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III.

Traités de la Jaunaye et de la Mabilais.—Reprise des hostilités.

Parmi les chefs qui préparaient activement et sous main un soulèvement nouveau avec la coopération de 5 l'Angleterre, le plus autorisé comme le plus habile était le comte Joseph de Puisaye, qui de Londres, où il s'était rendu depuis six mois, tenait dans ses mains tous les fils de la trame ourdie par lui avec la plus infatigable persévérance en Bretagne, en Anjou, dans le Maine et 10 la basse Normandie. Il avait réussi à organiser dans ces provinces cinquante divisions de mille hommes chacune; toutes recevaient de lui le mot d'ordre et n'attendaient qu'un signal pour recommencer la guerre à outrance.

15 Puisaye se bornait alors à interdire toute prise d'armes, toute manifestation intempestive qui pût faire soupçonner avant l'heure aux républicains un soulèvement prochain, et plus loyal que d'autres chefs, il refusait de prêter son concours aux négociations d'un traité dont il ne se sen20 tirait pas disposé à observer les clauses, et d'une paix illusoire, propre seulement à exciter la défiance du gouvernement anglais ou à rendre son assistance moins efficace. Cormatin était moins scrupuleux : cet homme, à force d'intrigues, était parvenu à acquérir de l'impor25 tance; tous les moyens lui étaient bons pour endormir la vigilance des républicains, et il croyait ne pouvoir mieux les abuser qu'en traitant avec eux. Subordonné d'abord en toute chose à Puisaye, et accrédité par lui auprès des principaux chefs vendéens et chouans, il 30 parvint à s'emparer de l'esprit de Monsieur, comte de Provence, qui tenait, en qualité de régent du royaume, une petite cour à Vérone et correspondait à Paris avec une agence royaliste composée de quelques affidés. Cormatin réussit à fasciner les personnes de l'entourage 35 du prince et les membres le plus influents de l'agence

royaliste; il se fit reconnaître par elle comme major général des armées catholiques et en obtint des pouvoirs très-étendus et indépendants de l'autorité de Puisaye. Il se dit dès lors hautement autorisé à négocier une paix sérieuse avec le gouvernement républicain. Il vit 5 les généraux Canclaux et Hoche, et leur demanda l'autorisation de conférer librement avec les chefs insurgés pour les disposer à se soumettre. Mais Hoche, dont le caractère droit et ouvert présentait tant de contrastes avec celui de Cormatin, ne l'écouta point sans 10 méfiance; il apporta une réserve digne et hautaine dans ses rapports avec lui, et exigea que Cormatin fût accompagné d'un des principaux officiers de l'armée républicaine dans ses relations avec les insurgés; il designa pour cette mission Humbert, jeune général plein 15 d'avenir, qui devait comme lui tout ce qu'il était à la Révolution, et qui joignait un cœur droit à un esprit fin et pénétrant.

Humbert conçut bientôt des soupçons sur la sincérité de Cormatin et les fit partager à Hoche, qui insista 20 pour qu'en traitant avec les insurgés vendéens on obtînt leur désarmement et des gages d'une soumission durable. Mais la Convention et ses nombreux commissaires dans l'Ouest avaient hâte de voir finir cette guerre dévorante : ils ajoutèrent aveuglément confiance aux assurances de 25 Cormatin et, sans céder à toutes les exigences des chefs insurgés, ils négligèrent de prendre conseil de la prudence en traitant avec eux. Ils accordèrent, avec la liberté des cultes, des indemnités pour les dévastations commises, l'exemption de service militaire pour les 30 jeunes gens de la présente réquisition, afin de repeupler les campagnes, et l'acquittement des bons signés par les chefs jusqu'à concurrence de deux millions. A ces conditions équitables les représentants en ajoutèrent quelques autres que Hoche jugea, non sans raison, très-dan- 35 gereuses. Non-seulement ils laissèrent aux insurgés leurs armes, mais ils consentirent à ce qu'ils formassent une garde territoriale, peu nombreuse il est vrai, mais répartie dans les campagnes, au foyer même de l'insurrection, sous les ordres des autorités locales.

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Telles furent les principales bases d'un premier traité qui fut signé le 17 février 1795 au château de la Jaunaye, près de Nantes, par les représentants en mission dans l'Ouest, pour le gouvernement républicain d'une part, 5 avec Cormatin, Charette, Sapinaud et leurs officiers agissant au nom de l'armée vendéenne. Ils se soumirent, reconnurent les lois de la République, et, peu de jours après, Charette fit à côté du général Canclaux une entrée solennelle dans la ville de Nantes, où il lui fut 10 fait une réception magnifique en signe d'espérance et de joie pour la fin d'une guerre si désastreuse.

Deux mois plus tard, en avril, une seconde paix, une paix simulée, fut signée, par les soins de Cormatin, avec les principaux chefs chouans de la Bretagne, à La Ma15 bilais, entre Rennes et La Prévalaye quartier général de l'armée royaliste: elle le fut aux mêmes conditions à peu près que le traité précédent conclu pour la Vendée à La Jaunaye. Stofflet, dirigé par l'abbé Bernier, luttait encore en Anjou: se voyant abandonné à lui-même, 20 battu par les républicains, presque seul et sans ressources, il se soumit à son tour à Saint-Florent, et l'on put croire complète alors la première pacification de la Bretagne et de la Vendée.

