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grés, homme méthodique, strict observateur des règles de l'art, beaucoup plus propre à commander une armée régulière en rase campagne qu'un corps de volontaires dans une guerre d'invasion où le succès dépend de la 5 rapidité des mouvements et de l'audace de l'attaque.

Puisaye exigeait avec raison qu'on débarquât tandis que la côte était encore faiblement gardée, et qu'on se portât rapidement en avant, appelant à soi toutes les bandes armées des chouans qui parcouraient le pays, et 10 en se hâtant de les enrégimenter: il voulait enfin qu'on s'emparât, sur-le-champ, d'une ville importante du littoral et qu'on y proclamât Louis XVII en annonçant la prochaine arrivée d'un prince français. Ainsi conduite, l'entreprise avait des chances réelles de succès, dans 15 l'état où étaient en France les esprits et au plus fort de la réaction thermidorienne contre les terroristes et la Convention. Mais le prince qui aurait pu rallier toutes les fractions du parti royaliste ne parut pas; les démêlés entre les chefs, leurs longues hésitations pour le zo débarquement firent perdre un temps précieux.

Enfin

l'avis de Puisaye l'emporta : le commodore Warren décida la descente: elle eut lieu le 27 juin 1795 dans la baie de Quiberon, formée d'un côté par la côte de Bretagne, de l'autre par une presqu'île longue d'environ 25 deux lieues et dont la largeur varie sans dépasser trois kilomètres. C'est la fameuse presqu'île de Quiberon, jointe à la côte bretonne par une bande de sable étroite et d'une lieue de longueur, nommée la Falaise. Le fort Penthièvre, occupé par sept cents républicains et con30 struit au centre de la presqu'île, défendait les approches de celle-ci du côté du continent.

L'expédition débarqua au fond de la baie au village de Carnac. Au même moment, des bandes de chouans accoururent, conduits conduits par leurs principaux chefs, 35 Dubois, d'Allègre, Mercier, George Cadoudal; ils dispersèrent sur la côte quelques détachements républicains et se rendirent au rivage au nombre de quatre ou cinq mille hommes; les paysans du voisinage se réunirent à eux au cri de Vive le roi! et Puisaye crut à l'insurrec40 tion prochaine de toute la Bretagne. Mais bientôt de

fâcheuses querelles éclatèrent entre les chouans et les émigrés. Ceux-ci, qui avaient servi dans les armées régulières du continent, n'ouvraient leurs rangs qu'avec inquiétude et répugnance à des hommes indisciplinés, déguenillés, dépourvus de toute instruction militaire, 5 beaucoup plus aptes au métier de guérillas qu'au service dans des corps d'élite. L'antipathie devint promptement réciproque: il en résulta des rixes, il fallut les tenir séparés et perdre à s'organiser un temps qui aurait dû être employé à marcher en avant.

ΙΟ

Des ordres arrivèrent enfin de Londres pour conférer à Puisaye seul la direction suprême de l'expédition. Puisaye prit sur-le-champ d'habiles dispositions, ordonna une impétueuse attaque contre le fort Penthièvre, qui se rendit presque sans combat. Puisaye s'y établit 15 fortement, et, par un ouvrage solidement construit en pierre, il relia la forteresse avec un rocher de soixante pieds de hauteur qui flanquait la presqu'île à l'ouest du côté de la pleine mer, de telle sorte qu'elle était entièrement coupée et que tout passage était fermé d'un 20 rivage à l'autre. Il fit en même temps débarquer dans la presqu'île tout le matériel apporté par l'escadre anglaise et distribua aux chouans des habits et des armes. Dix mille d'entre eux occupaient déjà la ligne importante de Lorient à Auray. L'intention de Puisaye était 25 de s'emparer de Brest, de Lorient ou de Saint-Malo, où il avait des intelligences, et de marcher ensuite sur Rennes; ses émissaires parcoururent toute la Bretagne avec la rapidité de l'éclair, réveillant les populations, stimulant leurs principaux chefs, Charette, Stofflet, 30 Scépeaux, etc., et leur annonçant la prochaine arrivée d'un prince du sang royal de France et d'une armée anglaise.

Quinze jours s'étaient écoulés depuis la première apparition de l'escadre à Quiberon. Hoche accourut de Rennes avec toutes ses forces disponibles et se montra 35 supérieur aux périls de sa situation. Il était arrivé à Auray avec cinq mille hommes seulement, et les généraux des armées de Brest et de Cherbourg s'empressant de répondre à son appel, de toutes parts des détachements républicains étaient en marche pour le rejoindre. 40

Vers le 6 juillet, dix ou douze mille hommes ayant rejoint son quartier général, il se crut assez fort pour attaquer les chouans qui, sous le commandement de Vauban et de George Cadoudal, au nombre d'environ 5 dix mille, occupaient, en avant de la presqu'île, toute la ligne entre Saint-Michel, Carnac et Sainte-Barbe. Hoche et Vauban avaient compris tous deux l'importance du poste de Sainte-Barbe, qui maintenait ouvertes les communications de la presqu'île avec le littoral. C'est sur 10 ce point que tous les efforts de Hoche furent dirigés. Vauban de son côté mit tout en œuvre pour le défendre, appelant à son aide les émigrés du régiment d'Hervilly; ceux-ci firent une charge malheureuse, après laquelle d'Hervilly ordonna la retraite. Une plus longue résist15 ance devenant impossible; Vauban, pour éviter de voir son armée coupée en deux et rejetée dans les flots, fit rapidement replier son centre et sa droite derrière la gauche toujours en possession de Sainte-Barbe, qu'il abandonna ensuite pour couvrir la retraite des chouans 20 dans la presqu'île. Ils y rentrèrent avec une multitude de femmes et d'enfants et dans le plus effroyable désordre, serrés de près par les baïonnettes républicaines. Ils étaient tous en danger de périr et furent sauvés cette fois par les chaloupes canonnières de l'escadre anglaise 25 qui, embossées des deux côtés de la Falaise, firent pleuvoir une grêle de boulets sur les républicains et arrêtèrent la poursuite. Mais déjà les émigrés et les chouans se trouvaient tous enfermés dans la presqu'île, Hoche les considéra comme ses prisonniers et il établit son 30 quartier général à Sainte-Barbe.

