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Cette conférence n'eut aucun résultat sérieux: Hoche en gémit, et, dans son rapport au Comité de salut public, il annonça la descente prochaine d'une nouvelle expédition anglaise sur les côtes et déplora la lenteur avec laquelle la guerre était conduite. "Verrai-je donc 5 toujours, dit-il, à la honte de nos armes, moisir nos troupes dans nos cantonnements? Prétend-on attendre la saison des pluies pour agir en Vendée? Ne voit-on pas que les rebelles cherchent à gagner du temps et attendent les secours qui leur sont promis pour agir? 10 Dieux de mon pays, enflammez tous les cœurs. Fais, ô liberté, que tous nos soldats deviennent des héros ! et la patrie sera conservée indépendante.”*

Peu de jours après l'envoi de ce rapport, Hoche fut nommé au commandement de l'armée de l'Ouest, en 15 remplacement du général Canclaux, et, dans son premier ordre du jour, il mit de nouveau en évidence les grands principes qui avaient, en toute circonstance, dirigé sa conduite: obéissance au gouvernement, observation rigoureuse de la discipline, respect inviolable des lois de 20 l'honneur, compassion pour les malheureux, égards et protection aux habitants paisibles des campagnes, guerre sans trêve aux coupables et aux ennemis de la patrie. Hoche obtint que son armée, qui occupait le foyer même de l'insurrection royaliste, fût portée à quarante- 25 quatre mille hommes, et il fit sur-le-champ les plus habiles dispositions pour prévenir le débarquement de l'expédition de toute part annoncée.

Le danger en effet était imminent. Le désastre de Quiberon n'avait point découragé le gouvernement 30 anglais. Une nouvelle escadre cingla vers la côte de France dans les derniers jours de septembre: elle portait deux mille hommes d'infanterie, cinq cents cavaliers tout équipés, des cadres de régiments d'émigrés, des armes, des munitions, des vivres pour une 35 armée nombreuse, et enfin le prince depuis si longtemps attendu, le comte d'Artois, frère de Louis XVI, et qui devint le roi Charles X.

* Correspondance de Hoche.-(14 fructidor) 31 août 1795.

Le prince descendit, au commencement du mois d'octobre, avec une partie des troupes de l'expédition, dans l'île Dieu, et il se proposait d'aborder en face sur la côte de la basse Vendée où Charette, en possession 5 du littoral, devait protéger son débarquement. Mais Hoche déjoua tous les plans de ce chef redoutable: il le battit en plusieurs rencontres, l'obligea de se retirer dans l'intérieur du pays et se rendit maître de toute la côte. Le débarquement n'était plus praticable et la 10 haute marée rendait impossible une plus longue station de la flotte dans ces parages dangereux. Elle fut rappelée. Après un séjour de six semaines sur le stérile rocher de l'île Dieu, le comte d'Artois revint en Angleterre, et tout le fruit de cette grande expédition fut perdu. 15 Le départ de l'escadre jeta les royalistes dans la consternation: Charette en conçut une irritation profonde. Il voyait toutes les forces républicaines attirées maintenant en Vendée: il lui fallait désormais lutter presque seul et sans espérance, et il résolut de vendre chèrement 20 à ses adversaires la victoire et sa vie.

Hoche, malgré ses succès, se trouvait encore une fois dans une situation très-difficile: toute la basse Vendée, comprenant le pays entre la Sèvre Nantaise et l'Océan, était acquise moralement à la cause royale: la popula25 tion avait gardé ses armes, et, quoique paisible en apparence, il eût suffi d'une victoire pour la soulever de nouveau tout entière. Un chef habile, Sapinaud, avait repris l'épée et emporté la ville de Mortagne; Stofflet, jaloux des faveurs accordées à Charette, avait refusé de 30 se rendre à son appel, mais il n'attendait qu'une occasion favorable, et toujours dirigé par l'abbé Bernier, il exerçait une influence absolue en Anjou et dans la haute Vendée, où, entouré d'une cour d'officiers et d'émigrés, il était le maître du pays. Puisaye, d'autre 35 part, avait reparu en Bretagne, et attirait à lui tous les chefs chouans, organisait l'insurrection, et servait, avec la plus indomptable énergie, la cause des princes qui n'avaient su apprécier ni son dévouement ni ses talents: l'Ouest tout entier, au premier 40 signal, pouvait être de nouveau en feu.

En face de tant de périls, Hoche conçut un nouveau plan: il vit bien que ce n'était plus par les armes qu'il fallait vaincre un ennemi que l'on ne pouvait atteindre nulle part. "L'habitant de la Vendée, dit l'historien de la Révolution, était paysan et soldat 5 tout à la fois. Au milieu des horreurs de la guerre civile, il n'avait pas cessé de cultiver ses champs et de soigner ses bestiaux. Son fusil était à ses côtés, caché sous la terre ou sous la paille. Au premier signal de ses chefs il accourait, attaquait les républi- 10 cains, puis disparaissait à travers les bois, retournait à ses champs, cachait de nouveau son fusil, et les républicains ne trouvaient qu'un paysan sans armes dans lequel ils ne pouvaient reconnaître un ennemi. Tandis que les Vendéens avaient toujours les moyens 15 de vivre et de se recruter, les armées républicaines qu'une administration ruinée ne pouvait plus nourrir, manquaient de tout et se trouvaient dans le plus horrible dénûment."*