Hoche

Elle avait été faite sans la participation de Hoche, qui 25 ne la crut pas durable. Cormatin et les chefs chouans connaissaient trop ses justes méfiances, et, redoutant le perçant regard du jeune général de l'armée de Brest, ils avaient exigé qu'il fût exclu des conférences dans lesquelles cette paix trompeuse avait été préparée. Les 30 représentants ne tinrent aucun compte de ses avis et apportèrent, nous l'avons vu, une précipitation aveugle dans leurs transactions avec les chefs chouans. avait prévu les fâcheuses conséquences de leur conduite imprudente on a traité, dit-il, avec les individus et 35 point avec l'insurrection, et l'on trouve écrites, dans ses notes, le jour même de la signature du traité de La Mabilais, les lignes suivantes, expression remarquable de ses pressentiments: "Pendant la conférence d'aujourd'hui, j'ai fait remarquer à Chérin deux bandes de corbeaux 40 qui voltigeaient dans les airs au-dessus de La Mabilais..

Bientôt elles se séparèrent; l'une d'elles resta unie, l'autre se divisa. Bons anciens, n'eussiez-vous pas vu là un présage significatif de ce qui doit arriver après la pacification ?"

La situation de Hoche devint alors très-pénible. La 5 paix, dictée en quelque sorte par les insurgés et par Cormatin, représentant de l'agence royaliste en Bretagne et en Vendée, donna au parti qui voulait continuer l'insurrection et la guerre une confiance exagérée en ses forces... "Il n'y eut pas, écrivait alors l'adjudant général 10 Savary, un seul insurgé des deux côtés de la Loire, qui ne s'imaginât avoir fait grâce à la République." * Une telle présomption engendra le mépris pour les autorités républicaines et pour les forces du gouvernement, et de graves excès furent commis en beaucoup d'endroits avec 15 l'audace que donne la certitude de l'impunité.

Les nombreux représentants en mission dans l'Ouest, la plupart gens médiocres, faibles et vaniteux, n'étaient d'accord que pour s'attribuer le mérite d'avoir délivré la République d'un fléau exterminateur 20 et pour se donner comme les principaux auteurs de la pacification; ils étaient divisés sur les moyens de la consolider les uns voyaient ces moyens dans des mesures rigoureuses, les autres dans des concessions nouvelles. Ils agissaient en conséquence, et chacun à son point de 25 vue particulier, donnant des ordres contraires et substituant partout leur autorité à celle des généraux, disposant des troupes à leur fantaisie, incapable d'organiser rien de durable, également impuissants à combattre l'anarchie et à contenir la rébellion. Déjà de 30 toutes parts s'élevaient des plaintes contre les généraux et les fonctionnaires hors d'état de réprimer les désordres et de prévenir les actes violents et audacieux d'une foule d'insurgés qui, au mépris de la pacification, parcouraient en armes les campagnes, † et souvent même 35

*Lettre au général de Grouchy.

+ Sous prétexte de calmer les esprits encore agités, les chefs parcourant les paroisses, mettaient en réquisition les hommes depuis seize jusqu'à quarante ans. L'heure de la messe était

pénétraient jusque dans les bourgs et dans les villes pour s'y porter à d'odieuses cruautés, soit sur les officiers municipaux, soit sur les hommes connus pour leur attachement à la République. Hoche, dont l'énergie 5 était paralysée par les représentants qui enchaînaient ses mains et disposaient de ses soldats, était cependant rendu partout responsable des maux qu'il ne pouvait prévenir il se voyait ainsi de tous côtés en butte à d'injustes attaques et dénoncé au Comité de salut 10 public comme coupable par les représentants dont il avait lui-même tant à se plaindre.

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Le Comité, jugeant de la situation sur les rapports erronés de la plupart des représentants en mission dans l'Ouest, et entretenu par eux dans une dangereuse 15 illusion sur les dispositions des esprits en Bretagne et en Vendée, accueillit leurs plaintes contre Hoche et lui adressa plusieurs dépêches remplies de remontrances et de reproches amers. Profondément blessé et consumé de chagrin, Hoche répondit cependant au Comité d'un 20 ton calme et digne: "La position d'un général dont l'armée est divisée en pelotons de soixante, quatre-vingts ou cent hommes sur une surface de quatre mille lieues carrées, n'est assurément pas brillante: elle est bien malheureuse si, en redoublant tous les jours d'efforts 25 pour bien servir son pays, il est accusé de faiblesse et de négligence par le gouvernement auquel il est dévoué, tandis que ses ennemis l'accusent hautement de mettre trop de rigueur dans sa conduite... Je n'ai pas craint jusqu'à ce jour de dire la verité ; vous avez 30 pu vous en convaincre par les ennemis que je me suis faits je pourrais répondre à ceux-ci; mais je ne donnerai pas aux ennemis de ma patrie le spectacle d'une lutte avantageuse pour moi, il est vrai, mais scandaleuse pour la République."

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35 Cette lettre, à laquelle le Comité ne répondit pas, fut

celle du railliement. On se rendait en armes à l'église, on y passait des revues avec cocardes et panaches blancs au cri de: Vive le roi." (a)

(a) Rapport du représentant Jarry au Comité.

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