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septième fils de Ferdinand III, surnommé ls Saint; il avait reçu ce nom de Manuel, étranger à l'Espagne, en commémoration de l'Empereur de Constantinople, Emmanuel, de la famille de sa grand'mère, de même qu'un de ses frères avait été appelé Frédéric, du nom de l'Empereur Frédéric, son bisaïeul. Un bras ailé ou bras d'ange tenant une épée nue en champ de gueule figurait sur son écusson; l'épée nue comme symbole de vaillance et de commandement ; les ailes d'ange soit à cause du nom d'Angelo, héréditaire dans la famille de ses ancêtres, soit, comme on le disait, parce qu'un séraphin avait apparu en songe à sa mère lorsqu'elle était enceinte ; il y ajouta un lion de gueule sur champ d'argent aux armes de Castille et de Léon'.

1 L'origine des ailes d'ange qui figurent dans le blason des Manuel a été expliquée par D. Gonçalo Argote de Molina (Nobleza de Andaluzia), ainsi que par D. Ambrozio de Salasar (Inventaire général des plus curieuses recherches des royaumes d'Espagne. Paris, 1612, p. 133), mais ces deux commentaires ne sont pas exacts.

<< Béatrix était fille de Philippe, Empereur d'Allemagne, et de Marie, que l'on appelle aussi Irène, fille d'Isacio Angelo, Roi de Constantinople, que les Espagnols nomment Coysat; c'est ce dernier qui prit et tua Andronique Comnène, usurpateur de l'empire, et qui vengea sur lui le meurtre de l'Empereur de Constantinople, Alexis, son maître. »

Don Juan Manuel a fixé la véritable signification de ses ar

Cet infant a trop peu vécu ou n'a pas assez marqué pour que l'attention de l'histoire se soit fixée sur lui; quelle conduite aurait-il tenue en présence des événements qui mirent à l'épreuve l'ambition de ses frères? On ne saurait le dire. Serviteur zélé de don Sanche le Brave, il l'accompagna dans toutes ses expéditions et le seconda dans sa révolte contre Alphonse le Savant. Le Roi déchu était son frère, l'usurpateur son neveu, et l'affection qu'il eut pour l'un, loin d'excuser son hostilité contre l'autre, permet d'augurer qu'il n'aurait pas concouru à diminuer les embarras de la régence. Uni à Béatrix de Savoie,

moiries dans le livre intitulé: Sur les raisons qui ont fait donner à mon père l'infant don Manuel des armoiries portant des ailes et des lions, et pourquoi moi, mon fils légitime et ses héritiers pouvons faire des chevaliers sans l'étre; c'est dans ce livre, resté MS., mais cité par M. Georges Ticknor (History of spanish literature) et par Eug. de Ochoa (Cancionero de Baena. Madrid, 1851), qu'on trouve l'explication suivante :

« Mon aïeule Béatrix, étant enceinte, rêva que l'enfant qu'elle portait dans son sein était destiné à venger la mort du Christ, ce qui détermina l'évêque de Ségovie, don Remon, à lui donner en baptême le nom d'Emmanuel. >>

Voici les propres paroles de l'auteur du Comte Lucanor:

« D. Remon propuso que, si bien toviesen, era bien poner le tal nombre, que fiziesse à lo que daba à entender aquel sueño, et por ende quel pusiessen nombre Manuel, en que ha dos cosas, la una es uno de los nombres de Dios et la otra que Manuel quiere decir « Dios connuesco. »>

fille du comte souverain de ce nom, il en eut deux enfants, don Juan Manuel, auteur du Comte Lucanor, et dona Yolante, qui devint femme de l'infant Alphonse de Portugal.

Don Juan Manuel, dissipant lui-même l'obscurité qui couvrait pour nous la première époque de sa vie, nous apprend, dans une lettre adressée à l'archevêque de Tolède, qu'il est né à Escalona, le 5 mai 1282; qu'à l'âge de deux ans il n'avait plus de père; qu'il fut élevé par les soins de son cousin, don Sanche le Brave; que tous deux vécurent dans une intimité fraternelle; que leurs maisons étaient réunies, et qu'il dut à la libéralité de son royal ami la construction du château de Peñafiel, qui devait être le lieu de sa résidence et de sa sépulture.

A don Sanche, enlevé par une mort prématurée, succéda un prince qui ne fut pour les membres même de sa famille qu'un maître ombrageux et dur. Ferdinand se croyait environné d'ennemis; il décourageait par ses méfiances le zèle de ses meilleurs vassaux, et, à force de tracasseries, il les contraignait à se déclarer contre lui, pour échapper aux coups aveugles de ses terreurs. Dona Constanza, sa femme, lui était suspecte. Il affectait de ne consulter que sa mère, l'ex-reine dona Maria de Molina, femme remplie de qualités éminentes et animée des intentions les plus

pures, mais prompte à s'alarmer et souvent opiniâtre dans ses préventions. Tous les infants ses frères lui inspiraient des craintes; il aurait pu veiller sur eux en silence; il eut la maladresse de les provoquer, et il en vint ainsi à organiser de ses propres mains une faction redoutable; le chef qu'il lui donna fut ce même infant qui défendit avec plus d'ardeur que tout autre les débris de l'autorité royale, quand le sort eut fait tomber la couronne sur un berceau. Conspirateur involontaire, don Pedro s'était réfugié dans Alcaudete; Ferdinand courut l'y assiéger; mais en traver sant Martos, il voulut exercer un de ces actes de justice souveraine qui dans la même heure commençaient par une sentence et finissaient par un supplice. Les frères Carvajal étaient accusés d'avoir tué un de ses serviteurs, don Juan de Benavidès; il les fit arrêter et ordonna qu'ils fussent précipités du sommet d'une tour. Ils protestèrent de leur innocence sans pouvoir ni le fléchir ni le décider à les entendre ; l'un d'eux, l'ajournant alors au tribunal de Dieu, s'écria qu'il y comparaîtrait dans trente jours, et le trentième jour, Ferdinand, atteint d'une maladie subite, rendait le dernier soupir'. L'histoire, écho trop fidèle peut-être d'une tradition populaire, a conservé

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à ce prince le surnom d'ajourné (emplazado), et par une coïncidence singulière, un an après, une prédiction semblable s'accomplissait en France: condamné à mourir sur un bûcher, le grand-maître de l'ordre du Temple avait marqué la dernière heure d'un pape et d'un roi.

Ferdinand, que de fausses alarmes avaient trompé tant de fois dans un règne de quelques années, ne se méprit pas du moins sur le caractère de don Manuel; c'est à lui qu'il s'adressa pour rompre la ligue formée autour de l'infant don Pedro; il le nomma, de plus, grand sénéchal de sa maison et lui confia, sous le titre d'adelantado-mayor, le gouvernement du royaume de Murcie. A vingt-huit ans, don Juan Manuel était arrivé aux charges les plus importantes de l'État; mais il était déjà vieux au service, car il avait fait ses premières armes à douze ans et justifié ainsi par sa valeur précoce l'héroïque privilége qui lui était échu de faire des chevaliers sans l'être.

Plût à Dieu qu'une minorité survenue à l'improviste n'eût pas ramené sur la Castille des orages à peine dissipés ! La vie de don Juan Manuel, moins troublée par les dissensions civiles, eût été plus glorieusement partagée entre les travaux des lettres et cette guerre deux fois sainte qui poursuivait depuis sept cents ans la délivrance du sol; mais à peine le

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