Hoche cependant était lui-même dans une situation très-critique: derrière lui et autour de lui tout le pays était hostile à son armée et à sa cause: il fallait faire venir des vivres de loin sous escorte; les arrivages 35 étaient lents, et plus ses troupes grossissaient en nombre, plus les difficultés de les nourrir étaient grandes. Les soldats se répandirent de nouveau dans les campagnes pour y vivre à discrétion et s'abandonnèrent au pillage et à toute sorte de crimes.* Hoche exaspéré les con* Rousselin, Correspondance de Hoche.

signa dans le camp dont il leur interdit de franchir l'enceinte. Poussés alors par les privations au murmure et à la révolte, les soldats se mutinèrent: Hoche accourut, et marchant rapidement à l'un des plus mutins, il le frappa de son sabre et comprima la sédition. 5

Il était revenu pensif à Sainte-Barbe dans la grange où il avait établi son quartier général et d'où il observait avec une longue-vue les mouvements de ses propres troupes dans le camp, lorsqu'il reçut la visite de deux représentants, Blad et Tallien, que la Convention 10 nationale envoyait sur les lieux avec des pouvoirs étendus; ils étaient accompagnés de Rouget de l'Isle, l'auteur du chant célèbre de la Marseillaise, et qui a laissé du sanglant épisode de Quiberon une relation détaillée et fidèle. Il y raconte cette première entrevue 15 dans laquelle Hoche, loin d'accuser ses soldats, dépeignit vivement leurs souffrances, et lui inspira tout d'abord la plus vive sympathie fondée sur le respect et sur l'admiration. "Pendant qu'il parlait, dit Rouget de l'Isle, je ne me lassai pas d'admirer son imposante stature, son 20 air guerrier, quoique gracieux et sans forfanterie, ses traits doux et fiers, embellis par une superbe cicatrice qui, sans les altérer, lui traversait le front dans toute sa hauteur et venait expirer à la naissance du sourcil droit. J'admirai son héroïque simplicité, l'heureux accord de 25 ses paroles et de ses manières, du son de sa voix avec ses expressions: tout en lui me révélait un homme supérieur."*

Les deux représentants employèrent pour approvisionner l'armée les procédés révolutionnaires par les- 30 quels la Convention pourvoyait, avec succès, il est vrai, aux besoins du moment; mais en semant au cœur des populations spoliées et terrifiées d'impérissables germes de haine et de fureur. Le danger de la petite armée républicaine isolée au milieu de populations exaspérées 35 s'en accrut et, d'autre part, Hoche voyait en face de lui un ennemi nombreux et très-redoutable, occupant, dans

* Rouget de l'Isle, Relation historique et souvenirs de Quiberon, P. 45-46.

l'étroite presqu'île où il était enfermé, sous la protection du fort Penthièvre et de l'escadre anglaise, une position très-forte et en apparence inexpugnable.

Puisaye conçut un plan d'attaque qui, bien exécuté, 5 aurait eu pour l'armée républicaine de désastreuses conséquences. Il résolut d'envoyer sept mille chouans divisés en deux corps hors de la presqu'île, avec l'ordre de se joindre aux chefs et aux populations soulevées de l'intérieur du pays, pour fondre ensemble sur les derIo rières du camp de Sainte-Barbe tandis qu'il l'attaquerait de front. Quatre mille chouans, commandés par le comte de Tinténiac et sous lui par Mercier et d'Allègre, furent débarqués le 11 juillet sur des chasse-marée anglais à Sarzeau, près de l'embouchure de la Vilaine. 15 Une seconde division de trois mille hommes, sous deux chefs éprouvés, Jean-Jean et Lantivy, débarqua un peu au-dessus de Quimper. Ces deux divisions avaient ordre de se réunir, le 14 juillet, à Bard, en arrière des républicains, pour attaquer ensemble, le 16, et prendre à revers 20 le camp de Sainte-Barbe.

L'agence royaliste de Paris, toujours hostile à Puisaye, fit échouer ce plan savamment combiné. Cette agence,

qui aurait voulu agir indépendamment des Anglais, et s'assurer, sans leur concours, d'une place du littoral, 25 après avoir échoué dans une tentative pour enlever SaintMalo, projetait maintenant de s'emparer de Saint-Brieuc, et lorsqu'elle eut appris que Tinténiac et Lantivy étaient heureusement débarqués, avec leurs divisions, ces deux chefs furent sommés par elle, au nom du roi, de marcher 30 sur cette place et de s'en rendre maîtres. Ils cédèrent à regret à cette injonction royale et, deux jours plus tard, Tinténiac fut tué à l'attaque du château de Coëtlogon. Puisaye, ignorant son sort et confiant dans l'exécution des ordres qu'il avait donnés, fit embarquer 35 Vauban avec douze cents chouans, et lui prescrivit de faire une fausse attaque par la gauche des républicains à Carnac en essayant de se lier sur les derrières de leur camp à Tinténiac. Une première fusée devait être tirée par Vauban s'il réussissait à débarquer, et une 40 seconde dans le cas où il serait repoussé et ne pourrait

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