Hoche, sans détruire le pays, imagina un moyen 20 ingénieux de le réduire en lui enlevant ses armes, et en prenant une partie de ses subsistances pour l'usage de l'armée républicaine. "Il forma une ligne circulaire qui s'appuyait à la Sèvre et à la Loire, et qui tendait à envelopper progressivement tout le pays. Cette ligne était 25 composée de postes assez forts, liés entre eux par des patrouilles, de manière qu'il ne restait pas un intervalle libre à travers lequel pût passer un ennemi assez nombreux. Ces postes étaient chargés d'occuper chaque bourg et chaque village et de désarmer tous les habitants: 30 ils devaient s'emparer des bestiaux et des grains entassés dans les granges: ils devaient aussi arrêter les habitants les plus notables et ne restituer les bestiaux, les grains, ni élargir les habitants pris en otage que lorsque les paysans auraient volontairement déposé leurs armes... 35 Il leur était recommandé d'exiger un nombre de fusils égal au moins au quart de la population mâle. Après avoir reçu les armes, on devait rendre fidèlement les

*Thiers, Histoire de la Révolution française.

otages, les bestiaux et les grains, sauf une partie prélevée à titre d'impôt et déposée dans les magasins de l'armée. Hoche avait recommandé aux officiers de traiter les habitants avec une extrême douceur, de s'entretenir avec 5 eux, de les bien traiter, de les envoyer même quelquefois à son quartier général, et de leur faire quelques présents. Il avait prescrit aussi les plus grands égards pour les curés. "Les Vendéens, disait-il, n'ont qu'un sentiment véritable, c'est l'attachement pour leurs prêtres. 10 Ces derniers ne veulent que protection et repos; qu'on leur assure ces deux choses, qu'on y ajoute même quelques bienfaits, et les affections du pays nous seront rendues." La ligne que Hoche appelait ligne de désarmement devait envelopper la basse Vendée circulairement, 15 s'avancer peu à peu et finir par l'embrasser tout entière. En s'avançant elle laissait derrière elle le pays désarmé, réconcilié, et le protégeait contre le retour des chefs insurgés qui ordinairement punissaient par des dévastations la soumission à la République et la remise des 20 armes. Deux colonnes mobiles la précédaient pour combattre ces chefs et les saisir s'il était possible, et bientôt en les resserrant toujours davantage, elle devait les enfermer et les prendre inévitablement."*

Hoche soumit son plan de pacification au Directoire, 25 qui l'approuva. On nommait ainsi le nouveau pouvoir exécutif qui avait succédé en France au règne sanglant de la Convention et du Comité de salut public.† Les directeurs appelèrent Hoche à Paris pour se concerter avec lui et lui conférer de nouveaux pouvoirs.

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La réaction thermidorienne était alors dans toute sa violence à Paris, ainsi que dans les principales villes :

*Thiers, Histoire de la Révolution française.

La France s'était donné, à cette époque, une constitution nouvelle, celle de l'an III. Cette constitution mettait fin à l'exis35 tence de la Convention nationale: elle plaçait le pouvoir législatif dans deux conseils, celui des Cinq-Cents et celui des Anciens, et le pouvoir exécutif dans un Directoire composé de cinq régicides qui furent : La Reveillère-Lepeaux, Barras, Rewbell, le Tourneur et Siéyès bientôt remplacé par Carnot. Ils entrèrent en 40 fonctions le 27 octobre 1795 (4 brumaire an IV).

partout l'autorité, soutenue par le sentiment public, fermait les clubs des jacobins et des sociétés révolutionnaires, et voyait se rouvrir les salons où, à côté de généraux illustres, de publicistes distingués et des hommes politiques qui avaient contribué ou applaudi 5 à la révolution de thermidor, se rencontraient déjà quelques hommes appartenant à l'ancienne aristocratie et qui, proscrits sous la Terreur avec leurs familles, ne se montraient cependant pas hostiles au régime nouveau. Le salon de la belle Madame Tallien (née Cabarus) 10 était le plus célèbré comme le plus fréquenté. Hoche y parut et y fut l'objet de l'attention générale: ses grands services, son génie, sa jeunesse (il avait à peine vingt-huit ans), étaient autant de titres à l'admiration, et il y ajoutait encore par son grand air, par la dignité 15 naturelle empreinte dans toute sa personne, et par la noble simplicité de ses manières. "La loyauté de Hoche, dit son biographe déjà cité, la sincérité de son dévouement à la République, ne permettaient à personne de redouter pour elle ce bras glorieux, quelque 20 puissant qu'il fût. On ne surprenait, dans ses discours, aucune de ces paroles auxquelles se devine le général qui sera porté à la tyrannie par la popularité. Ce n'était pas un de ces hommes qui éblouissent, dont la domination s'exerce par l'entraînement, et qu'on suit 25 comme pris de vertige, dans l'arène où Dieu leur a permis d'étonner le monde."* Il inspirait surtout et au plus haut degré la confiance: on reconnaissait, dans toute sa conduite, un sentiment profond d'honneur et de moralité, exception rare à toutes les époques et plus 30 particulièrement dans celle qui suivit le règne de la Terreur: chacun sentait que la cause de la République était en sûreté dans ses mains. Le Directoire s'honora en sachant le comprendre, et ne se montra point jaloux de sa gloire: il approuva toutes les mesures proposées 35 par Hoche pour pacifier la Bretagne et la Vendée; il lui confia les trois armées des côtes de Brest, de Cherbourg et de l'Ouest, qui n'en formèrent qu'une sous le

* Bergounioux, Essai sur la vie de Lazare Hoche, p. 244-245.

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