir dans la conduite de ses affaires; il 30 reconnaissait d'autre part qu'il y avait de grands abus à réformer; il trouvait peu équitables les obstacles opposés par les institutions traditionnelles et par les priviléges à la libre concurrence, à l'essor des forces individuelles, et son cœur fut d'accord avec son intelligence pour 35 adhérer au grand principe de l'égalité de tous devant la loi. Le privilége de la naissance et la voix de l'intérêt personnel n'étouffaient pas dans son âme le cri de l'équité naturelle et du patriotisme; il applaudit au mouvement généreux qui entraîna les députés d'une partie de la 40 5 noblesse et du clergé à faire, le 4 août 1789, dans l'Assemblée constituante, le sacrifice de leurs priviléges et de leurs droits féodaux, et les crimes commis plus tard au nom de la liberté, les forfaits qui déshonorèrent la cause de la Révolution, tout en pénétrant son âme de la plus vive douleur, n'altérèrent jamais son inébranlable conviction dans l'équité des grands principes proclamés au début de cette crise redoutable. Après la déchéance du roi, au 10 août, après son supplice même 10 en janvier 1793, le comte Le Veneur ne déserta point son poste sur la frontière, en face des Autrichiens, et il crut de son devoir, aussi longtemps que l'épée ne serait pas arrachée de ses mains, de la conserver pour la tourner contre les envahisseurs de son pays. 15 Tels étaient aussi les sentiments de son jeune aide de camp; mais, dans l'âme ardente et toute républicaine de Hoche, ils existaient avec l'effervescence de la jeunesse, avec l'exaltation et l'emportement de la passion. Hoche aimait avec transport une cause au triomphe de laquelle 20 tout son avenir semblait attaché, et une transformation sociale qui lui permettrait d'atteindre aussi haut qu'il se sentait appelé par ses talents. Le comte Le Veneur avait noblement et courageusement fait le sacrifice de ses priviléges sur l'autel du patriotisme et de la liberté, 25 et le même feu qui avait consumé tous ses titres avait allumé toutes les espérances de Hoche et donné des ailes de flamme à son génie. De là, dans ses manières comme dans son langage, une fougue, un emportement de républicanisme dont aurait pu quelquefois s'offenser 30 un chef appartenant à l'ancien ordre de la noblesse, s'il eût été moins bienveillant ou moins sage; mais le comte Le Veneur, à travers toute cette effervescence de jeune homme, avait reconnu le héros : la loyauté de Hoche, sa probité, son désintéressement et son ardent patriotisme 35 avaient captivé son général et touché son cœur: l'ambition lui vint d'aider la nature à former un grand homme pour la patrie, d'achever l'éducation de son jeune aide de camp, de lui donner tout ce qui lui manquait en expérience, en usage du monde et dans l'art difficile de gou40 verner les hommes en se possédant soi-même. C'est ainsi qu'il l'initia aux délicatesses d'une société choisie que Hoche n'avait jamais connue, il polit ses manières, épura son langage, dirigea ses lectures, et fit naître pour lui-même dans le cœur du jeune homme une affection reconnaissante et filiale qui ne s'éteignit qu'avec sa vie. 5 Deux ans plus tard, au milieu de ses premiers succès et lorsque l'aide de camp eut été élevé au-dessus de son ancien général et commanda nos armées, les mêmes relations subsistèrent entre eux: Hoche continua de prêter une oreille docile à celui qu'il nommait son second 10 père, qui blâmait le ton soldatesque de sa correspondance, de ses ordres du jour et de ses rapports, et l'exhortait à donner à son langage ce caractère de dignité simple et naturelle empreint dans son attitude et dans toute sa personne. Ainsi s'établit entre ces deux hommes un 15 commerce touchant qui ne fait pas moins honneur à l'élève qu'au maître : celui-ci avait l'âme trop haute pour donner accès à la jalousie; une déférence tendre et respectueuse ne coûtait rien à l'autre, et la reconnaissance n'était pas un fardeau pour son cœur magna- 20 nime. Ils étaient ensemble au camp de Maulde, lorsqu'on y apprit la défection de Dumouriez (mars 1793). Celui-ci imputait aux jacobins ses derniers revers; il avait en horreur les violences de la Convention et la tyrannie de 25 la Commune de Paris, et parlait hautement de se rendre dans la capitale et d'y rétablir le gouvernement monarchique. La Convention cita Dumouriez à sa barre, et envoya dans son camp quatre députés pour le sommer d'obéir et de se rendre à Paris. Dumouriez refusa; il 30 les livra tous les quatre aux Autrichiens, et prit des dispositions pour marcher sur Paris à la tête de son armée, avec les Impériaux pour auxiliaires. Mais les soldats virent une trahison dans la conduite de leur général; ils l'abandonnèrent, et Dumouriez passa dans le camp des 35 Autrichiens. L'exemple de sa défection jeta le désordre dans son armée et la désorganisa devant l'ennemi. Hoche fut alors choisi par son général pour aller rendre compte à Paris, au gouvernement exécutif, du véritable état des choses, et pour indiquer les remèdes les plus propres à 40 C |